« La recherche comporte une dimension de passage de relais. »
Rencontre avec Auriane Duchemin, chercheuse en neurosciences
Auriane Duchemin vient tout juste de soutenir sa thèse sur l’activité neuronale des poissons-zèbres. Un travail qui permet des avancées dans l’étude en temps réel de l’activité cérébrale. Elle nous raconte cette aventure.
L’entretien pour ce portrait a lieu deux jours après la soutenance de sa thèse. Auriane Duchemin est plutôt apaisée : « Comme tout thésard et thésarde, la veille de la présentation, j’étais en panique. Finalement, ça s’est bien passé. » Le chemin a été long pour la jeune doctorante, mais son appétence pour la neuroscience date d’il y a longtemps. « Je me souviens que ma mère m’avait offert un livre d'illusions d'optique, lorsque j’avais huit ans. Cela me fascinait complètement et je passais des heures à le lire et à le relire, en me posant des questions sur le pourquoi du comment. » Après le lycée et une classe préparatoire, Auriane intègre l’ENS Cachan où elle commence sa spécialisation en neurosciences. Depuis 2017, elle était en thèse à l’ENS-PSL et travaillait sur le fonctionnement neuronal des poissons-zèbres : « J’avais fait un stage de neuf mois sur les rongeurs, mais j’avais tendance à trop m’attacher à eux. Je suis tombée un peu par hasard sur les recherches sur le poisson-zèbre et très vite, ça m’a plu. »
De la transparence neuronale des poissons-zèbres
Les recherches sur le poisson-zèbre datent d’une quarantaine d’années. On les trouve dans les cours d’eau d’Asie et dans les laboratoires du monde entier où son génome est très connu. Sa larve est beaucoup utilisée parce que sa transparence facilite l’observation. La chercheuse étudie plus particulièrement l’activité neuronale du poisson face à une projection en mouvement. Elle utilise pour cela des images de barres verticales que le poisson-zèbre va suivre des yeux dans différentes directions. « Mon poisson a été modifié pour exprimer une protéine dans le cerveau qui est fluorescente lorsque les neurones entrent en activité, explique-t-elle. Quand le neurone est actif, il va y avoir un afflux de calcium et la protéine va réagir, comme une ampoule qui s’allumerait. Le poisson est placé dans une sorte de gel – un peu comme de l’agar-agar utilisé en cuisine –, cela réduit ses mouvements et permet de le filmer pour analyser son activité neuronale, en même temps que son comportement (le mouvement de ses yeux, qui ne sont pas limités par le gel). » Ces données permettent de faire avancer la recherche sur le fonctionnement neuronal du cerveau, y compris pour l’humain, comme le confirme Auriane : « Même si les cerveaux n’ont pas la même structure, nous avons beaucoup de neurones et de neurotransmetteurs en commun. Ces études permettront de faire des hypothèses plus précises chez l'humain qui pourront être testées à l’avenir. » Un des membres de son jury de thèse avait d’ailleurs travaillé sur le même sujet, il y a vingt ans. « Il était content de voir que quelqu’un avait repris et poursuivi son travail. Il est vrai que la recherche comporte cette dimension indéniable de passage de relais. Nous ne sommes qu’une partie d’un ensemble qui nous dépasse. »
L’amour de la médiation scientifique
Pendant ses années de thèse, Auriane a mené de front une mission doctorale de médiation scientifique à la Cité des Sciences et de l’Industrie et plus précisément à la Cité des Enfants. Elle y a effectué des animations scientifiques et des ateliers, avec des classes d’une trentaine d’élèves ou des familles. « Les sujets étaient très variés : de la fabrication de la neige au fonctionnement du système solaire, en passant par les animaux du désert ou encore les cultures nomades. Il y avait un mélange de sciences explicatives et de spectacle interactif qui me plaisait beaucoup. Chaque jour était différent, avec des questions très hétérogènes de la part des spectateurs. » Cette expérience a particulièrement marqué la doctorante, qui s’est découvert une passion de vulgarisatrice : « Il fallait que je sois prête face à toutes les interrogations du public et ça me permettait également d’avoir une vision d’ensemble des domaines et matières scientifiques. Sortir de mon laboratoire et de ma zone de confort m’apportait une forme de respiration par rapport à ma thèse. La recherche contribue à la société, mais cette dimension-là de l’impact scientifique reste un peu moins visible. » Après sa thèse, Auriane Duchemin aimerait se diriger vers la médiation scientifique ou peut-être le journalisme, pour transmettre le goût de la science à des futurs chercheuses et chercheurs, comme le livre d’illusions d’optique l’a fait pour elle.