« On sait valoriser dans l’État la liberté d’esprit et la qualité intellectuelle qui sont la marque de fabrique des normaliens. »
Entretien avec François-René Burnod et Benoît Chatard à propos du séminaire « L’État en question(s) »
10 % des normaliens entreprennent une carrière dans la fonction publique en dehors de la recherche et de l’enseignement. Depuis février, pour le séminaire « L’État en question(s) », des jeunes hauts fonctionnaires viennent partager leur expérience et échanger avec les étudiantes et les étudiants, quel que soit leur projet professionnel. François-René Burnod (Lettres, 2013) et Benoît Chatard (Lettres, 2013), organisateurs de ce séminaire, nous en racontent l’origine.
Pouvez-vous nous raconter l’origine de ce séminaire ? D’où en est venue l’idée ?
François-René Burnod : D’un effet de surprise : en entrant dans le monde professionnel, j’ai découvert que de nombreux normaliens occupent des postes très divers au sein de la fonction publique. Ainsi, par exemple, il y a plusieurs normaliennes et normaliens au Conseil d’État, mais je ne le savais pas avant d’intégrer cette institution.
Benoît Chatard : Nous voulions aussi revenir à l’École et rencontrer les jeunes promotions. L’idée était de leur proposer quelque chose qui nous aurait plu quand nous étions à leur place ! D’où l’idée de ces rencontres avec de jeunes fonctionnaires qui parlent très concrètement de leur expérience de début de carrière. Cela peut nourrir des travaux de recherche, aider les élèves à faire leurs choix professionnels ou tout simplement permettre à des gens très différents de se rencontrer.
Comment avez-vous préparé le contenu des séances ? Comment avez-vous choisi les intervenants et intervenantes ?
François-René et Benoît : Nous avons largement mobilisé notre réseau et nous avons essuyé peu de refus. Les collègues sont très intéressés de venir à l’École. S’ils sont normaliens, ils sont heureux de retrouver une maison qui leur est chère, s’ils ne le sont pas, curieux de découvrir de l’intérieur une école qui a une aura indéniable. Pour le contenu des séances, nous avons donné carte blanche à nos intervenants et une grande liberté éditoriale. Nous pensons que c’était la meilleure manière de faire découvrir des cultures professionnelles variées. On ne pense pas du tout la crise avec la même conduite au ministère de l’Intérieur, au ministère des Solidarités et de la santé ou au ministère de l’Économie.
Comment avez-vous réussi à combiner, en termes de contenus de cours, la préparation aux concours administratifs et l’aspect recherche inhérent à l’ENS ?
François-René et Benoît : C’était l’aspect le plus stimulant de cette préparation. Notre public est composé tant de préparationnaires actuels des concours administratifs ou de normaliens qui s’y destinent, que de chercheurs et de normaliens intéressés par la recherche. C’est quelque chose de très stimulant pour nos intervenants que de s’adapter pour parler aux deux publics. Beaucoup de nos invités avaient pu enseigner dans le cadre de préparations aux concours administratifs, ils étaient en quelque sorte « habitués ». Ils relèvent en revanche le défi en recherchant dans leur présentation et dans les échanges des résonances sociologiques, philosophiques ou historiques susceptible d’intéresser les normaliennes et les normaliens qui ne sont pas dans cette dynamique.
Vous abordez, pendant plusieurs séances, de multiples crises. L’État est-il lui-même en crise, comme on l’entend depuis de nombreuses années ?
François-René et Benoît : Il y a, à notre sens, un double mouvement. D’abord, il faut dire que l’État est aux avant-postes pour gérer des crises de plus en plus larges et complexes. On l’a bien vu avec la crise sanitaire et la crise économique qui l’a accompagnée par exemple. On en attend de plus en plus de l’État. En même temps, il y a aussi une difficulté à penser les politiques publiques sur le temps long et d’autre part, une mise sous tension des agents publics qui peut donner le sentiment d’une crise de l’État. C’est cette double facette de la relation entre l’État et la crise que nous avons voulu approfondir.
Comment, au fil des années, le droit public et administratif se sont-ils adaptés pour faire face aux crises ?
François-René : C’est un sujet que nous avons eu l’occasion d’explorer avec Manon Chonavel, auditrice au Conseil d’État. Le droit administratif a toujours su s’adapter à la crise et aux états d’exception depuis le début du XXe siècle. Mais avec les états d’urgence, nous sommes rentrés dans une nouvelle dimension. Il a fallu des adaptations très nombreuses, compte tenu des circonstances. Ce sont des centaines de pages de lois et de décrets qu’il a fallu produire.
« Il est impossible de penser l’action publique sans le cadre écologique dans laquelle elle se situe, et cela ne fera que se renforcer dans les années à venir ! »
La crise écologique est-il une dimension prise désormais en compte dans le cadre de vos métiers ?
François-René et Benoît : Il est impossible de penser l’action publique sans le cadre écologique dans laquelle elle se situe, et cela ne fera que se renforcer dans les années à venir ! Nous consacrons la séance finale du séminaire à la crise écologique, mais au-delà de ça, nous constatons, presque à chaque séance, à quel point les sujets se recoupent : besoin de concilier court terme et long terme, de créer du sens autour d’objectifs visibles de politiques publiques, etc.
Un normalien fait-il un bon fonctionnaire ?
Benoît : La fonction publique a toujours fait partie de l’ADN de cette École et à raison. Enseignants, chercheurs, mais aussi fonctionnaires en ministère, en collectivités territoriales, dans la fonction publique hospitalière…
François-René : On sait valoriser dans l’État la liberté d’esprit et la qualité intellectuelle qui sont la marque de fabrique des normaliens. Mais beaucoup prennent également des postes très opérationnels, illustrant l’adage selon lequel la pensée dirige l’action.
Qu’est-ce qu’un bon fonctionnaire selon vous ?
François-René : Les métiers de la fonction publique sont divers et demandent des compétences très différentes. Il y a bien sûr un désir, une passion de se mettre au service de la collectivité. Il y a également un certain rapport au politique : accepter de mettre en œuvre une politique pour laquelle on n’a (ou on n’aurait) pas voté, mais en même temps garder une grande liberté d’esprit, défendre son point de vue pour que les politiques publiques soient au plus proche des besoins des citoyennes et des citoyens.
Quel retour avez-vous du public des séminaires ?
Benoît : Les retours sont très positifs, et nous nous en réjouissons ! Le programme de la fin de l’année est encore riche et nous espérons que les échanges continueront à être tout aussi stimulants. Sur le plan personnel, ils nous ont déjà beaucoup appris. À moyen terme, nous réfléchissons à reconduire le séminaire l’an prochain, avec de nouveaux intervenants et une nouvelle thématique.