Alexandra Louis, médaille de cristal du CNRS 2020

Une distinction prestigieuse qui récompense des travaux interdisciplinaires entre génétique et informatique

Le projet Genomicus, pour lequel la chercheuse a été primée, est un ensemble de serveurs web puissant permettant des voyages inédits à la découverte des génomes. Une technologie de pointe aux potentielles applications pratiques multiples, comme par exemple l’étude des maladies génétiques.
Alexandra Louis © Camille Bonneau
Alexandra Louis © Camille Bonneau

L’outil informatique pour faire avancer la connaissance en biologie

Ingénieure de recherche au CNRS depuis presque 20 ans, Alexandra Louis travaille à l’Institut de biologie de l’ENS (IBENS) dans l’équipe DYOGEN (Dynamique et Organisation des Génomes) en biologie computationnelle, une discipline à l'interface de l'informatique et des sciences de la vie.
« Réfléchir à comment intégrer des données biologiques, les ordonner, les comparer, pour en extraire de nouvelles connaissances, ou permettre aux autres scientifiques de le faire, est la base de mon travail d’ingénieure. »

Pour la chercheuse, l’obtention de la Médaille Cristal du CNRS est avant tout la reconnaissance d’une discipline plutôt que d’un projet de recherche spécifique. « Ce prix met en avant l’importance de l’interdisciplinarité dans le domaine de la biologie qui, de plus en plus, grâce aux avancées technologiques, produit d’énormes quantités de données à exploiter » se réjouit-elle.

Les recherches actuelles d’Alexandra Louis se concentrent sur la génomique comparative des eucaryotes1 pour reconstruire l’histoire des génomes afin de comprendre leur évolution, parfois sur plusieurs centaines millions d’années. 

L’étude à ces échelles de temps n’étant pas à la portée de l’expérimentation biologique, elle utilise les données connues et accessibles des espèces animales ou végétales modernes pour inférer les états des génomes ancestraux. Par exemple, son équipe travaille en ce moment à la reconstruction de ce qu’était le génome ancestral (le contenu en gènes et leur ordre le long des chromosomes) de l’ancêtre des mammifères, ou encore plus ancien, celui des amniotes, qui sont les ancêtres que nous partageons avec les oiseaux.

Caryotype humain cc Wikimedia Commons - Josef Reischig
Caryotype humain © Wikimedia Commons - Josef Reischig

Genomicus, un ensemble de serveurs web de pointe pour mieux étudier et comprendre les génomes

Pour cela, elle développe au sein de son laboratoire à l’IBENS des méthodes de prédiction et d’inférence, ainsi que des outils informatiques de visualisation et d’aide à la comparaison des données issues des séquençages des espèces modernes.
Parmi ces outils sont créés des serveurs web de pointe, permettant par exemple de visualiser ces états ancestraux. Genomicus, pour lequel elle a obtenu le Prix Cristal CNRS, est une véritable révolution dans l’analyse de données biologiques.

Le projet Genomicus est un serveur permettant de naviguer entre les génomes selon 3 axes différents : linéairement au sein d’une même espèce pour étudier les gènes et leur voisinage direct, transversalement entre plusieurs espèces pour étudier les conservations de gènes et leur impact, et chronologiquement grâce aux reconstructions ancestrales que la chercheuse et son équipe effectuent.

Initialement, Genomicus avait été développé seulement pour l’équipe d’Alexandra Louis afin de pouvoir visualiser et évaluer la pertinence des reconstructions inférées via les algorithmes de DYOGEN. « Mais une fois le projet développé, nous avons pris conscience de l’intérêt qu’il pouvait avoir pour d’autres scientifiques, s’intéressant à d’autres espèces que nous ».

évolution des carotypes de primates
Evolution des carotypes de primates modélisée grâce à Genomicus

 

Un projet interdisciplinaire au service de la communauté scientifique

Soucieuse de partager ses connaissances et fidèle à ses valeurs, Alexandra Louis prend en charge le projet afin de le développer pour le mettre à la disposition de la communauté scientifique, et le faire évoluer en fonction des retours de plus en plus nombreux des utilisateurs.
Dans un premier temps concentré sur les génomes de vertébrés, elle se penche sur de nouvelles versions destinées à d’autres communautés scientifiques. Ainsi aujourd’hui, plusieurs serveurs Genomicus sont disponibles, focalisés sur l’évolution des vertébrés, des plantes, des champignons ou encore des métazoaires ou des protistes.

Car comprendre le fonctionnement des génomes modernes et savoir les comparer efficacement peut avoir des applications pratiques primordiales. Ainsi, en facilitant le transfert d’information biologique entre espèces, la génomique comparative et Genomicus sont des outils incroyables pour exploiter les résultats obtenus sur des espèces modèles, « que ce soit pour l’amélioration des espèces de riz à partir d’une mutation chez le chou, ou pour comprendre le fonctionnement d’un gène de maladie humain à partir d’une mutation chez son homologue de la souris. » explique Alexandra Louis.

Cependant, pour la scientifique, il est important de rappeler que la recherche effectuée au laboratoire, est une recherche dite fondamentale2. Le but est de comprendre comment fonctionne le vivant en retraçant son histoire. « Si les études que nous menons peuvent aboutir à de la recherche appliquée, ce n’est pas leur but premier, et la Médaille Cristal représente pour moi, une manière d’appuyer l’importance que peut encore avoir la recherche fondamentale aujourd’hui. »

 

S’épanouir avec le sentiment de travailler pour l’intérêt général

Forte de son expérience et de sa réussite, Alexandra Louis n’hésite pas à partager conseils et vécu à ceux qui voudraient se diriger dans la recherche, comme par exemple de bien réfléchir aux raisons qui motivent ce choix de carrière. « C’est un métier de plus en plus difficile qui n’est pas épargné par la précarité et souffre de salaires trop souvent peu attractifs » indique-elle.  « Mais il y a heureusement beaucoup d’aspects positifs, nuance la chercheuse, comme le travail à l’international qui est toujours enrichissant, un degré d’autonomie important et la variété des activités qui est extrêmement stimulante » (conception, développement, mise en œuvre d’outil, de protocoles, la formation & l’enseignement, la rédaction d’articles, les participations à des conférences nationales et internationales, l’encadrement d’étudiants, doctorants et CDD ...).

«Avec beaucoup de détermination, d’imagination et une capacité à sortir des sentiers battus pour aller chercher des réponses à des questions que l'on ne se pose pas encore, alors c’est un domaine où l’on peut vraiment s’épanouir avec le sentiment de travailler pour l’intérêt général. Il est bien évidemment nécessaire d’apprécier le travail d'équipe, d’être curieux de tout, de se remettre en question, et de s'intéresser continuellement à ce que font les autres. Il faut savoir apprendre en permanence et, de manière complémentaire, être capable de transmettre de la connaissance.»

 

1 Les eucaryotes regroupent tous les organismes, unicellulaires ou multicellulaires, dont les cellules sont caractérisées par la présence d'un noyau constitué par une enveloppe nucléaire. Ce noyau, compartiment séparé du reste du contenu cellulaire, contient l’ADN. Animaux, plantes et champignons sont par exemple des organismes eucaryotes.
2 La recherche fondamentale consiste en des travaux entrepris principalement en vue d'acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements des phénomènes et des faits observables, sans envisager une application ou une utilisation particulière. La recherche appliquée, quant à elle, est surtout dirigée vers un but ou un objectif pratique déterminé (ex : trouver un vaccin, un traitement…).

 

À propos d’Alexandra Louis

Alexandra Louis est experte en ingénierie logicielle, ingénieure de recherche dans l’équipe DYOGEN (Dynamique et Organisation des GENomes) à l’institut de biologie de l’École normale supérieure (CNRS/ENS Paris/INSERM) - Délégation Paris - Centre - Institut des sciences biologiques (INSB).
Elle a commencé ses études par un parcours de biologie à l’université, avec une spécialisation en génétique moléculaire à l’université Pierre et Marie Curie. Lors de sa maîtrise elle se rend compte de l’importance de l’outil informatique dans l’exploitation des données biologiques.  Celles-ci, de plus en plus nombreuses grâces aux avancées technologiques deviennent aussi de plus en plus difficile à exploiter.

 

Rapidement, elle s’oriente vers l’apprentissage de la programmation et de la bioinformatique et réalise une thèse au sein de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines sur l’exploitation des données génomique de la première espèce végétale modèle séquencée, Arabidopsis thaliana. « Dès cette période, j’ai eu à cœur de partager mes développements et mettre à la disposition de la communauté scientifique des outils internet visuels d’aide à l’analyse et l’interprétation des génomes. »