Michel Serres, né le 1er septembre 1930 à Agen et mort le 1er juin 2019 à Vincennes, était un philosophe et historien des sciences français, membre de l'Académie française et de l'Académie européenne des sciences et des arts. En tant qu'enseignant-chercheur, il a notamment publié des ouvrages faisant autorité en matière d'histoire des sciences, philosophie des sciences et épistémologie. ll avait été admis à l'Ecole normale supérieure en tant qu'élève en 1952.
Un philosophe aventurier, "le paradis, c'est délaisser tout trésor convenu et courir l'inconnu."
D'abord élève de l’Ecole navale, il pensait devenir militaire. Mais s'est finalement détourné, pour étudier en khâgne à Paris. Michel Serres prépare le concours de l’École normale supérieure, où il est reçu en 1952. Sa vocation ? Ce sera la philosophie. Il soutient un diplôme d'études supérieures avec Gaston Bachelard, puis est admis 2e ex aequo à l’agrégation de philosophie en 1955. Georges Canguilhem (1904-1995), qui règne alors sur la Sorbonne, le félicite sobrement : « À ce concours, le meilleur est toujours reçu deuxième. Ce fut naguère mon cas. C’est aujourd’hui le vôtre. »
De 1956 à 1958, il fait son service militaire comme officier dans la Marine nationale. Il rejoint l'enseignement d'abord à Clermont-Ferrand puis à la Sorbonne, avant de partir aux Etats-Unis afin d’y être professeur pendant 47 ans à l’université John Hopkins et Stanford. Il est élu à l’Académie française en 1990.
Son premier livre, paru en 1968, Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques (PUF), est à mi-chemin entre sciences dures et sciences humaines et marque les études leibniziennes en France (Michel Serres a redonné, 50 ans après cette publication, un cours exceptionnel à l’ENS-PSL en décembre 2017, année où Leibniz était au programme de l’agrégation de philosophie. C'est devant un auditoire de jeunes étudiants et d'anciens élèves, comme Jean-Pascal Anfray, Marc Crépon et Fréderic Worms, que Michel Serres avait démontré, avec son célèbre tableau noir, son analyse de la théorie leibnizienne. Réécoutez son cours à l’ENS sur le site des Savoirs ENS)
"Au fond, je suis devenu philosophe à cause d’Hiroshima".
Serres sera profondément marqué par la Seconde Guerre mondiale, la découverte des camps d'extermination et Hiroshima. “L'humanité devient une espèce en voie d'éradication en raison non pas de son environnement, mais de ses propres productions” écrit-il. Il se tourne alors vers la philosophie pour "penser le monde autrement".
Auteur de près de soixante-dix livres, toute son œuvre tend à un décloisonnement des disciplines, à se faire rencontrer science et philosophie, afin de mieux appréhender le réel.
Que faut-il faire pour être philosophe ? Michel Serres répond toujours : «Il faut voyager » ! « Un philosophe doit faire trois voyages, aimait-il à dire. Il doit voyager dans la totalité du savoir, c’est-à-dire être encyclopédiste. Dans la totalité du monde, c’est-à-dire dans les paysages qui permettent de voir la planète. Et dans la totalité des hommes, à travers les classes sociales et les cultures, pour rencontrer le plus de langues et de religions possible ».
La série des Hermès – cinq volumes (« La Communication », « L’Interférence », « La Traduction », « La Distribution », « Le Passage du Nord-Ouest » (éditions de Minuit, 1969-1980) est l'une de ses grandes œuvres. Dans ses cinq livres consacrés à Hermès, Dieu des chemins et des carrefours, des voyages et des échanges, Michel Serres choisit la métaphore marine où le déplacement est de règle à l’intérieur d’un espace de métissages. « L’ensemble de ces Hermès, c’est un peu mon encyclopédie de base. On y retrouve l’ambition que j’évoquais [...] : passer partout, construire un monde où il y a à peu près tout, mathématiques, biologie, philosophie, peinture."
Sur la philosophie encore, il affirmait qu'elle "mobilise cette fonction cognitive inconnue et intégrale, qui lui permet de prendre en charge la totalité du réel et qui se réalise dans des œuvres personnelles. Nous, les philosophes, sommes des enivrés de totalité, ivres de totalité. Mais nous partons toujours d’un point singulier, qui peut être n’importe où. D’où partez-vous ? De n’importe où ! Mais une fois que cela commence, cela envahit tout".
Et comme une annonce sur notre temps, il présageait: "Le grand philosophe de demain sera celui qui repensera tout, du cognitif au politique, car tout est nouveau."
Son dernier ouvrage, “Morales espiègles” est paru en février 2019, quatre mois avant son décès.
Michel Serres et l'ENS
Michel Serres intègre l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1952. Il s’y découvre une passion pour la philosophie, qui fera l’objet de son agrégation en 1955.
L’Ecole normale supérieure, où j’ai obtenu l’agrégation de philosophie, a cette particularité qu’elle mélange depuis deux siècles des littéraires et des scientifiques. Et ça marche ! Je me souviens d’une scène à laquelle j’ai assisté, au début des années 1950, dans le réfectoire de l’ENS. Les scientifiques venaient de recevoir les premiers ordinateurs construits par des Américains. Ils échangeaient sur les mérites de ces machines et se demandaient comment traduire computers en français. Un littéraire, spécialiste du latin et de la théologie médiévale, très éloigné des sciences, s’est invité dans la conversation et a fait le rapprochement avec le deus ordinator, le dieu qui ordonne tout. Le mot ordinateur était né… Tous nos problèmes, aujourd’hui encore, sont interdisciplinaires. Le chômage, par exemple, touche aussi bien l’économie, que la finance, la démographie, la géographie … Dans ce contexte, il est très triste de rencontrer des littéraires qui ne connaissent rien aux sciences et, réciproquement, des scientifiques qui ne savent rien des lettres. Dans les deux cas, ils ignorent tout du monde moderne."
Biographie
1er septembre 1930 : naissance à Agen
1949 : Ecole navale à Brest
1952 : Entrée à l'Ecole normale supérieure
1955 : agrégation de philosophie
1956/58 : officier de marine, participe à l'expédition de Suez
1958 : assistant de philosophie à la faculté de Clermont-Ferrand où enseigne Michel Foucault
1969 : professeur d'histoire des sciences à l'Université Panthéon-Sorbonne
1984 : professeur de philosophie à l'université californienne de Stanford
1985 : "Les Cinq Sens", prix Médicis de l'essai
1990 : élu à l'Académie française (siège occupé par Edgar Faure)
2012 : "Petite Poucette", son principal succès (270.000 exemplaires vendus)
2019: décès le 1er juin