L’économie, des bancs de l’École au micro
Wessim Jouini est en dernière année au département d’économie à l’ENS - PSL. Un choix d’orientation largement influencé par Daniel Cohen, ancien directeur du département et économiste reconnu.
Dans les pas de son mentor, Wessim s’intéresse à la macroéconomie internationale, et plus particulièrement aux économies en développement. Une passion qui le mène en parallèle de ses études à la création de son propre podcast, sur le thème du développement des Suds, intitulé Take Off. Rencontre.
Wessim Jouini intègre le département d’économie de l'ENS-PSL en 2019, après deux ans de classe préparatoire lettres et sciences sociales (B/L) au lycée Henri-IV. Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussé dans cette voie, sa réponse est sans hésitation. « C’est Daniel Cohen, à cette époque à la tête du département d’économie, qui m’a indirectement convaincu de choisir cette discipline à mon entrée à l’ENS », explique Wessim. « C’est une discipline qui couvre un spectre très large de sujets et offrait, au fond, avant tout une boite à outil qu'il nous revient d'appliquer à notre guise et selon nos intérêts pour comprendre le monde ».
Dans les pas de Daniel Cohen
« J’ai appris à oser m’approprier les concepts et les travaux pré-existants, avec plus de liberté ».
Dès son arrivée à l’ENS-PSL, Wessim s’inscrit aux cours de Daniel Cohen. Au-delà du spécialiste internationalement reconnu, il découvre un professeur passionné, particulièrement dévoué à ses étudiants. « Je lui dois beaucoup », estime le normalien, qui rend hommage à l’économiste, aujourd’hui disparu. « Il cumulait un enthousiasme communicatif, une vivacité d'esprit inégalable et une bienveillance rare. », se souvient-il. « Surtout, il croyait en ses étudiants plus que nous ne croyions en nous-même. Il nous a ainsi donné la confiance nécessaire et une sorte d’autorisation pour penser plus librement les sujets et oser s’approprier les concepts ».
Wessim se souvient d’un cours magistral en particulier, intitulé Introduction aux théories de la croissance, où « Daniel Cohen dissertait sur la nature des richesses relatives des nations, le rôle du capital humain, celui des institutions, etc. Une somme de circonstances dont l'alignement produit, à un moment donné, le développement économique d'un pays », raconte-t-il avec précision. « L'étude de ce qu'il présentait comme une sorte d'alchimie, encore largement incomprise, était rendue fascinante par sa passion de transmettre et m'avait fait forte impression. »
Wessim suit les traces de son mentor, et se spécialise dans la macroéconomie internationale, plus précisément dans les économies en développement. « Mon intérêt pour ces sujets vient aussi probablement de mes origines tunisiennes », estime-t-il. « J'ai été marqué par les débats au sein de la société et par le bouillonnement intellectuel post-2011, quant à ce qu'il convenait de faire pour être au rendez-vous des promesses du Printemps arabe ».
Take Off, le podcast finance durable & développement des Suds
Un intérêt qui dépasse rapidement la salle de cours : fin 2022, Wessim lance Take Off, un podcast autour de la finance durable et du développement des Suds, soutenu notamment par le FinDevLab, think tank non lucratif fondé par Daniel Cohen et associé à la Paris School of Economics. L’objectif de cette initiative est double pour l’étudiant. Il s’agit d’abord d’une « quête personnelle », afin de progresser sur ces sujets à la fois pointus, au cœur des grands enjeux économiques et géopolitiques actuels : « les épisodes du podcast alternent des entretiens avec universitaires et praticiens, pour croiser les perspectives entre ces deux mondes parfois étanches. », explique Wessim.
« Il est essentiel pour ma génération d'élargir sa focale. »
Mais avec ce podcast, le normalien souhaite surtout contribuer à donner le goût de ces sujets fondamentaux aux personnes de sa génération et aiguiser leur curiosité vis-à-vis des pays du Sud. « Les gens de mon âge sont particulièrement confrontés à la réalité d'un monde interconnecté », considère-t-il. « Le paternalisme occidental qui caractérisait les relations Nord-Sud s'estompe heureusement...», ajoute-t-il. « Mais cela ne doit pas laisser place à l'ignorance et au désintérêt mutuel. » Au contraire, pour Wessim, faire preuve d’une vision multilatérale est indispensable, et ce pour mieux penser la lutte contre le changement climatique et l'avenir de la mondialisation. « Il est essentiel pour ma génération d'élargir sa focale », appuie-t-il.
Pour remplir cette mission, le choix du format podcast s’est rapidement imposé à Wessim : « prisé des jeunes, plus facile à s'approprier que de longs écrits ou des vidéos, tout en permettant de dire beaucoup de choses. », énumère-t-il, concis. La durée de chaque épisode de Take Off, environ 45 minutes, laisse ainsi le temps à l’invité de développer ses raisonnements et de transmettre des connaissances lors d’interviews fouillées.
Trois saisons et dix-huit épisodes plus tard, Wessim a convié derrière le micro tout autant de spécialistes reconnus : Usha Rao-Monari, sous-secrétaire générale des Nations Unies, Lionel Zinsou, ancien premier ministre du Bénin, Youba Sokona, climatologue malien et vice-président du GIEC… et le dernier invité en date - à l’heure où nous écrivons ces lignes - Ishac Diwan, professeur au département d'économie de l’ENS, auquel Wessim souhaite également rendre hommage : « ses enseignements ne sont pas sans lien avec mon choix de spécialité », justifie-t-il. « Le recevoir récemment dans le podcast était pour moi à la fois un immense plaisir et une forme d'accomplissement. »
Parmi les sujets explorés : la dette souveraine, le rôle des institutions internationales, les financements privés, le marché carbone… « autant de clés d’analyse de la conjoncture sur les marchés émergents, ainsi que des dynamiques de moyen terme », précise Wessim. Depuis la création de Take Off, celui-ci reçoit régulièrement sur les réseaux sociaux des messages d’étudiants et d’étudiantes, pour qui le podcast a ouvert de nouveaux horizons. « Certains postulent même désormais pour des emplois en lien avec les thématiques abordées », sourit Wessim. Une belle forme de reconnaissance pour le normalien et « qui donne tout leur sens aux dizaines d'heures passées dans la préparation et le montage des épisodes. »
Du temps et de la liberté
Un projet passionnant néanmoins prenant et qui, de l’avis de Wessim, n’aurait pu voir le jour sans les encouragements de l’ENS des initiatives personnelles étudiantes. « Je crois aussi que les deux autres ingrédients qui rendent l'École unique, en dépit des critiques parfois légitimes que certains esprits lui adressent, sont le temps et la liberté », ajoute-t-il. « Une liberté d'esprit, de recherche, de cursus, d'initiative - si caractéristique de l'ENS - pleinement opérante. » Le normalien loue tout autant la confiance accordée par l’École ainsi que la petite taille des promotions, des cours à la carte et le contact direct avec le travail de la recherche.
Au cours de sa scolarité, Wessim se taille ainsi un parcours sur mesure : en parallèle de ses études à l’ENS, il effectue un double cursus et obtient un Master management à HEC Paris, puis se lance dans un Master analyses et politiques économiques en septembre 2022 à la Paris School of Economics. « L’an dernier, j’ai également eu la chance de passer 6 mois à l’Université John Hopkins aux États-Unis grâce aux séjours de recherche proposés par l'École. » À son curriculum s’ajoutent un mandat de deux ans au conseil d’administration de l’ENS ainsi qu’un stage à l’ambassade d'Éthiopie.
« Si le podcast m'a appris une chose, c'est qu'on s'enrichit toujours beaucoup plus qu'on ne l'aurait imaginé en interrogeant les autres. »
Heureux de ses années à l’ENS-PSL, Wessim n’hésite pas à encourager celles et ceux qui voudraient rejoindre l’établissement en leur donnant quelques conseils, comme de ne pas hésiter à contacter des étudiants ou des membres de la communauté éducative, « quels que soient vos questions et votre niveau de préparation », indique-t-il. « Dans l'immense majorité des cas, vous serez bien reçu et orienté avec bienveillance », poursuit Wessim. « L'accès à l'information, l'autocensure, les conceptions erronées demeurent des barrières importantes à l'entrée... qui pourtant peuvent être facilement levées par l'initiative de prendre contact. » Et de conclure : « si le podcast m'a appris une chose, c'est qu'on s'enrichit toujours beaucoup plus qu'on ne l'aurait imaginé en interrogeant les autres sur leur histoire, leurs opinions, leurs conseils. »
Mis à jour le 8/3/2024