Jean Dalibard
Promotion 1977 - Sciences - Médaille d'or 2021 du CNRS
Physicien, pionnier de l’étude de la matière quantique ultra-froide - Médaille d'or du CNRS 2021
Jean Dalibard, né le 8 décembre 1958, est physicien, spécialiste de l’interaction matière-rayonnement et plus particulièrement de la manipulation d’atomes par laser. Après des études à l'École normale supérieure (1977-1981), il a effectué son doctorat d’État sous la direction de Claude Cohen-Tannoudji de 1982 à 1986. Lauréat du Prix des trois physiciens (2010), il a été chercheur au CNRS jusqu'en 2012, date de son élection au Collège de France, et professeur à l’École polytechnique de 1989 à 2015.
Il dirige l’équipe de recherche « Condensats de Bose-Einstein » au sein du laboratoire Kastler Brossel et il est titulaire de la chaire "Atomes et rayonnement" au Collège de France.
Il a été chercheur invité au National Institute for Standards and Technology (États-Unis), au laboratoire Cavendish de l'université de Cambridge (Royaume-Uni), et il a enseigné dans plusieurs universités étrangères. Il est membre de l’Académie des sciences et de la National Academy of Sciences (États-Unis).
L’ENS, un libre apprentissage et une immersion dans la recherche
Pour l'ancien élève de la rue d'Ulm, la première année à l’École a été très particulière : « en 1977, il n’y avait pas de magistère et nous devions obtenir en un an une licence et une maîtrise. En principe, nous devions suivre deux enseignements à la fois, ce qui était impossible. En pratique, nous n’allions donc à aucun cours, sauf quelques travaux dirigés, et nous appréciions beaucoup cette liberté. Notre apprentissage se faisait dans les livres, de manière pas très structurée, mais au bout du compte c’était vraiment très enrichissant.» La deuxième année sera "plus structurée" avec des enseignements qui ont marqué l'étudiant, « ceux de Claude Cohen-Tannoudji étaient vraiment exemplaires.»
Jean Brossel sera une autre rencontre décisive dans son parcours et dans l'enseignement des sciences : « Il ne faisait pas l’unanimité parce qu’il nous parlait uniquement d’expériences, mais j’avais personnellement trouvé étonnant de pouvoir « raconter des histoires » à propos de la physique. C’était la première fois dans ma scolarité que je voyais un professeur enseigner les sciences de cette façon, en décrivant les difficultés rencontrées par les expérimentateurs plutôt qu’en écrivant des équations.»
Pour Jean Dalibard, qui a dispensé des enseignements tout au long de sa carrière, l'ENS possède une spécificité : les élèves sont immergés dans le monde de la recherche dès leur premier mois d’intégration. « Dans la plupart des établissements d’enseignement supérieur français, les élèves ne traversent pas de labos en allant en cours, et ne croisent pas de chercheurs sauf à l’occasion d’enseignements magistraux. Nos élèves sont toujours les bienvenus s’ils poussent une porte de labo au hasard pour poser une question entre deux cours ; c’est une chance rare que leur offre l’École.»
L'ambition et l'humilité
Très tôt, le physicien a ressenti un fort intérêt pour la science et la technologie. « J’avais une dizaine d’années quand Armstrong a posé le pied sur la lune et je me rappelle avoir rêvé de participer à une telle aventure humaine, pas vraiment en allant moi-même dans l'espace, mais en contribuant à l'effort technologique extraordinaire qu'elle représentait.»
Pour atteindre cet objectif et faire de la recherche, le scientifique évoque deux caractéristiques essentielles du chercheur : l’ambition et l’humilité. « L'ambition, c'est oser se dire : «personne n’a réussi à le faire, donc j’essaye ». Et l’humilité qui l'accompagner, consiste à prendre le temps d’aller voir ce que les autres ont fait, de les écouter raconter leurs succès et leurs échecs. Chaque chercheur doit trouver ce compromis entre l’ambition concernant l’objectif et la modestie devant ce qui a été accompli.»
Aux futurs étudiants qui s'engagent dans la recherche, l'agrégé de physique conseille avant tout de "garder toute son énergie et son enthousiasme pour la recherche, sans défaitisme ni autocensure.»
Travaux de recherche
«Quand on débute en recherche, je crois qu’on choisit un sujet autant pour l’intérêt intrinsèque qu’on lui porte que pour la personne qui vous le suggère. Dans mon cas, la proposition venait de Claude Cohen-Tannoudji et je lui ai dit oui les yeux fermés. Je n’ai jamais regretté ce choix, bien au contraire. C’est un domaine à la fois ludique et extrêmement riche.»
La recherche de Jean Dalibard se situe à l'interface entre la physique atomique, l'optique quantique et la physique statistique, et plus particulièrement sur la manipulation d'atomes par des champs électromagnétiques. Il est internationalement reconnu comme l’un des chefs de file du domaine des gaz quantiques, notamment les condensats de Bose-Einstein, un état particulier de la matière à très basse température. Il étudie les propriétés des assemblées d’atomes que des lasers permettent de ralentir, voire d’arrêter. Une fois immobilisés, ces atomes peuvent être piégés dans des configurations géométriques contrôlables, en vue d’explorations fondamentales ou d’applications.
Le chercheur, spécialiste de la physique des atomes froids, a toujours trouvé « fascinant de pouvoir contrôler et guider le mouvement de particules microscopiques ». « Grâce à une lumière bien choisie, on place une assemblée d’atomes dans un état peu conventionnel et éloigné de notre intuition habituelle, tout en continuant à l’observer à l’œil nu et la manipuler à volonté. C’est une des rares situations où on a un accès direct, visuel, aux lois fondamentales de la Nature dictées par la mécanique quantique.»
Les études actuellement en cours dans l'équipe de Jean Dalibard visent à approfondir notre compréhension du comportement de la matière à très basse température. La ligne directrice est le développement d'une « ingénierie quantique » cherchant à reproduire avec les gaz d'atomes froids des situations que l'on rencontre dans d'autres domaines allant de la physique nucléaire à l'astrophysique, en passant par la science des matériaux ; en d'autres termes, ces gaz ultra-froids constituent des « simulateurs » avec lesquels on espère modéliser le comportement d'autres systèmes quantiques plus difficilement contrôlables.« Utiliser les atomes froids pour résoudre des problèmes ouverts en physique de la matière condensée ou en astrophysique est une perspective passionnante, qui renouvelle complètement notre domaine de recherche.»
Pour le physicien, la recherche en atomes froids est d’abord pilotée par la curiosité, et sa plus grande fierté "est probablement la diversité des choses qui ont été faites dans notre équipe, tant sur le plan théorique qu’expérimental. Le regret principal est de manquer de temps pour explorer toutes les pistes ouvertes. Mais dire qu’on manque de temps, c’est aussi dire qu’on ne s’ennuie pas..."
Principales distinctions
Membre de l'Académie des sciences, 2004
Membre de European Academy of Sciences, 2009
Visiting Fellow de Trinity College, Cambridge, 2010
Membre de l'Academia Europaea, 2011
Fellow de Optical Society of America, 2012
Prix Gustave Ribaud de l'Académie des sciences, 1987
Prix Mergier Bourdeix de l'Académie des sciences, 1992
Prix Jean Ricard de la Société française de physique, 2000
Médaille Blaise Pascal de l'European Academy of Sciences, 2009
Prix des trois physiciens, Fondation de France, 2010
Prix Davisson-Germer de l'American Physical Society, 2012
Prix Max Born de l'American Optical Society, 2012
Prix BEC Award, 2017
Médaille d'or du CNRS 2021
Médaille d'or du CNRS 2021
La médaille d'or 2021 récompense le physicien Jean Dalibard pour ses travaux pionniers en physique de la matière quantique ultra-froide. Il a grandement contribué à l’émergence des technologies quantiques, qui reposent sur une compréhension profonde des propriétés quantiques de la matière et leur contrôle. Après une carrière de 30 ans au CNRS, il est aujourd’hui professeur au Collège de France. La médaille d’or du CNRS lui sera remise le 8 décembre 2021 lors d’une cérémonie à Paris.
Pour Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, « Les travaux de Jean Dalibard ont contribué à l’émergence des technologies quantiques, par la mise au point de sources d’atomes refroidis et piégés par la lumière, ainsi que par la proposition de simulateurs quantiques utilisant ces gaz atomiques ultra-froids pour résoudre des problèmes complexes issus d’autres domaines de la physique. C’est la carrière d’un chercheur et enseignant remarquable que le CNRS souhaite distinguer en décernant sa médaille d’or 2021 à Jean Dalibard, qui a travaillé durant 30 ans au CNRS, avant de rejoindre le Collège de France. La renommée internationale de ce spécialiste des atomes froids témoigne de la force et du rayonnement de l'école française de physique.» |