Entretien avec l’astrophysicienne Françoise Combes
Médaille d’or du CNRS 2020
Elle est celle qui a levé le voile sur l'histoire des galaxies, mettant en évidence de nombreux phénomènes expliquant la formation et l'évolution de l'Univers. Excusez du peu.
L’astrophysicienne et normalienne Françoise Combes vient de recevoir la plus prestigieuse récompense française, la médaille d'or du CNRS. Rencontre avec une "role model", au parcours exceptionnel.
Parlez-nous de votre parcours à l’ENS-PSL.
J’ai passé quatre ans à l’ENS en tant qu’élève, où j’ai eu le bonheur d’assister aux cours de professeurs prestigieux, comme Jean Brossel, ou Claude Cohen-Tannoudji, qui savaient être clairs et inspirants sur des sujets parfois difficiles. Juste après avoir obtenu l’agrégation de physique, je suis devenue enseignant-chercheur, on disait « Caïman » à l’époque. J’aidais les élèves de l’année suivante à obtenir l’agrégation ! Pierre Encrenaz était en train de fonder à l’Ecole un nouveau laboratoire de radioastronomie millimétrique. Avec lui et Robert Lucas, nous avons été, pendant quelques années, les trois seuls membres de ce laboratoire.
« L’astronomie est une science extrêmement vivante, où les progrès sont exponentiels. »
Quelles ont été les étapes « clés » de votre carrière ?
Ma première expérience de la recherche fut ma thèse de 3e cycle. J’ai étudié, avec Roland Omnés et Evry Schatzman, un modèle d’Univers symétrique matière-antimatière. Expérience passionnante, mais qui s’est terminée par le constat que le modèle n’était pas compatible avec les observations. J’ai ensuite eu la chance de faire des observations sur le plus grand télescope millimétrique de l’époque ! Il était situé en Arizona. J’y ai découvert les premières molécules dans la galaxie voisine d’Andromède, là où nos collègues américains n’avaient rien trouvé ! Ce fut le point de départ d’une longue série de découvertes. Aujourd’hui encore, nous observons les nuages moléculaires, où naissent les étoiles, dans des galaxies primordiales à moins de 10% de l’âge de l’Univers. Plus on regarde loin, plus on remonte le temps !
Quel a été votre premier sentiment à l’annonce de votre prix ?
Une immense joie, le bonheur et l’honneur d’une récompense aussi grande. Une chance aussi, car cette médaille n’est pas souvent attribuée à l’astronomie. Le dernier astronome à la recevoir était Evry Schatzman, en 1983. Bien sûr, au-delà d’une récompense individuelle, cette médaille rejaillit sur mon équipe et mes collaborateurs, avec lesquels nous avons effectué toutes ces recherches si passionnantes. Et sur l’Observatoire de Paris et l’ENS-PSL, qui m’ont accueillie et permis de faire toutes ces découvertes au fil des années. L’astronomie est une science extrêmement vivante, où les progrès sont exponentiels.
Sur la question de la parité et de la place des femmes dans la science, voyez-vous des changements entre aujourd’hui et le début de votre carrière ?
Oui, au fur et à mesure des années, la communauté y est devenue nettement plus sensible. Que ce soit dans les concours, dans les comités, dans les réunions et colloques en France ou à l’étranger, il devient nécessaire pour tous de prendre en compte l’équilibre entre hommes et femmes. Et cela se passe à tous les niveaux, pas seulement en début de carrière, où l’équilibre est plus facile à obtenir.
Par exemple, les choses avancent à l’Académie des sciences, où le nombre de femmes n’a jamais été aussi grand, ou de même au Collège de France. Même au niveau de la médaille d’or du CNRS, il y a du progrès ; en 60 ans, depuis 1954, il n’y avait eu que 2 femmes. Dans la dernière décennie, il y en a 4 !
"La médaille que je viens de recevoir me donne la responsabilité de jouer un de ces « role model »"
Les chiffres restent pourtant assez attristants : d’après la Fondation L'Oréal Pour les femmes et la Science, les femmes ne représentent que 28% des équipes de chercheurs et près de 89 % des postes universitaires en Europe sont occupés par des hommes. Une étude australienne parue dans la revue PLOS Biology le 19 avril 2018 démontre que la parité dans les disciplines scientifiques sera atteinte ...dans 280 ans.
Les mentalités évoluent lentement et il existe toujours un plafond de verre. Mais ce qui est très préoccupant aujourd’hui, c’est le recrutement et le statut actuel des chercheurs qui pénalisent plus encore les femmes. Au début de ma carrière, il y avait en astrophysique 30% de femmes en poste permanent. Aujourd’hui ce pourcentage diminue, car après le doctorat, il faut attendre en moyenne 6 à 8 ans de post-docs avant de décrocher un statut stable. Ces années difficiles, d’incertitude, de déplacement et de changement de laboratoires tous les deux ans, ne sont pas favorables aux femmes qui aimeraient s’établir pour fonder une famille.
Il est prouvé que les vocations féminines sont encouragées par l’exemple. Vous considérez comme un role model ?
La médaille que je viens de recevoir me donne la responsabilité de jouer un de ces « role model » dont vous parlez, et qui sont nécessaires. Il est certain qu’il faudrait plus d’exemples de carrières et de réussites féminines, pour encourager les jeunes femmes à s’engager dans la recherche et persévérer. C’est pourquoi nous prenons grand soin à l’égalité hommes-femmes dans les comités, la distribution des allocations de recherche et dans les prix de l’Académie des sciences.
« Il me semble que les distinctions de genre sont encore plus accentuées aujourd’hui qu’avant, ne serait-ce que dans les jouets que l’on offre aux enfants. »
Qu’est-ce qui pourrait donner confiance aux jeunes filles de se tourner vers la science ? Comment les encourager et empêcher le « phénomène d’autocensure » ? Faut-il imaginer des quotas pour les femmes en science ?
C’est un problème culturel qu’il faudrait prendre à la base, dès l’école. Il existe des stéréotypes, que perpétue notre société, qui voudraient que les carrières littéraires soient plus adaptées aux femmes et les carrières scientifiques aux hommes. Il me semble que les distinctions de genre sont encore plus accentuées aujourd’hui qu’avant, ne serait-ce que dans les jouets que l’on offre aux enfants. C’est dès le jeune âge qu’il faut combattre ces préjugés.
Quant aux quotas, ils sont nécessaires pour redresser une situation désespérée, mais la plupart du temps, un effort pour penser l’égalité et du volontarisme suffisent sans imposer un cadre trop rigide qui serait contre-productif.
Inversement, lorsqu’on est une « femme scientifique », n’est-il pas pesant d’avoir à répondre à ces questions « genrées » (certaines jeunes chercheuses ne souhaitent d’ailleurs plus en parler défendant qu’elles sont « scientifiques » avant tout ) ?
Exactement. Ce genre de questions n’est posée qu’aux femmes, et si j’avais été un homme, vous ne me l’auriez pas posée ! Au début de ma carrière, je n’y pensais pas du tout. Aujourd’hui, j’ai pris davantage conscience du rôle que nous devons jouer pour entraîner et convaincre les jeunes femmes de se diriger vers la recherche scientifique, et combattre les stéréotypes.
Pour finir, avez-vous un souvenir à partager qui pourrait aider des jeunes scientifiques isolés dans leur vocation et leurs doutes ?
Si l’on est passionné pas sa recherche, que l’on y trouve beaucoup de satisfactions, il faut persévérer. Ne jamais se décourager. Notre métier est fait de recherches, mais aussi d’enseignement et de diffusion de la recherche. Toutes ces activités sont également passionnantes, variées et donnent l’occasion d’exercer ses talents dans de nombreuses directions. Et permettent justement de traverser des moments de doute.
A propos de Françoise Combes Françoise Combes est ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de sciences physiques (1975), et docteur d’État en astrophysique (1980). Elle a été enseignant-chercheur à l’ENS (maître de conférences, 1975-85), sous-directeur du laboratoire de physique à l'ENS (1985-89), puis astronome à l'Observatoire de Paris –PSL (1989-2014). Présidente de la Société française d'astronomie et d'astrophysique (2002-2004) , elle a dirigé le Programme national galaxies du CNRS (2001-2008), et a été présidente du Cofusi (Comité français des unions scientifiques internationales) de 2009 à 2015. Depuis 2004 , elle est membre de l’Académie des sciences. Depuis 2014, elle est professeure au Collège de France, titulaire de la Chaire "Galaxies et cosmologie", et depuis 2019, elle est Vice-présidente de l'Assemblée des Professeurs du Collège de France. |