Alban Guyomarc’h, objectif Lune ?
Rencontre avec Alban Guyomarc’h (Lettres, 2018)
Que sont-ils devenus ? À travers une série de portraits, partez à la rencontre d’alumni. Ancien normalien du parcours droit, Alban Guyomarc’h est doctorant en droit international privé et droit de l’espace à l’Université Panthéon-Assas. Chercheur doctorant au Collège de France, il est aussi chercheur associé à la Chaire Espace de l’ENS.
Comment en vient-on à étudier le droit de l’espace ? Exploration de l’espace et réchauffement climatique sont-ils conciliables ? Et quand on travaille sur le domaine de l’espace, rêve-t-on d’aller sur la Lune ? Réponses dans cet entretien.
Les prémices d’un parcours orienté vers la recherche
C’est en 2018 qu’Alban découvre le monde juridique, en s’inscrivant à l’École européenne de droit de l’Université Toulouse 1 Capitole. Si les droits français et anglais l’attirent d’abord, c’est finalement le droit international privé, « matière stimulante intellectuellement », qui retient son attention.
À cette époque, il connaît l’ENS, mais seulement de nom. « Comme tout étudiant ayant passé son bac en province, l’univers des grandes écoles reste une chose assez mystérieuse » explique-t-il. C’est par hasard, grâce à une vidéo YouTube sur la chaîne de Normale sup, qu’il découvre qu’elle propose un parcours droit au sein du département de sciences sociales. Sa candidature envoyée, il pose ses valises rue d’Ulm neuf mois plus tard. Il garde un très bon souvenir de ses années à l’École, notamment car il a pu y jouir d’un « milieu de liberté et d’épanouissement intellectuel assez incroyable ». Reconnaissant, il rappelle que c’est grâce à l’ENS qu’il a découvert le monde de la recherche.
En parallèle de sa scolarité à l’ENS, Alban suit un master de droit international privé et du commerce international à l’université Paris Panthéon-Assas. Les carrières juridiques traditionnelles ne l’attirent pas immédiatement. Il commence en 2021 une thèse réunissant ses deux domaines de prédilection : le droit international privé et le droit de l’espace. Se sentant bien dans le monde universitaire, il avait « envie d’y rester ». Sous la direction de Pr Louis d’Avout, il travaille sur « Les activités spatiales au prisme du droit international privé ». Il rejoint en septembre 2024 le Collège de France dans le cadre du PEPR « Origines de la vie ».
Un intérêt grandissant pour le droit de l’espace
Nous interrogeons Alban sur les racines de son intérêt pour le droit spatial. C’est en réalité en dehors du droit, par le prisme des études spatiales qu’il a découvert le domaine. Il se penche d’abord sur la façon dont les sciences humaines étudient l’exploration de l’espace et la conquête spatiale depuis les années 1950.
« C’est le droit spatial qui [le] rattrape » par le truchement d’un séminaire d’élèves « Histoire et philosophie de la conquête spatiale ». Il existait déjà, mais Alban et ses camarades le relancent pour deux éditions. L’idée est alors de proposer à des intervenants venant d’agences spatiales, d’autres universités et institutions de parler de l’exploration spatiale et des ambitions spatiales au XXe dans une perspective pluridisciplinaire.
Pour lui, avec les séminaires d’élèves, « l’ENS fournit aux étudiants qui ont un vrai projet de recherche la possibilité de bénéficier à la fois de ce que l’École apporte comme image et comme prestige, et dans le même temps de moyens importants et d’un soutien réel. » C’est un cadre « exceptionnel » qu’il loue, en ce qu’il offre une autonomie précieuse à des étudiants encore relativement jeunes. Et d’ajouter : « si je n’avais pas fait ce séminaire d’élèves dans le droit spatial à l’époque, je ne pense pas que j’en serais là aujourd’hui ».
Être juriste dans un domaine traditionnellement scientifique
Être juriste en droit de l’espace n’est pas commun. Si, traditionnellement, l’espace est un domaine réservé aux ingénieurs et aux sciences dures, Alban rappelle qu’il s’agit aussi d’un objet d’étude pour les sciences humaines et sociales dans leur globalité : que ce soit en anthropologie, en histoire ou encore en géographie. Il insiste : « la conquête spatiale est un enjeu de sciences humaines et sociales trop peu investi : presque tous les chercheurs de ces domaines y arrivent par accident ».
Pour lui, « il ne faut pas se leurrer, le coût d’entrée est important en termes de connaissances techniques, scientifiques et historiques à obtenir, ne serait-ce que pour le vocabulaire des ingénieurs ». Très vite, il a été amené à participer à des événements organisés au sein de la communauté spatiale, des plus politiques aux plus techniques. Le vocabulaire notamment peut donner à ces premiers rendez-vous « le caractère d’un voyage en langue étrangère ». Mais, une fois ces premières connaissances acquises, c’est un domaine où « il fait bon étudier, au croisement de diverses approches et disciplines ». À celles et ceux qui seraient tentés par le droit de l’espace, Alban conseille « d'oser interroger le droit spatial, à la lumière de leurs disciplines juridiques d'origine ; d'ailleurs, la remarque vaut pour quasiment toutes les sciences sociales : il faut aller vers le spatial, en généraliste, depuis sa discipline. »
Il invite « les membres des départements des sciences humaines et sociales de l’ENS à se saisir de cet objet pour y apporter une perspective critique. » Enfin, Alban raconte aussi une « belle communauté de recherche, plaisante et intergénérationnelle ».
L’éclairage d’Alban sur le droit de l’espace
Faut-il avouer que le droit de l’espace reste encore flou ? Un petit point définition s’impose : dominé par les cinq grands traités spatiaux, élaborés sous les auspices des Nations unies pendant la guerre froide, il se définit comme l’ensemble des normes juridiques internationales et nationales développées depuis la fin des années 1950 pour régir et réglementer ces activités nouvelles. Alban rappelle que l’espace n’est « pas un far West » : il y a de nouveaux territoires à conquérir, mais le droit de l’espace a déjà « une belle histoire derrière lui qui le rend souple et adaptable ».
À l’écoute des interventions d’Alban dans les médias, on ne peut que se rendre à l’évidence : nombreux sont les Français et les Françaises qui s’interrogent sur la pertinence de la conquête spatiale quand le réchauffement climatique devient de plus en plus prégnant. Alban rappelle que « la conquête spatiale traditionnelle est née dans les années 1950, sur la base de savoir-faire et de compétences technologiques développés dès le début du XXe siècle, c’est-à-dire à une époque où l’intérêt pour les questions climatiques et environnementales était relativement naissant ». Aujourd’hui, « la plupart des nouvelles ambitions spatiales viennent occuper la une des médias aux côtés de catastrophes climatiques dans un contexte géopolitique global qui se réchauffe ». Les acteurs du secteur ne semblent pas sourds aux débats actuels sur la légitimité de la conquête spatiale, et de toute façon « en faire fi serait une erreur majeure » car « on ne peut plus utiliser ou explorer l’espace en 2024 comme on le faisait dans les années 1960 ».
Alban indique qu’il faut poursuivre une réflexion sur le questionnement des usages en matière spatiale, questionnement politique mais aussi technologique. Il y va d’un double enjeu : réconcilier cette utilisation de l’espace dans un monde qui se réchauffe, et adapter le financement des secteurs qui demandent des sommes considérables aux fonds publics quand dans le même temps il faut également financer la transition climatique et la réparation des dommages climatiques.
Avant de terminer l’entretien, nous ne pouvons nous empêcher de demander à Alban si travailler dans un tel domaine lui donne envie de poser le pied sur la Lune. Il rit, puis répond : « je n’ai jamais rêvé d’être astronaute, y compris étant enfant » . S’il se dit « émerveillé » par la prouesse des lancements spatiaux et des technologies développées, il garde un regard critique sur son objet de recherche. Il conclut : « quant à savoir si j'aimerais un jour marcher sur la Lune ou voler en orbite ? Pas pour le moment, et de toute façon, on n’embarque pas de juristes pour l'instant. »