Bienvenue à Tim Lewens (University of Cambridge)

Professeur invité au département d'Études cognitives de l'ENS-PSL

Créé le
20 novembre 2024
Tim Lewens est professeur d'histoire et de philosophie de la biologie, de la médecine et de la bioéthique au département d'histoire et de philosophie des sciences de l'université de Cambridge. Lewens a beaucoup écrit et donné des conférences sur l'évolution et son livre sur ce sujet, Organisms and Artifacts : Design in Nature and Elsewhere (2004) a été largement salué par la critique, tout comme sa monographie de 2007 sur Charles Darwin. Tim Lewens donnera deux conférences en novembre, dont  l'une en partenariat avec l'IHPST, et deux conférences en janvier.
Tim Lewens
Tim Lewens

Conférences en novembre 


Conference 1 - From Hidden Hand to Many Hands: The Case of Casabe.

Cultural evolutionary theorists frequently put stress on the cumulative nature of cultural adaptation. Sometimes they also place stress on the ways in which these cumulative processes share commonalities with processes of adaptation by natural selection. One particular parallel—often illustrated using the case of manioc processing in Amazonia—concerns the 'hidden hand' form of explanation required to account for adaptation in both natural and technological domains. In this talk I look in detail at ways in which Tukanoan people make a type of bread called casabe. This case has often been thought to exemplify the 'hidden hand' aspect of cultural evolution; but here I argue that it is better understood as an instance of a 'many hands' explanation.

Conference 2 - Two direct roles for values in the heart of the sciences 
(Tuesday, November 26, IHPST, 13 rue du Four).

Some philosophers have argued that while values can play legitimate roles throughout all phases of the sciences, values should not be allowed to play a 'direct' role in the internal phases of science. This is on the grounds that values need to be distinguished from evidence. Here I suggest two different ways in which this 'direct', or evidential, role is legitimate even within the sciences' internal phases. First, values can help to make a case for what Alexandrova calls 'mixed' hypotheses. Second, when thick value claims combine in the right ways, they can also provide evidence for hypotheses that are entirely descriptive in content. I illustrate these arguments using cases from conservation science and medicine


Quatre questions à Tim Lewens 

Par Olivier Morin
Olivier Morin est directeur de recherches au CNRS à l'Institut Jean Nicod à Paris. Ses travaux portent sur la transmission culturelle et touchent aux relations entre l'anthropologie et la psychologie, avec un accent particulier sur l'évolution de l'écriture. 

Olivier Morin : Pourriez-vous présenter votre discipline pour les lecteurs français qui ne connaîtraient pas la philosophie de la biologie ?

Tim Lewens : J'ai rencontré plusieurs biologistes qui semblaient perplexes quant à l'existence d'une « philosophie de la biologie » ! Il s'agit d'un vaste domaine qui s'intéresse, d'un point de vue conceptuel, aux travaux menés dans l'ensemble des sciences biologiques. Il s'étend sur un continuum qui va de la biologie théorique à un extrême à la philosophie classique à l'autre. 
Pour donner un exemple du premier type de question, les sciences biologiques débattent depuis longtemps de la question de savoir si la sélection naturelle n'agit qu'à un seul niveau (peut-être au niveau du gène) ou si elle peut agir à plusieurs niveaux différents (au niveau de l'organisme individuel, au niveau du groupe, peut-être même au niveau de l'espèce, ainsi qu'au niveau du gène). Ces débats ne sont productifs que si l'on est rigoureux sur les questions conceptuelles. Que signifie, par exemple, que la sélection agisse à un niveau plutôt qu'à un autre ? Une vision centrée sur le gène à un seul niveau démontre-t-elle les avantages de la parcimonie ou efface-t-elle au contraire des informations (qui peuvent concerner des processus se déroulant à l'intérieur du génome, mais aussi des processus impliquant des groupes d'organismes) qui sont essentielles pour expliquer pourquoi certains traits sont favorisés par rapport à d'autres ? Il existe une riche tradition de philosophes de la biologie qui apportent des contributions significatives aux débats scientifiques dans ces domaines. Pour illustrer le deuxième type de question, on peut citer les travaux en éthique philosophique sur la manière de comprendre le statut de nos jugements moraux. Certains philosophes ont soutenu que si nos jugements moraux (par exemple le jugement selon lequel les parents ont le devoir de s’occuper davantage de leurs propres enfants que des enfants des autres) peuvent être compris comme résultant de la sélection naturelle, alors cela sape toute idée selon laquelle les jugements moraux prétendent énoncer des faits. La validité de cet argument philosophique dépend de la manière dont on comprend les processus de sélection, et la relation entre l'évolution et la moralité en particulier.

O. M. : Vos premiers travaux portent sur la notion de fonction ; comment est-ce que les philosophes des sciences, aujourd'hui, expliquent ce qu'ont en commun la fonction d'un objet (une fourchette, un ordinateur) et un organe (un pied, un cerveau) ?

T. L. : Comme pour presque tout, les philosophes des sciences ne sont pas d'accord sur ce point. Pour certains, c'est une erreur de penser que les fonctions des organes et les fonctions des artefacts fabriqués par l'homme devraient être étroitement liées. L'une des raisons est que les organismes et les artefacts ont des propriétés très différentes. Une tradition qui remonte à Kant souligne que les organismes sont autoproduits, autoréparateurs et autoreproducteurs : l'organisme se dote d'un pied au cours de son développement de l'œuf à l'adulte, il peut réparer son pied s'il est blessé et, enfin, il peut donner naissance à un autre organisme doté d'un autre pied lorsqu'il a des bébés. Les fourchettes ne sont pas du tout comme cela ! Elles ne se développent pas de la même manière que les organismes, elles ne peuvent pas se réparer si elles sont endommagées et elles ne produisent pas de bébés fourchettes.
Une autre tradition, qui était dominante lorsque j'ai commencé à travailler sur ce sujet à la toute fin des années 1990, mais qui n'est plus aussi forte aujourd'hui, établit au contraire des analogies assez étroites entre les domaines des organismes et des artefacts. En gros, l'idée est que la fonction d'une fourchette découle de l'histoire de son utilisation et de sa conception : les fourchettes servent à découper les aliments parce que c'est pour cela qu'elles ont été conçues. Les organes biologiques n'ont pas d'histoire de conception en tant que telle, mais ils ont une histoire analogue, celle d'être façonnés par la sélection naturelle au fil du temps. La sélection naturelle peut favoriser des caractéristiques en raison de leurs effets sur la survie et la reproduction et, de cette manière, la fonction actuelle du pied est déterminée par son histoire passée de sélection pour l'équilibre, la locomotion, etc.

O. M. : Vous avez beaucoup contribué à un champ de recherche qu'on nomme évolution culturelle, pouvez-vous nous dire en quelques mots ce que c'est ?

T. L. : Je pense qu'il est utile de s'attarder sur chaque mot. Ce qui rend l'évolution culturelle « culturelle », c'est que les chercheurs dans ce domaine cherchent à comprendre comment les humains - et pas seulement les humains, mais aussi les oiseaux, les baleines, les poissons, les chimpanzés et de nombreuses autres espèces - apprennent les uns des autres d'une manière qui donne naissance à des traditions stables, et d'une manière qui les aide à faire face aux changements de leur environnement social et écologique. Ce qui rend l'évolution culturelle « évolutive » est multidimensionnel, mais les raisons en sont notamment les suivantes : (i) le désir de comprendre pourquoi ces capacités d'apprentissage sont apparues et comment elles diffèrent d'une espèce à l'autre ; (ii) l'intérêt pour l'exploration des interactions entre les formes d'apprentissage et les formes d'héritage génétique ; et (iii) la tendance à explorer ces questions à l'aide de modèles et de techniques adaptés de la biologie évolutionniste classique.

O. M. : Comment la philosophie des sciences peut-elle contribuer aux grandes questions éthiques que soulève la biologie aujourd'hui ?

T. L. : C'est une grande question ! Parfois, sa contribution est déflationniste. Par exemple, lorsqu'on réfléchit à de nouvelles interventions biomédicales dans les processus d'hérédité, on a tendance à se demander s'il est bon ou mauvais d'essayer de changer la nature humaine. Je suis sceptique quant à l'idée même de nature humaine. Et je pense que ce scepticisme peut être utile, car au lieu de s'interroger sur les changements de la nature humaine en général, il est possible de générer des réponses plus productives et plus détaillées en examinant exactement les formes de modification envisagées et les personnes qu'elles pourraient affecter. La contribution de la philosophie est parfois plus constructive. Depuis plus de vingt ans, les philosophes des sciences ont mis en lumière de nombreuses façons dont la recherche scientifique est profondément imprégnée de valeurs sociales, éthiques et politiques. À mesure que nous comprenons mieux la relation entre les hypothèses scientifiques et l'évaluation éthique, il devient également possible de mettre en place des moyens plus robustes et plus réactifs pour que les avis scientifiques alimentent les politiques publiques.