« Donner une vision inclusive de la discipline historique, promouvoir les nouveaux chantiers de l’histoire actuelle et former les prochains historiens »
Rencontre avec Stéphane Van Damme, le nouveau directeur du département d’histoire de l’ENS-PSL.
Nommé directeur du département d’histoire en septembre 2023, Stéphane Van Damme revient sur son parcours et les raisons qui l’ont poussé à étudier cette discipline. L’occasion pour lui d’évoquer ses nouvelles missions, mais aussi d’insister sur les grands enjeux de la formation en histoire.
Pourquoi avez-vous choisi d’enseigner l'histoire et quels sont vos sujets de recherche dans cette discipline ?
Stéphane Van Damme : Mon goût de l’histoire a d’abord été forgé par des enseignants qui avaient une vision large de la discipline permettant de penser la compréhension profonde des sociétés du passé. Ils avaient en horreur les savoirs antiquaires, l’érudition vaine, et pensaient l’histoire dans un ensemble plus vaste, en relation aussi bien avec les sciences sociales (principalement sociologie et anthropologie), qu’avec les humanités (littérature, philosophie, histoire de l’art). J’ai donc commencé en faisant de l’histoire culturelle, en dialoguant avec l’histoire littéraire, l’histoire de l’éduction et l’histoire des sociabilités.
Ma thèse m’a orienté vers l’histoire des sciences. Avec mon intégration à un laboratoire d’histoire des sciences, j’avais alors deux directions de travail : l’une consacré à l’histoire comparée des capitales scientifiques en Europe prolongée par mon intérêt pour l’histoire des cultures urbaines ; l’autre poursuivait une histoire des pratiques philosophiques à l’époque moderne. J’ai donc consacré plusieurs livres à ces deux axes. J’ai travaillé ainsi à l’histoire de l’archéologie urbaine à Paris et à Londres du 17e au 19e siècle, puis à une histoire globale des voyageurs sceptiques français. Depuis 2010, mes recherches se sont attachées à définir à la fois personnellement et collectivement une voie historienne de l’histoire des sciences et des savoirs qui pouvait s’ajouter à la riche tradition philosophique de l’histoire des sciences. Avec la crise environnementale, mes recherches sont devenues de plus en plus sensibles à cette dimension. Mon chantier actuel, qui porte sur l’histoire naturelle de la ville de New York entre sa création au début du 17e siècle et 1850, s’inscrit dans une histoire environnementale des sciences où je m’intéresse à la nature urbaine saisie par différents régimes. Cela rejoint le séminaire que nous animons avec Hélène Blais sur l'histoire environnementale des empires.
Depuis septembre 2023, vous êtes le nouveau directeur du département d'histoire de l'ENS, que représente pour vous cette nomination ?
S.V.D : C’est évidemment un grand honneur de succéder à des collègues (Gilles Pécout, Hélène Blais, Valérie Theis) qui ont conforté une place importante de l’histoire à l’ENS, et je voudrais poursuivre ce travail. Pour moi, le directeur est simplement un coordinateur et le représentant des collègues du département dans les différentes instances de l'établissement. C’est donc un travail collectif aidé par la gestionnaire du département, par la directrice des études, la directrice du master et tous les enseignants-chercheurs. Nous avons la chance d’avoir un département où les responsabilités sont distribuées.
Pour vous, que représente l'ENS ?
S.V.D : Pour moi, l’ENS représente en France une institution unique où l’on peut vraiment pratiquer une interdisciplinarité active entre les humanités, les sciences sociales et les sciences (principalement pour moi les géosciences, la chimie, la biologie). Dès mon arrivée, j’ai eu ainsi le plaisir de participer aux activités du CERES et de travailler avec Alessandra Giannini autour de PSL weeks sur les questions d’environnement et de changement climatique. L’histoire que l’on pratique collectivement à l’ENS est à la fois en lien avec les problématiques des sciences sociales et repose aussi sur une longue tradition d’études transnationales qu’incarne l’EUR Translitterae. L’histoire des sciences et des savoirs est associée au département de philosophie et au CAPHES, mais aussi apparaît dans mon laboratoire, l’Institut d’histoire moderne et contemporaine, avec des collègues historiens de la médecine par exemple. Par ailleurs, j’anime avec mon collègue Blaise Wilfert du département des sciences sociales, la mineure des études européennes que nous essayons développer autour d’un Centre Interdisciplinaire d'Etudes Européennes (CIEE) que nous avons créé en 2022. L’environnement institutionnel est très riche et cohérent et permet en raison de la taille de l’École d’avoir des contacts très proches avec les étudiants de tous les niveaux. L’idée est de mieux articuler recherche et formation et d’identifier l’ENS par ses propositions scientifiques dans le paysage intellectuel national et européen.
Quelle trajectoire souhaitez-vous donner à vos nouvelles missions ?
S.V.D : J’avoue que pour l’instant, la gestion du quotidien avec de nouveaux travaux en perspective, m’occupe pleinement. Il me semble que les missions du département en dehors des activités de formation peuvent se concevoir doublement. D’abord, améliorer notre rapport plus largement au public comme nous le faisons en organisant la Semaine de l’histoire tous les deux ans. Pour nous, le département d’histoire est une « maison commune » ouverte aussi aux collègues du secondaire. La seconde piste concerne nos collaborations avec le monde. Grâce aussi à nos professeurs invités, à nos accords avec différentes universités étrangères (en particulier New York University), on souhaite promouvoir une internationalisation du département et de ses étudiants qui va dans le sens de ce que l’on enseigne dans le master d’histoire transnationale. La mise en place de nouveaux outils de communication (nouveau site, désignation d’un chargé de communication, etc) comme la généralisation des échanges à l'étranger pourra nous aider dans cette orientation.
Selon vous, quels sont les grands enjeux actuels de la formation en histoire ?
S.V.D : Nous avons essayé de donner une vision inclusive de la discipline historique tout en essayant de promouvoir les nouveaux chantiers de l’histoire actuelle et former une nouvelle génération d’historiens. À travers notre séminaire commun Actualités de l’histoire transnationale et globale, nous contribuons collectivement à consolider la formation qui repose aussi sur les bons résultats de la préparation à l'agrégation, et sur les séminaires de recherche. Il faudra sans doute structurer dans le futur un parcours et mobiliser les élèves et les étudiants autour de projets communs pour qu’ils aient une place plus active au sein du département. Certains ne feront pas le choix d’une professionnalisation, mais auront appris que l’histoire est à la fois un exercice de lucidité et une ouverture sur le monde.
L'essor des nouvelles technologies et des nouvelles manières de s'informer change-t-il la manière d'appréhender l'enseignement de cette matière ?
S.V.D : Oui bien entendu, les humanités numériques sont très en vogue en histoire. Sur ce point, il faudrait mettre en place des cours d’initiation dans le cadre du département, car ces compétences apparaissent dans de nombreuses de fiches de poste des futurs enseignants-chercheurs.
« Un parcours marqué par la mobilité »
Formé initialement à l’histoire culturelle à l’université de Paris I et à l’EHESS, Stéphane Van Damme a été recruté au CNRS comme chargé de recherche en 2001 après sa thèse de doctorat.
Affecté d’abord au Centre Alexandre Koyré, il a rejoint en 2003 l’unité de la Maison française d’Oxford pour y animer un programme de coopération scientifique franco-britannique du CNRS. « À la fin de ma mission, je souhaitais rester en Grande-Bretagne, et j’ai postulé à un poste d’associate professor à l’université britannique de Warwick où j’ai dirigé un Centre de recherche sur le dix-huitième siècle. »
À son retour à Paris en 2009, il rejoint SciencesPo en tant que professeur de la FNSP où il enseigne l’histoire moderne et l’histoire des sciences, puis obtient son habilitation à diriger des recherches en 2010 à l’EHESS. En 2013 , Stéphane Van Damme réussit le concours de l’Institut universitaire européen en 2013 sur une chaire d’histoire des sciences et occupe les fonctions de directeur des études doctorales pendant trois ans. En 2020, il est recruté comme professeur d’histoire moderne au département d’histoire de l’ENS « où j’ai été d’abord responsable du Master d’histoire transnationale au sein de PSL et du Centre Interdisciplinaire d’études européennes que nous avons créé avec mon collègue Blaise Wilfert du département de sciences sociales. »