Les politiques de neutralité carbone sont des politiques de santé publique dont les bénéfices pourraient compenser les coûts

Créé le
13 février 2025

En plus d’être une condition indispensable pour limiter le réchauffement climatique, les mesures visant à atteindre la neutralité carbone sont également des politiques de santé publique. En effet, les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre peuvent générer des bénéfices indirects pour la santé, c’est-à-dire des bénéfices additionnels à ceux liés à l’atténuation du changement climatique et de ses impacts sur la santé. Dès lors, atteindre les objectifs de l’Accord de Paris (un réchauffement limité à 2°C, voir 1,5°C) pourrait permettre d’améliorer rapidement et sensiblement la santé publique, et ces bénéfices de santé publique pourraient même compenser les coûts des politiques climatiques. 

C’est ce que révèle une étude franco-britannique parue aujourd’hui dans la revue Lancet Planetary Health.

Figure 6. Preventable mortality fraction in various net-zero scenarios

Légende : Figure 6. Preventable mortality fraction in various net-zero scenarios
(A) All scalable preventable mortality fractions from 96 scenarios across 45 studies with a scalable health outcome. (B) Preventable mortality fraction stratified by quantitative modelling method. (C) Preventable mortality fraction stratified by type of baseline scenario. (D) Preventable mortality fraction stratified by type of co-benefit pathway. (E) Preventable mortality fraction stratified by emission sector. Horizontal bar represents the median value of preventable mortality (ie, 1·5%). AFOLU=agriculture, forestry, and other land use.

 

Réduire les énergies fossiles et leur combustion dans les véhicules, les systèmes de chauffages ou les industries est l’un des meilleurs moyens d’améliorer la qualité de l’air ; privilégier les transports moins émetteurs de CO2, comme le vélo, la marche et dans une certaine mesure les transports en commun est une façon de promouvoir l’activité physique ; réduire les aliments d’origine animale, principaux responsables des émissions liées à nos assiettes, est une façon d’améliorer la qualité nutritionnelle de régimes, etc. Si la notion de convergence entre des objectifs climatiques et des objectifs de santé est connue et mise en avant sous la formulation de « co-bénéfices pour la santé » de politiques climatiques dans les travaux du GIEC, l’ampleur des gains de santé potentiels demeurait jusqu’à présent incertaine. « Il nous manquait jusque-là une vision exhaustive des résultats sur cette question des co-bénéfices : les études disponibles sont disséminées, conduites dans des pays variés, les mécanismes considérés ne sont pas toujours les mêmes, etc.. » explique Kévin Jean, professeur junior en santé et changements globaux à l’Institut de biologie de l’ENS-PSL (IBENS) et coordinateur de l’étude initulée « The public health co-benefits of strategies consistent with net-zero emissions: a systematic review ».

Cette étude, conduite entre l’ENS-PSL, le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam Paris), l’INSERM et la London School of Hygiene & Tropical Medicine, a donc recensé et analysé les publications scientifiques ayant modélisé les co-bénéfices pour la santé de politiques climatiques compatibles avec l’objectif l’Accord de Paris, c’est-à-dire un réchauffement limité à 2°C, voir 1,5°C. En évaluant plus de 2,500 études, les chercheurs ont identifié 58 articles scientifiques qui évaluaient un total de 125 scénarios de neutralité carbone. « La quasi-totalité, 98%, de ces scénarios projettent des effets sur la santé qui sont positifs » explique Léo Moutet doctorant au laboratoire MESuRS (Cnam, Paris) et premier auteur de cette étude. « La moitié de ces études projetaient que plus de 1.5% de tous les décès pourraient être évités par ces bénéfices indirectes de mesures climatiques. ». Si cela peut sembler peu de premier abord, réduire la mortalité de 1,5% correspond bel et bien à ce qu’on pourrait attendre de politiques de santé publique ambitieuses : à simple titre de comparaison, on estime à l’échelle du globe que la consommation d’alcool est responsable d’environ 3% de l’ensemble des décès mondiaux A l’échelle française, ce chiffre de 1,5% correspond par exemple à la part des décès attribuables aux cancers du foie.

Parmi les études recensées, l’équipe a analysé de plus près celles ayant comparé les coûts de mise en œuvre des mesures de réductions de gaz à effets de serre aux bénéfices sanitaires induits: dans 85% de ces études, ces coûts étaient intégralement compensés par les économies en coûts de santé directs et indirects. « Dans son dernier rapport, le GIEC nous dit que les coûts de l’action climatique sont bien moindres que les coûts de l’inaction. Quand on met la santé dans l’équation, on réalise que les bénéfices de l’action sont supérieurs aux coûts ! » confie Kévin Jean, tout en rappelant qu’il s’agit ici de coûts sociaux de santé, qui intègrent à la fois des coûts monétaires et non monétaires, notamment ceux liés à la perte de bien-être ou aux préjudices pour les proches.

« Jusque-là, nous avions beaucoup de raisons de penser que les politiques visant la neutralité carbone étaient plutôt favorables à la santé, mais on ne savait pas vraiment à quel point » explique Léo Moutet. « De plus, nous n’avons considéré dans notre étude que les bénéfices indirects pour la santé des politiques climatiques », ajoute Laura Temime, directrice du laboratoire MESuRS (Cnam) et co-autrice de l’étude. « Si on ajoute les bénéfices liés à l’atténuation des impacts climatiques directs sur la santé, comme par exemple les vagues de chaleur ou les précipitations extrêmes, les bénéfices pour la santé de la neutralité carbone sont vraisemblablement bien plus grands. ». 

Cette synthèse de la littérature a également permis de souligner trois éléments très importants de ces co-bénéfices pour la santé des politiques de neutralité carbone. Tout d’abord, il s’agit de co-bénéfices de court terme pour la santé : leurs bénéfices pourraient être mesurés à l’échelle de quelques mois ou quelques années après leur mise en place, bien plus rapidement que leurs effets sur le climat. Ensuite, il s’agit de bénéfices locaux, qui profiteront avant tout aux populations des régions et pays ayant mis en place des mesures tendant vers l’objectif « zéro émission nette ». Enfin, les retombées positives pour la santé de mesures climatiques ne dépendent pas ou peu des actions mises en place dans les autres pays. « Quand on parle des co-bénéfices pour la santé des actions climatiques, l’argument selon lequel il ne sert à rien de faire des efforts en France parce qu’on ne représente qu’1% des émissions devient inopérant » analyse Kévin Jean.
Cette synthèse ouvre plusieurs perspectives. En particulier, la diversité des études analysées, que ce soit dans leurs méthodes, dans les mécanismes pris en comptes ou dans les scénarios de décarbonation considérées, appelle à un cadre unifié pour l’évaluation en santé de politiques climatiques. « Sans un tel cadre, on ne peut pas comparer entre elles différentes options pour tendre vers des sociétés décarbonées, et ainsi identifier les options les plus favorables à la santé publique » conclut Kévin Jean.
 

 

Contacts presse :
ENS PSL
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lola@buzzdistrict.com / 06 09 38 67 84
Romain Pigenel romain.pigenel@ens.psl.eu

Le Cnam
Franklin Saint-Yves
franklin.saint-yves@lecnam.net / 06 33 59 34 18

 

À propos de PARSEC (Paris Recherche Santé Environnement Climat) 
Cette étude est l’une des premières émanant du PARSEC (Paris Recherche Santé Environnement Climat), une nouvelle structure de recherche dédiée à la production de connaissances à la jonction entre le changement climatique et la santé, soutenue par l'École Normale Supérieure (ENS-PSL) et l'Inserm (Institut de la santé et de la recherche médicale), et dirigée par Rémy Slama, co-auteur de l’étude. « Le PARSEC est la première structure de recherche française à être dédiée à l’étude des liens entre santé et climat, en particulier sous l’angle de l’atténuation et l’adaptation au changement climatique » explique Rémy Slama, directeur du PARSEC et co-auteur de l’étude. 
Contact centre PARSEC : Rémy Slama

À propos de l’ENS PSL
À la fois grande école, université et établissement de recherche, l’École normale supérieure dispense à Paris, au cœur du Quartier latin, une formation d’excellence par la recherche conduisant aux différents métiers de l’enseignement et de la recherche, et concourt à la formation par la recherche des cadres supérieurs des administrations publiques et des entreprises françaises et européennes. L’École normale supérieure promeut une recherche scientifique et technologique de pointe pour anticiper et accompagner les évolutions les plus récentes, et soutenir les initiatives pluridisciplinaires.
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