« Il y a beaucoup de points communs entre la recherche artistique et la recherche académique »
Alexandre Mimms est aujourd'hui en troisième année de thèse de droit et il se destine à une carrière d'enseignant-chercheur. Ce n’était pourtant pas la voie qu’il pensait suivre à la sortie du lycée, puisqu’il était alors plutôt attiré par l’univers de l’art. Est-il facile de changer d’orientation pendant ses études ? Comment intégrer l’ENS sans passer par la filière des classes préparatoires ? L’art et le droit, deux domaines irréconciliables, ou au contraire difficilement dissociables ? Ce sont autant de questions auxquelles Alexandre répond dans cet entretien. Rencontre.
D’une première hésitation pour l’art…
Alexandre n’était pas prédestiné à faire du droit. Au lycée, il avoue « ne pas avoir beaucoup travaillé » et avoir préféré « les arts plastiques » aux cours de « maths et de français ». Aux antipodes d’une carrière dans le monde juridique, c’est plutôt la voie artistique qui l’attire. Son bac économique et social en poche, il prend la destination de l’Angleterre, pour suivre une préparation artistique (art and design foundation course) à l’université de Bath.
… au choix de la carrière juridique
À l’issue de cette première année, Alexandre décide de se réorienter. Il explique qu’il n’avait « pas la maturité suffisante pour produire quelque chose d’artistique, et il fallait qu’[il se] forme intellectuellement. [Il] avai[t] besoin de beaucoup lire, de beaucoup réfléchir, d’écrire avant de [s]e lancer dans une carrière artistique en tant que telle ». Alors que « personne n’est juriste » dans sa famille, il choisit de faire du droit. Il envoie donc une candidature au collège de droit de l’université Panthéon-Assas, où il est admis. Dès les premières semaines à l’université, il « adore la discipline ». Ayant toujours beaucoup aimé les mathématiques, il apprécie « le côté très logique et systématique du droit tel qu’on le présente à la fac ».
« La voie [du concours étudiant] est ouverte, il faut la tenter »
À la fin de sa licence, Alexandre tente le concours étudiant de l’ENS. Pour rentrer à l’École normale par ce biais, la sélection se fait sur dossier. Les candidats retenus passent ensuite un examen écrit basé sur leur projet de recherche, puis un entretien avec le jury. Cette première immersion dans le monde de la recherche porte ses fruits pour Alexandre, qui se rappelle avoir « vraiment aimé cet exercice ». Aux étudiants qui songent à ce concours, il rappelle que « la voie est ouverte, il faut la tenter ».
Un cursus à l’ENS « très stimulant »
Alexandre ne s’est jamais enfermé dans le carcan d’une seule matière, comme en témoigne son parcours : après une première incursion dans le monde de l’art, il a étudié le droit et la philosophie à l’ENS. Il justifie ce choix en soulignant que « la philosophie permet de bien éclairer le projet juridique, la manière dont le droit est construit en société […]. Il y a beaucoup de choses qu’[il] n’aurai[t] pas comprises [s’il] n’avai[t] pas eu cet apport philosophique ». Il ajoute qu’il était « intéressant d’avoir un large panel de disciplines » pour nourrir sa réflexion et son parcours.
Il a d’ailleurs eu l’occasion de se plonger dans d’autres domaines que ceux de la philosophie et du droit lors de ses années à l’École : il y a étudié les mathématiques, l’histoire et les langues, qui lui ont apporté « un éclairage sur d’autres disciplines ». Il souligne par ailleurs qu’à l’ENS les élèves sont notamment incités à organiser des séminaires, ce qui les pousse à se mettre sur le devant de la scène et leur permet de prendre confiance en eux.
S’il a parfois été difficile de mener de front la scolarité à l’ENS et un master de droit (à Paris-Nanterre puis à Panthéon-Assas), Alexandre juge « très stimulant » d’avoir à la fois un pied à l’École et un pied à l’université : Normale Sup propose un complément très rigoureux à la formation offerte par l’enseignement universitaire. Et c’est aussi son organisation personnelle qu’Alexandre a appris à perfectionner.
Chose d’autant plus utile qu’il a, avec son camarade Jan Borrego Stepniewski, créé Jurisprudens lors de sa scolarité à l’ENS. L’idée a germé suite à un constat : les juristes de l’École étaient éparpillés sur les campus, et ne disposaient alors d’aucun lieu ou temps dédié pour se rencontrer. C’est ainsi que l’association voit le jour, suivie de près par la création d’une clinique juridique (qui existe toujours) (1), et de l’organisation de séminaires ou de colloques, comme la Semaine du droit. Si Alexandre avait déjà eu une première expérience dans le monde associatif au cours de sa licence, il explique que « créer une association, c’est encore autre chose ». Il faut par exemple concevoir les statuts juridiques, « une étape très intéressante en tant que juriste, car on met alors en pratique beaucoup de choses que l’on a apprises pendant la formation ». D’un point de vue personnel, il en tire également des enseignements en termes de gestion des conflits ponctuels qui peuvent parfois émerger.
La voie de l’enseignement et de la recherche
Alexandre est aujourd’hui en troisième année de thèse à l’université Panthéon-Assas. Il étudie « Le développement du droit administratif anglais : l'approche fonctionnaliste des juristes de la London School of Economics ». Il donne en parallèle des cours de travaux dirigés à des élèves de licence, ce qui lui permet d’avoir un premier aperçu du métier d’enseignant.
Afin de documenter son expérience en doctorat, Alexandre a lancé son « carnet de thèse ». Il y distille des conseils sur la construction d’une bibliographie, la meilleure manière de prendre des notes ou encore sur la sauvegarde des données de travail, en faisant parfois appel à des camarades qui eux aussi suggèrent des astuces. L’idée d’Alexandre est de « donner envie de faire une thèse » mais aussi de « partager des expériences d’enseignement ». Au terme de ces trois années, Alexandre fait le vœu de poursuivre « dans la voie qui [lui] plaît, celle de l’enseignement et de la recherche ».
Malgré le choix d’une carrière académique, un intérêt indéniable pour l’art
Si Alexandre a fait du droit sa profession, il ne renie pas pour autant l’art. « Je privilégie la carrière académique, qui m’apporte beaucoup de joie, de rencontres et de satisfaction, sans pour autant fermer la porte à quelque chose de différent. ».
Il explique que son « intérêt pour l’art varie beaucoup selon les périodes ». Il oscille, au gré de ses envies, entre dessin et photographie, médium avec lequel il s’amuse et qui lui permet « d’expérimenter un peu et de renouveler [son] regard sur le monde extérieur ». Mais ce qui le passionne aujourd’hui, c’est la magie. Il a commencé à en faire tout petit, n’a jamais arrêté, et peut, « encore aujourd’hui, passer des heures à répéter ». « C’est une forme d’art dans laquelle je m’épanouis beaucoup, qui me permet de mêler mon intérêt pour l’esthétique et le visuel, la réflexion, la philosophie aussi ».
Alexandre a du mal à « envisager une rupture complète entre les différents mondes dans lesquels [il] évolue. Il y a beaucoup de points communs entre la recherche artistique et la recherche académique : une certaine volonté d’atteindre la perfection ou de trouver des éléments qui peuvent interroger nos conceptions du monde pour, par exemple, faire avancer nos savoirs ».
(1) Cette dernière permet à des personnes d’obtenir des conseils juridiques lorsqu’elles n’ont pas les moyens de faire appel à un avocat.
Mis à jour le 23/11/2023