« Les machines, aussi performantes soient-elles, ne peuvent pas remplacer l’expertise humaine »
Rencontre avec Mathieu Sardin, mécanicien au Laboratoire de Physique de l’ENS-PSL
Collection « Portraits de personnels ». Au sein des murs de l’École normale supérieure, se cache un atelier où se joue une partie discrète, mais essentielle, de la recherche scientifique. Ici, les mécaniciens travaillent, avec l’aide des machines traditionnelles et modernes, dans un univers où la précision et le savoir-faire humain se conjuguent pour donner naissance à des pièces uniques.
Rencontre avec Mathieu Sardin, professionnel passionné qui nous éclaire sur ce métier méconnu à l’École.
Un métier aux multiples facettes
Le métier d’opérateur régleur sur commande numérique repose avant tout sur la maîtrise des machines. À l’atelier de l’ENS-PSL, au département de physique, il y a des tours, des fraiseuses, numériques et traditionnelles, qui transforment la matière. Mathieu Sardin est mécanicien à l’École normale supérieure depuis dix ans. « Le métier consiste à usiner des pièces mécaniques de différents matériaux métalliques, plastiques et composites par enlèvement de matière » nous explique-t-il. Ces pièces, sont ensuite intégrées dans des équipements de recherche. Ce savoir-faire repose sur la précision et l’adaptabilité, et « les pièces changent régulièrement, rendant chaque journée unique. ».
Dans cet atelier, le bruit des machines cohabite avec le silence attentif des laboratoires de recherche voisins. Contrairement aux autres opérateurs régleurs qui exercent dans le secteur privé, Mathieu Sardin est en contact direct avec le bureau d’études qui conçoit les plans des pièces à fabriquer, et avec les chercheurs et chercheuses des laboratoires de l’École, dans un environnement qui est loin de celui de l’industrie. Cette proximité a une valeur ajoutée incontestable, tant pour les opérateurs que pour les chercheurs. « Nous travaillons principalement pour les laboratoires du département de physique (LPENS et LKB)… Ils viennent directement pour des petites modifications ou passent par le bureau d’étude » raconte-t-il. Ces collaborations facilitent les échanges, accélèrent les délais de fabrication et favorisent la souplesse, que peu d’institutions pourraient se permettre. Cette proximité est un véritable atout dans un métier où l’expertise de l’atelier enrichit directement et rapidement les progrès scientifiques.
Si l’atelier de l’ENS conserve des machines traditionnelles pour satisfaire les demandes de la communauté chercheuse, le numérique a, lui aussi, pris une place de choix. Les commandes numériques avec écrans tactiles permettent une autre précision et une complexité de programmation adaptée à chaque projet. « Les machines à commande numérique évoluent avec des langages de programmation spécifiques à chaque fabricant » ajoute Mathieu Sardin. Cela nécessite des formations régulières pour l’équipe de l’atelier, qui voit leur métier évoluer « L’ENS nous accompagne toujours pour les demandes de formation ».
Un savoir-faire manuel
Derrière le métier passionnant, Mathieu Sardin est préoccupé. « Les gens s’orientent de moins en moins vers ce métier, ils privilégient davantage les secteurs liés directement à l’informatique. » Pourtant, loin des clichés de « l’usine salissante et des mains dans le cambouis », ce métier a évolué pour devenir un mélange alliant technologie et tradition mécanique. Malgré cette modernisation, l’opérateur témoigne des difficultés croissantes à recruter. Un départ à la retraite approche, et trouver une relève se révèle complexe dans un secteur où les vocations sont de plus en plus rares.
Pour faire connaître ce métier aux nouvelles générations, Mathieu Sardin passe par la médiation scientifique. Elle permet d’ouvrir cet univers technique à un plus grand public. « Les visiteurs lors de la Fête de la Science découvrent avec surprise que le métier d’opérateur régleur est essentiel à la recherche » raconte-t-il. Ce contact avec le grand public est un moment d'échange qui brise les idées reçues et valorise le travail manuel et technique. La Fête de la Science, avec ses « Visites insolites » permet d’accueillir chaque année des petits groupes de personnes, de tous âges, dans l’atelier de Mathieu Sardin. Très peu connaissent le métier, et encore moins dans l’enceinte de l’ENS.
À l’heure où les jeunes se détournent de l’industrie pour l’informatique, l’opérateur rappelle que ce métier, malgré les défis, a encore un rôle vital à jouer dans la recherche. « Les machines, aussi performantes soient-elles, ne peuvent pas remplacer l’expertise humaine. Il faudra toujours un humain derrière. Les machines ne peuvent pas remplacer le savoir-faire des personnes. » Alors que les clichés peinent à disparaître, ce métier à mi-chemin entre artisanat et technologie reste indispensable pour satisfaire une demande en constante évolution. Un métier de l’ombre qui, en plein cœur de Paris, trouve pourtant une lumière précieuse dans la recherche scientifique.