« Le prisme de la médecine et de son Histoire permet de mettre en lumière de nombreux éléments sociétaux sous-jacents. »
A propos du séminaire "Approches historiques de la médecine et de la santé"
Depuis le mois de mars, un séminaire dirigé par Luc Berlivet, chargé de recherche CNRS-EHESS et Maria Pia Donato, professeure d’université et directrice de recherche (CNRS-ENS-Paris 1) traite de l’évolution de la médecine, en Europe occidentale, de la Renaissance à nos jours. L’occasion de revenir sur la manière dont le savoir concernant les maladies et la santé, ainsi que les conséquences sociales et politiques des épidémies et des pandémies ont évolué au fil du temps.
Un cours pour toutes et tous
Depuis quelques années déjà, Luc Berlivet et Maria Pia Donato ont repris le séminaire « Approches historiques de la médecine et de la santé », assuré en collaboration avec l’EHESS, en le modernisant régulièrement et en se partageant les approches : moderniste (fin du Moyen-Âge, jusqu’à au début du XIXe siècle) pour Mme Donato et contemporanéiste (XIXe et XXe siècles) pour M. Berlivet. « Les modalités de cours ont quelque peu changé, explique la directrice de recherche, pour le transformer en un cours d'initiation à l’Histoire de la médecine et de la santé, ouvert à tout le monde. » Les séances sont ainsi suivies indifféremment par des élèves du département d'histoire, de philosophie, mais aussi par des étudiants en médecine ou en biologie. Les huit séances de trois heures permettent de décortiquer la mise en place des politiques de santé publique en distinguant les actions qui visent à l’amélioration de la santé des individus de celles ayant un impact sur la santé des populations. Avec précision, les chercheurs passent en revue les logiques sous-jacentes, les outils scientifiques et institutionnels qui fondent une politique de santé publique ou encore les difficultés rencontrées lors de sa mise en œuvre.
Bien que la tentation soit forte d’effectuer des parallèles avec notre époque, Luc Berlivet et Maria Pia Donato veulent éviter tous raccourcis : « C’est un truisme qu’il faut toujours rappeler : l’historien vit dans le temps présent et l’Histoire lui sert à l’éclairer. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de disciplines très anciennes, comme la médecine. Il est vrai que parfois, si on discute des épidémies du Moyen-Âge, on a l'impression d'y voir des échos avec le temps présent. Il faut se méfier des faux semblants de la sorte. »
« Ces temps d’enseignement sont essentiels à la vie d’un chercheur ; c’est le véritable sens de ce que l’on fait. Le meilleur retour possible est de voir les étudiants passionnés par un sujet, doublé de la sensation précieuse de leur faire découvrir des choses » Maria Pia Donato.
La question de l’expert-médecin
Les séances sont structurées autour de quatre grands thèmes : « Épidémies, sociétés et médecine », « Le regard changeant sur la maladie et la santé », « Les professions médicales », et « Les transformations du recours au médecin-expert ». Cette division était une nécessité, indique Maria Pia Donato : « Nous n’avons que vingt-quatre heures pour cette plongée dans l’Histoire de la médecine et de la santé et il y a tellement de questions à aborder avec un public hétérogène. Des choix ont dû être faits. » La dernière séance viendra plus particulièrement interroger la figure du médecin-expert à différentes époques : « Dès le Moyen-Âge, le médecin est l’expert. Il est celui qui manie aisément la doctrine et l’expérience. Il sait manier la théorie et juger les situations particulières. Et cela représente très bien la manière dont, pendant des siècles et encore aujourd’hui, on définit la médecine, à la fois science et art. Il faut respecter l’équilibre entre ces deux dimensions : votre médecin traitant adapte les connaissances et les traitements à votre cas particulier. »
Très vite, les médecins en tant qu’experts, c’est-à-dire, en tant que détenteur d’un savoir et d’une expérience, se taillent un rôle social et politique dans la société, qui prend plus ou moins d’importance suivant les siècles. « La décision finale ne leur revient pas, au Moyen-Âge comme aujourd’hui, mais ils se doivent de conseiller, selon leurs connaissances et expériences, détaille Maria Pia Donato. Dans le temps récent de la pandémie, sans exagérer les analogies avec un passé sans commune mesure avec nos sociétés contemporaines, on a constaté que le rôle des médecins vis-à-vis des décideurs politiques n’avait pas changé de nature. Leur visibilité a été accrue, mais cela est dû à la centralité des politiques de santé des États modernes, et à l’évolution de la structure de l’information a évolué. La pandémie a simplement mis en lumière ces changements. » Les séances sont ouvertes à tous et se poursuivent jusqu’au 11 mai 2022.