HiSCORE : mettre à profit les découvertes les plus innovantes de la RMN pour trouver de nouveaux médicaments
Un projet lauréat de la prestigieuse bourse ERC Synergie 2020
HiSCORE (Highly informative drug screening by overcoming NMR restrictions) c’est l’ambition de développer le criblage de nouveaux médicaments à fort contenu informatif et à haut débit, par résonance magnétique nucléaire. Ce projet de recherche initié par le professeur Geoffrey Bodenhausen (département de chimie de l’École normale supérieure - PSL) en collaboration avec Arno Kentgens (Radboud Universiteit Nijmegen, Pays-Bas), Jan Korvink et Benno Meier (Karlsruhe Institut für Technologie, Allemagne) a reçu un soutien majeur cet automne en obtenant un financement Synergie 2020 du Conseil européen de la recherche (CER/ERC). Un soutien qui avoisine les 14 M€ et permettra le travail de plusieurs dizaines de chercheurs.
Le projet lauréat de la prestigieuse bourse ERC Synergie 2020 est un concentré d’ingénierie et de sciences qui ne manque pas de poésie. Une grande histoire de spin en somme.
HiSCORE, un projet d’ingénierie avant-gardiste d’accélération du criblage grâce à la RMN
Le criblage de molécules à haut débit est l’une des techniques les plus utilisées dans la recherche de traitements médicamenteux. Elle consiste à « scanner » des substances chimiques pour trouver celles qui ont une affinité maximale avec une cible thérapeutique, souvent une macromolécule telle qu’une protéine ou un acide (ribo)nucléique. Un processus que l’on peut comparer à la recherche de la meilleure clé correspondant à une serrure précise.
Il existe une bonne dizaine de méthodes de criblage de molécules à haut débit, impliquant des compétences hautement techniques dans des domaines scientifiques aussi variés que la robotique, la chimie analytique, la physique statistique, ou encore l’intelligence artificielle.
Mais beaucoup de ces méthodes présentent des inconvénients, notamment dans la fiabilité des résultats : « souvent, on obtient des réponses booléennes, quant à l’adéquation des molécules testées. On obtient souvent des faux positifs, où la molécule s’avère finalement inutilisable, mais aussi des faux négatifs, qui peuvent nous faire passer à côté de potentiels traitements. Ces techniques, qui possèdent donc une marge d’erreur importante, sont pourtant utilisées couramment à large échelle dans l’industrie pharmaceutique », détaille Geoffrey Bodenhausen, professeur au département de chimie de l’École normale supérieure – PSL et responsable du projet HiSCORE.
Les experts du secteur sauront déjà que le chercheur est un scientifique mondialement reconnu dans la résonance magnétique nucléaire (RMN), un outil qui s’avère important dans la recherche de traitements thérapeutiques, car elle peut quantifier l’affinité et cartographier l’interface entre les médicaments et les cibles macromoléculaires (1).
Cette méthode est non seulement l’une des plus précises mais fournit une information très abondante. Cependant, elle manque cruellement de rapidité et de sensibilité pour analyser les vastes bibliothèques de médicaments candidats, qui ne cessent de s’enrichir de substances synthétiques et naturelles : « si les méthodes de criblage RMN sont les plus précises, elles sont encore très lentes, environ 10 000 fois moins rapides que les méthodes de criblage haut débit », estime Geoffrey Bodenhausen.
Le projet d’ingénierie HiSCORE développé par le chercheur et son équipe au Laboratoire des Biomolécules, en collaboration avec trois laboratoires internationaux, devrait permettre d’accélérer 10 000 fois environ les performances de cette méthode. L’appareil ultraperformant qui s’apprête à voir le jour couplera ainsi précision et vitesse inégalée de criblage de molécules. « Il pourra ainsi puiser dans les immenses banques de molécules que sont les chimiothèques actuelles, et identifier les molécules les plus efficaces sur une cible donnée, avec une vitesse et une sensibilité inégalées », explique Geoffrey Bodenhausen.
Demain HiSCORE pourrait ainsi avoir un fort impact sur la découverte de médicaments, notamment dans le traitement de maladies rares. Au-delà des enjeux de pharmacologie et de traitements médicaux, il aura aussi des effets considérables sur des projets de recherche fondamentale en physique, en chimie et en biologie, ouvrant des territoires inattendus dans les trois disciplines.
La résonance magnétique nucléaire (RMN) pour déterminer la structure de molécules
La RMN est un outil incontournable en médecine mais aussi en chimie. Elle est particulièrement utile pour mesurer des distances entre atomes, suivre une réaction chimique ou bien encore faire de l'imagerie médicale (IRM, ou imagerie par résonance magnétique).
Cette méthode permet de déterminer la structure de molécules en se fondant sur la mesure de l'absorption d’un rayonnement de radiofréquence (RF) par le noyau d’un atome plongé dans un champ magnétique intense.
L'absorption de ce rayonnement amène les spins nucléaires à s’aligner. Le spin nucléaire est une caractéristique intrinsèque d’un noyau comme sa masse et sa charge et joue un rôle essentiel dans les propriétés de la matière. Après avoir absorbé l'énergie, les noyaux atomiques réémettent en retour un rayonnement RF d’une fréquence très précise et qui leur est propre, avant de retourner à leur état initial de moindre énergie (2).
Le groupe de recherche « Structure et dynamiques des biomolécules » de Geoffrey Bodenhausen, composante du Laboratoire de Biomolécules (UMR 7203, Sorbonne Université, CNRS, ENS-PSL) travaille sur divers aspects fondamentaux et appliqués de la RMN, en se concentrant sur le développement de nouvelles méthodes pour la résonance magnétique nucléaire en solution, en phase solide ou gazeuse, ainsi que pour l'imagerie par résonance magnétique (IRM). (3)
Combiner les concepts les plus innovants de la RMN pour relever les défis pharmacologiques
L’objectif du projet HiSCORE est ainsi d’optimiser la technique de criblage RMN en combinant pour la première fois des techniques d’hyperpolarisation et des détecteurs miniaturisés de pointe, afin de déterminer plus rapidement l’affinité de molécules qui correspondent à une cible thérapeutique. Ce projet d’ingénierie haute technologie, ambitieux et révolutionnaire, implique la collaboration de quatre laboratoires aux compétences complémentaires, secondés par deux experts en criblage des médicaments.
Les équipes de Benno Meier de l'Institut pour les interfaces biologiques du Karlsruhe Institute of Technology (KIT) en Allemagne et du professeur Arno Kentgens de l'Université Radboud de Nimègue aux Pays-Bas développeront des méthodes de polarisation des spins nucléaires (1).
L'équipe de Jan Gerrit Korvink, directeur de l'Institut de technologie des microstructures du KIT, apportera des compétences en design et ingénierie microtechnique. Les chercheurs utiliseront la technologie de miniaturisation MEMS pour effectuer un grand nombre de mesures en parallèle mais aussi des ressources informatiques de pointe pour automatiser l’analyse des données grâce au machine learning.
Le croisement d’expertises des méthodologies RMN réunies dans l’équipe scientifique pilotée par Geoffrey Bodenhausen permettra de coordonner la constitution de chimiothèques de molécules. Ils seront épaulés dans cette tâche par les docteurs Alvar Gossert (ETH Zurich), et Claudio Dalvit (Trento). Tous deux sont experts en criblage de médicaments pharmaceutiques. Le groupe de recherche ENS-PSL sera aussi chargé d’améliorer les méthodes d'évaluation quantitative des interactions entre les molécules médicamenteuses et leurs cibles biomoléculaires.
Le processus de recherche s’annonce long et complexe, mais « si les deux principaux obstacles à la généralisation de l'utilisation du criblage par RMN – faible sensibilité et faible débit – parviennent à être levés, nous souhaiterons alors faire la liaison avec les fabricants d’instruments d’analyse puis avec les sociétés pharmaceutiques pour démocratiser HiSCORE. Dans le première phase cependant, nous souhaitons demeurer à l’écart de toutes contraintes commerciales», indique Geoffrey Bodenhausen.
Ces appareils de haute technologie pourraient permettre de trouver de nouveaux médicaments pour traiter toutes sortes de maladies, qu’elles soient infectieuses, bactériennes, virales, génétiques… Un projet qui raisonne particulièrement avec la crise sanitaire mondiale et qui motive tout spécialement l’équipe du chercheur.
« De manière générale, la recherche est un métier très gratifiant. On a l’impression de construire quelque chose qui sera bénéfique à tous, qui n’est pas limité à un pays. C’est aussi ce que je ressens en participant au projet HiSCORE. »
Professeur au département de Chimie de l’ENS-PSL depuis 1996, Geoffrey Bodenhausen a souhaité profiter de cet article pour saluer l’ambiance interdisciplinaire de l’École, très stimulante. Interrogé sur ce sujet, sa réponse fait sens : « pourquoi séparer à tout prix les sciences humaines et inhumaines ? En tant que chimiste, je sais qu’il faut beaucoup de poésie et de distance pour apprécier les sciences « dures », pour utiliser un mot que je n’aime pas beaucoup. » Et il conclut, à propos de l’École et des équipes qu’elle abrite, en rappelant qu’elle « est un lieu de culture et de civilisation exceptionnel, que chacun de ses chercheurs possède un riche réseau international d’amis et de collègues ».
(1) Sources : communiqué de presse du Karlsruhe Institute of Technology, Drug Screening at Far Higher Throughput, 5 nov. 2020 - communiqué de presse de la Radboud Universiteit, ERC Synergy Grant for Arno Kentgens (Magnetic Resonance Research Center), 5 nov. 2020
(2) Source : pourlascience.fr, Qu’est-donc le spin ?, 24 février 2017
(3) Source : paris-en-resonance.fr, le site de l’équipe de recherche de Geoffrey Bodenhausen
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En savoir plus sur les deux autres projets lauréats 2020 de l'ENS : le projet MICRO-COPS d'Antoine Triller à l’Institut de Biologie, et le projet LiquOrg de Frédéric Pincet au laboratoire de Physique.
À propos de Geoffrey Bodenhausen
Geoffrey Bodenhausen est professeur de chimie à l'École normale supérieure - PSL depuis 1996, il dirige l'équipe Structure et dynamique des biomolécules au Laboratoire des Biomolécules (UMR 7203 ENS-PSL, CNRS, SU). Le chercheur est un spécialiste de la résonance magnétique nucléaire (RMN), une discipline qui permet d'aborder la matière aussi bien avec les yeux d'un chimiste qu'avec ceux d'un physicien ou d'un biologiste.
Geoffrey Bodenhausen a étudié la chimie à l'ETH de Zurich, avant de rédiger une thèse doctorale à Oxford sous la direction du Dr Ray Freeman. Il commence ses recherches postdoctorales avec Robert et Regitze Vold à l'Université de Californie à San Diego. Il travaille ensuite avec Leo Neuringer et Robert G. Griffin au Massachusetts Institute of Technology puis, en 1980, il rejoint l'ETH de Zurich, au sein du groupe de Richard R. Ernst (futur Prix Nobel de chimie en 1991), en collaborant avec Kurt Wüthrich (futur Prix Nobel de chimie en 2002).
En 1985, il est nommé professeur à l'Université de Lausanne, avant de devenir professeur à la Florida State University à Tallahassee en 1994 et directeur du centre interdisciplinaire de résonance magnétique (CIMAR) du laboratoire national américain des champs magnétiques (MagLab) en Floride. En 1996, il est élu fellow de l'American Physical Society « pour ses nombreuses contributions à faire de la résonance magnétique l'une des méthodes les plus sophistiquées et les plus polyvalentes disponibles pour obtenir un aperçu de la structure et de la dynamique des molécules en phase condensée et gazeuse. »
Geoffrey Bodenhausen a obtenu de nombreuses distinctions pour ses recherches. Le chercheur a été nommé docteur honoris causa de l’Université de Stockholm (1993), membre correspondant de l'Académie royale des arts et des sciences des Pays-Bas (1997), fellow de la Société internationale de résonance magnétique (2008) et Chevalier de la Légion d’honneur en 2017. Il obtint aussi le Prix Catalan-Sabatier de la Société royale espagnole de chimie en 2006 et le Prix Günther Laukien en 2019. |