Félicitations aux lauréats de l’Académie des sciences
Deux chercheurs de l’ENS-PSL récompensés
Chaque année, l’Académie des sciences remet près de 80 prix couvrant l'ensemble des domaines scientifiques, aussi bien fondamentaux qu'appliqués.
Gwendal Fève, physicien expérimentateur professeur à Sorbonne Université et chercheur à l'ENS-PSL et Romain Jolivet, géologue à l’ENS-PSL, ont vu leurs travaux récompensés.
À cette occasion, les deux lauréats reviennent sur leur parcours, leurs recherches et partagent leur expérience en tant que chercheur.
Prix Madame Mergier-Bourdeix de l’Académie des sciences
Gwendal Fève, physicien expérimentateur et chercheur à l'ENS-PSL
Champ de recherche : l’électronique quantique, ou comment les règles de la mécanique quantique affectent le transport des électrons dans les conducteurs.
« Mon moteur pour poursuivre une carrière dans la recherche a toujours été la curiosité, et je trouve formidable d’avoir un métier dont un des principaux objectifs est de continuer à apprendre. »
Quel est votre parcours ? Pourquoi avez-vous choisi de vous orienter vers la recherche et plus précisément vers la physique quantique ?
Je suis un physicien expérimentateur qui étudie l’électronique quantique, c’est-à-dire comment les règles de la mécanique quantique affectent le transport des électrons dans les conducteurs. Je pense que mon moteur pour poursuivre une carrière dans la recherche a toujours été la curiosité, et je trouve formidable d’avoir un métier dont un des principaux objectifs est de continuer à apprendre. Le domaine de la mécanique quantique s’est naturellement imposé durant mes études. L’apprentissage de la physique se fait d’abord par la physique classique lors des premières années. Cette description classique du monde est alors bouleversée par la découverte de la mécanique quantique qui, malgré ses surprenantes prédictions - popularisées par exemple par l’image du chat de Schrödinger - décrit avec une remarquable précision la matière aux petites échelles. Je pense que c’est plus précisément un cours sur les propriétés quantiques de la lumière qui m’a donné envie de poursuivre dans ce domaine, mais en cherchant à appliquer ces concepts à la propagation des électrons plutôt qu’à celle des photons.
Quelles sont les recherches pour lesquelles vous avez obtenu le Prix Madame Mergier-Bourdeix décerné par l’Académie des sciences ?
Au contraire des photons, les électrons interagissent entre eux et dans certains conducteurs, ces interactions peuvent même être très fortes. Elles peuvent alors donner naissance à de nouvelles quasi-particules appelées anyons. Notre équipe a mis en évidence les propriétés des anyons qui diffèrent des propriétés des deux grandes familles de particules existant dans la matière diluée : les fermions - comme les électrons - et les bosons - comme les photons. Ces recherches montrent que la matière en interaction peut permettre de créer et manipuler de nouveaux objets.
Que représente pour vous l’obtention de ce prix ?
Il s’agit d’une très grande fierté, car l’Académie des sciences représente la plus haute autorité scientifique en France. Ce prix est décerné pour des recherches ne visant pas d’applications immédiates, la reconnaissance des plus éminents membres de la communauté permet alors de mesurer que ce que nous faisons a un impact et une utilité. C’est aussi l’occasion de célébrer en équipe les succès scientifiques de ces dernières années.
Un conseil pour celles et ceux qui souhaiteraient s'orienter dans la recherche et plus précisément dans la physique quantique ?
Il s’agit plus d’un partage d’expérience. Beaucoup d’étudiants dans le domaine de la physique quantique sont attirés par les aspects les plus conceptuels et se tournent vers la physique théorique. Je trouve personnellement la physique quantique expérimentale extrêmement enrichissante et très complète. On aborde également ces notions plus conceptuelles, mais en les confrontant à l’expérience : c’est quelque chose de très excitant de pouvoir observer directement les manifestations de la physique quantique. Enfin c’est un travail d’équipe et cette dimension collective me paraît un très grand atout de la recherche expérimentale.
Prix Michel Gouilloud Schlumberger de l’Académie des Sciences
Romain Jolivet, géologue et professeur des universités à l'ENS-PSL
Champ de recherche : l’étude des tremblements de Terre par l’analyse de données satellitaires
« C’est par l’observation des phénomènes naturels que l’on pourra les comprendre et nous adapter au monde qui nous entoure. »
Quel est votre parcours ? Pourquoi avez-vous choisi de vous orienter vers la recherche et plus précisément vers la géologie ?
Je suis professeur des universités depuis 2022, avant d’avoir été maître de conférences à l’ENS depuis 2015. J’ai réalisé mes travaux de thèse à l’Université Grenoble Alpes et effectué des séjours de recherche postdoctoraux à CalTech en Californie et à l’Université de Cambridge au Royaume-Uni. Je savais depuis longtemps que je voulais me diriger dans un domaine scientifique et j’ai toujours été attiré par l’aspect naturaliste des choses. Ma famille a bien sûr joué un grand rôle dans ma vocation : mon père est lui-même géologue et ma mère est biologiste. Ils ont tous deux toujours passé du temps à me décrire ce qu’on voyait en forêt, en montagne, à la mer, à la campagne, les fleurs, les paysages... J’en ai gardé la conviction profonde que c’est par l’observation des phénomènes naturels que l’on pourra les comprendre, et nous adapter au monde qui nous entoure.
Pendant mes études, je me suis vite rendu compte de mon appétence pour la compréhension de la physique de ces phénomènes naturels, mais aussi que je n’étais pas vraiment fait pour la vie en laboratoire de biologie. Malheureusement, je me suis également rapidement aperçu que je n’étais pas très doué sur le terrain pour comprendre les paysages et reconnaître les roches. Je me suis alors passionné pour l’étude des tremblements de Terre, notamment par l’analyse de données satellitaires, un domaine en véritable explosion quand j’étais en thèse.
Quelles sont les recherches pour lesquelles vous avez obtenu le Prix Michel Gouilloud Schlumberger décerné par l’Académie des Sciences ?
Ce prix récompense principalement mes recherches sur l’amélioration des méthodes de mesure de la déformation de la croûte terrestre par satellite. Des méthodes que j’ai par la suite utilisées pour générer des observations originales de mouvements tectoniques. Lorsque deux plaques tectoniques bougent l’une par rapport à l’autre, les forces de friction à la limite entre les deux plaques conduisent à une accumulation d’énergie qui peut être relâchée par un glissement rapide de cette limite de plaque lors d'un séisme.
Cependant, grâce à ces méthodes d’observation par satellite, il a été mis en évidence que certaines failles glissent au contraire tout doucement, sans émettre d’ondes sismiques dévastatrices.
Ces séismes lents sont encore incompris et il est aujourd’hui nécessaire de générer un maximum d’observations pour pouvoir nourrir les modèles physiques. J’ai produit de nombreuses observations de ce genre partout dans le monde. Ces observations satellitaires nécessitent un traitement particulier : je me suis impliqué toute ma carrière dans le développement d’algorithmes originaux, combinant principalement des données et méthodes issues de la météorologie, pour réussir à produire des films des mouvements du sol avec une résolution millimétrique.
Que représente pour vous l’obtention de ce prix ?
L’obtention d’un prix, quel qu’il soit, est toujours très gratifiante et il est très valorisant de voir ses recherches jugées de façon positive par ses pairs. Après des années de travail, parfois seul, souvent en groupe avec de nombreux étudiants sans qui rien ne serait possible, parfois tard, mais toujours avec passion, se voir dire que l’on est allé dans une bonne direction et que ses recherches intéressent les gens est formidable. Il est souvent assez difficile de juger de la pertinence de ses propres travaux et même si nos articles scientifiques sont utilisés et cités, c’est par une communauté de taille restreinte.
Les voir récompensés par une assemblée à l’expertise large est donc tout aussi gratifiant que rassurant. J’ajouterai cependant qu’il s’agit d’un prix destiné aux jeunes chercheuses et chercheurs : cela correspond à une marque de confiance pour la suite de ma carrière tout en me signifiant que l’on s’attend à voir cette carrière continuer de façon similaire. Il y a donc en sus une petite pression à honorer la confiance qui m’est faite.
Un conseil pour celles et ceux qui souhaiteraient s'orienter dans la recherche et plus particulièrement dans les géosciences ?
La recherche en géosciences couvre un champ extrêmement large, qui va des sciences du climat jusqu’à la compréhension des mécanismes de convection du noyau, en passant par la planétologie ou les sciences du sol. Nous avons longtemps été cantonnés, à tort, à des randonneurs explorateurs cartographes, alors que derrière un nombre incalculable d’éléments de la vie de tous les jours se cachent un géologue, un pédologue, un océanographe, un météorologue ou un hydrologue… Toutes ces disciplines sont rassemblées au sein du département de géosciences où je travaille à l’ENS-PSL et si vous avez une appétence pour l’analyse du monde qui vous entoure, vous trouverez forcément un domaine intéressant.
Un conseil que je donne souvent est que si quelque chose vous passionne maintenant, étudiez-le et ne perdez pas trop de temps à vous demander s’il n’y a pas un sujet encore plus intéressant. Les séismes m’ont fasciné il y a 20 ans, et je le suis toujours. Et même si mes travaux me conduisent à collaborer avec des hydrologues et des mathématiciens, suivre cette voie depuis le début m’a permis de me construire une culture générale du domaine assez large. Un point fondamental quand on sait que les découvertes de demain seront probablement dans les coins les moins explorés des domaines étudiés.