« Le pari de ma thèse ? Traiter des objets privilégiés des relations internationales à partir d’outils de la sociologie politique »
Prix de thèse pour Maïlys Mangin, chercheuse au Centre interdisciplinaire sur les enjeux stratégiques (CIENS) de l’ENS
Maïlys Mangin, docteure en science politique, a rejoint le Centre interdisciplinaire sur les enjeux stratégiques (CIENS) en novembre 2023, après trois ans à la Harvard Kennedy School comme Research Fellow du programme « Managing the Atom ».
Sa thèse, sur la conversion de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à la lutte contre la prolifération nucléaire, a reçu en 2023 le prix de thèse « mention spéciale » de l’Association pour les Études sur la Guerre et la Stratégie (AEGES) et vient de recevoir le Prix de thèse des Presses du Septentrion. La chercheuse nous raconte son parcours.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser au nucléaire, en quoi est-ce intéressant d’aborder cette thématique du point de vue des sciences humaines et sociales ?
Maïlys Mangin : J’ai initié ma thèse dans le contexte médiatique du « dossier nucléaire » iranien. Alors que l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) était souvent évoquée par les dirigeants politiques ou les journalistes, j’ai réalisé qu’il y avait très peu de travaux scientifiques pour documenter le travail de cette organisation internationale, et son rôle dans l’évaluation de la menace nucléaire. Plus largement, j’ai pris conscience que la sociologie politique prenait rarement pour objet de recherche les questions stratégiques, notamment les questions nucléaires. Le nucléaire militaire est un domaine d’une technicité très forte, aux enjeux politiques considérables. C’était intimidant et ma thèse a donc été un pari : traiter d’enjeux fétiches des théories des relations internationales à partir des outils de la sociologie politique. Je cherche à maintenir un dialogue étroit avec les RI et les études stratégiques, sans rien renier de la démarche sociologique, qui offre une lucidité puissante sur la manière dont nos sociétés parlent des enjeux stratégiques – et dont elles les traitent effectivement. Ma démarche a parfois étonné autour de moi. Dans le contexte international actuel, j’ai moins besoin de convaincre de sa nécessité…
Pourriez-vous nous résumer les travaux pour lesquels vous avez obtenu le Prix de thèse du Septentrion ?
Maïlys Mangin : Dans le cadre de ma thèse, conduite sous la direction d’Yves Buchet de Neuilly, je me suis donc intéressée aux interactions entre technique et politique, en étudiant comment l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique), née pendant la guerre froide pour promouvoir l’usage pacifique de l’atome (et les opportunités économiques associées), s’était progressivement convertie à la lutte contre la prolifération nucléaire – mission secondaire à l’origine, devenue structurante pour l’Agence. L’AIEA s’est ainsi retrouvée au centre de la crise nucléaire iranienne et a constitué, pour les acteurs de cette crise, un instrument disputé. Envisager la crise iranienne depuis Washington, Vienne et New York, permet notamment de mieux comprendre les dynamiques de cette crise et les raisons d’un blocage qui ne tenait pas uniquement à ce qui se passait à Téhéran.
Depuis 2023, vous avez rejoint l’ENS comme chercheuse au CIENS. Quel regard portez-vous sur l’École ? Pouvez-vous nous présenter le CIENS ?
Maïlys Mangin : L’ENS n’a rien à envier aux grandes universités américaines. C’est un environnement exceptionnel pour l’enseignement et la recherche. Exigence scientifique et transmission des savoirs : le CIENS a justement le projet de porter cette double ambition dans le domaine des enjeux stratégiques. Ces enjeux intéressent de longue date des normaliens éminents – de Raymond Aron et Pierre Hassner aux nombreux anciens élèves qui ont rejoint le Quai d’Orsay –, mais il manquait une plateforme interdisciplinaire faisant le pari d’une recherche scientifique autour d’objets délaissés par les sciences sociales – les questions stratégiques de haute intensité. Or, nous avons plus jamais besoin d’une recherche scientifique forte et rigoureuse sur ces sujets. Le CIENS constitue à cet égard un espace intellectuel unique, en raison de la grande qualité du débat scientifique et interdisciplinaire qu’il rend possible, mais aussi du dialogue approfondi qu’il permet avec des praticiens de ces enjeux.
Quels sont vos projets en cours ?
Maïlys Mangin : Je viens d’animer la première saison d’un séminaire consacré à l’impact de l’IA sur l’espace informationnel et la compétition politique - sujet qui a des implications stratégiques fortes. Je réfléchis en ce moment à la prochaine édition. Je travaille également à l’édition de ma thèse, qui va être publiée aux Presses du Septentrion. J’ai par ailleurs engagé un chantier de recherche sur la manière dont la guerre en Ukraine contribue à modifier la place des questions militaires, notamment nucléaires, dans le débat public occidental. J’ai d’autres projets, mais j’ai surtout celui de contribuer, avec le reste de l’équipe, aux nombreux développements du CIENS. Nous voulons contribuer au débat au moment où les préoccupations stratégiques se multiplient.