Des étudiants de l’ENS à la COP26
Dans le cadre du séminaire Négociations climatiques, géopolitique du climat et COP
La COP26 s'est déroulée du 31 octobre au 12 novembre 2021 à Glasgow. Dans le cadre de leurs études, une délégation de 7 normaliens, aux parcours et engagements variés, s’est rendue sur place. Leur objectif ? Observer les séances de négociations intergouvernementales et participer à des side events. Les étudiants et étudiantes reviennent ici sur leur parcours et les raisons de leur engagement.
Dirigé aujourd'hui par Gaëlle Ronsin avec Alessandra Giannini et Aglaé Jézéquel, le séminaire Négociations climatiques, géopolitique du climat et COP est né en 2018 de la collaboration entre un étudiant, de la direction des études de l'ENS et du Centre de formation sur l'environnement et la société (CERES). Dans le cadre de celui-ci, normaliens et normaliennes ont notamment l'opportunité de partir assister à la COP en tant que délégation observatrice.
Depuis, ce sont ainsi une dizaine d’étudiants et étudiantes de l'ENS qui foulent chaque année les moquettes bleues des Nations Unies lors des COP, et se glissent dans les salles de négociations, théâtre de l’ambition climatique internationale. En 2021 ce sont Akim, Cassandra, Esther, Manon, Matthieu, Nolwenn et Théophane qui ont fait le voyage jusqu’à Glasgow pour participer à la COP26, du 31 octobre au 12 novembre 2021.
Au-delà de leur rôle d’observateurs, les sept normaliens ont participé et organisé également des side events en marge des débats et effectué des compte-rendu réguliers des négociations, le tout à destination du grand public mais aussi auprès de classes de collèges et lycées. Étudiants en sciences sociales, en géographie, économie, biologie, physique ou géosciences, ils nous expliquent ici les raisons de leur engagement, leurs missions durant la COP et leurs retours sur cette expérience inédite.
Événement
A COP of tea? Conférence de restitution d'expérience le vendredi 26 novembre 2021 à 18h.
Plus d'information et inscription
Théophane Hazoumé , 3e année, département de biologie
« Affiner ma compréhension des acteurs clés de la transition, et des modes d’action face aux défis majeurs auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui »
Il y a déjà quelques années, c’est la lecture du rapport Les limites à la croissance, écrit par quatre chercheurs du MIT, qui a déclenché mon envie d’agir pour contribuer à l’accélération de la transition socio-environnementale de nos sociétés. J’ai commencé par me focaliser sur la dimension environnementale, en étudiant les sciences du vivant, dont l’écologie, à l’ENS et je poursuis cette année au sein du cursus environnement de l’École des Ponts ParisTech.
Je n’ai pas encore identifié la forme d’action qui me corresponde le mieux, alors j’essaye de multiplier les expériences académiques et extra-académiques pour affiner ma compréhension des acteurs clés de la transition, et des modes d’action face aux défis majeurs auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. L’année dernière par exemple, je me suis intéressée à l’action privée, via la création d’une association visant à promouvoir et accompagner l’innovation socio-environnementale dans l’industrie de la mode. Cette expérience m’a convaincue de la nécessité de mieux comprendre les interactions entre action publique et action privée, et les relations entre la recherche académique et la prise de décisions.
À la COP26, j'ai suivi de façon croisée les enjeux de justice sociale et de la transition énergétique. Je les ai appréhendés principalement par le prisme des acteurs de la société civile, et à travers un focus appuyé sur les entreprises. J'ai été heureuse de pouvoir profiter de l’enceinte de la COP pour interagir avec des acteurs venus de multiples endroits du monde, et nourrir un regard critique, et nuancé, sur ces enjeux !
Ce que participer à la COP26 m'a apporté
De la COP26, j’en retiendrai principalement son caractère fédérateur. J’ai été agréablement surprise par ses retombées sur les engagements concrets pris par un certain nombre d’acteurs de la société civile. Ce caractère fédérateur se ressentait aussi dans la mise en lumière des pays dits du Sud, et de leurs problématiques — dont la nécessité d’engager une transition juste, même si le soutien apporté à ces pays reste largement insuffisant. C’est finalement dans les multiples échanges qui donnent du corps à la COP, et qui font naître des idées, que j’ai compris et apprécié cette expérience collective.
Je suis extrêmement reconnaissante envers l’ENS de nous avoir offert l’opportunité d’être observateurs à la COP26. En tant qu’étudiants déterminés à être acteurs de la transition, je suis convaincue que cet événement, qui nous a permis d’affiner notre compréhension des enjeux sous-jacents à cette transition complexe et de préciser nos intérêts, jouera un rôle déterminant dans la façon dont nous nous engagerons pour contribuer au changement.
Esther Loiseleur, 4e année, département de Sciences sociales
« C’est en voyant le retour des normaliens et normaliennes partis à la COP24 que j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, en prenant conscience que j’ignorais alors beaucoup de choses »
Je suis passionnée par les négociations climatiques et, plus largement tout ce qui touche au climat depuis mon entrée à l'École en 2018 - l’année des grèves pour le climat de la jeunesse, les fameux “Fridays for Future”, et de la COP 24. C’est d’ailleurs en voyant le retour des normaliens et normaliennes partis à Katowice pour les négociations que j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, en prenant conscience que j’ignorais alors beaucoup de choses ! Depuis, je me suis engagée sur ces thématiques à travers mon travail académique, et je commence cette année une thèse sur les risques transfrontaliers émergents à l’ère de l’anthropocène. En parallèle de mes études, je suis également devenue intervenante puis présidente de l’association JAC-Jeunes Ambassadeurs pour le Climat. Avec eux et le Réseau Étudiant pour une Société Écologique et Solidaire (RESES), j’ai déjà participé à une pré-COP en juin 2019.
À Glasgow, j'ai surtout suivi le volet “adaptation” des négociations. J'étais particulièrement curieuse de voir ce qu'ont donné les discussions, 5 ans après l’Accord de Paris, alors que le bilan de ce dernier restait mitigé et ne donnait pas beaucoup de résultats concrets…
Ce que participer à la COP26 m'a apporté
Participer à la COP m’a permis de réaliser sur le terrain le décalage entre les inquiétudes de la société civile, qui grandissent à mesure que les catastrophes climatiques s’accumulent (méga-feux, inondations, criquets…), et la lenteur des négociations, qui ont une fois de plus débouché sur des résultats somme toute décevants. J’en retire surtout beaucoup d’énergie : la COP est une opportunité unique de rencontrer des scientifiques, politiques et activistes du monde entier, c’est très encourageant de se dire qu’on n’est pas seuls dans ce combat ! Il est également crucial d’écouter et de faire entendre les voix des pays les plus vulnérables, encore trop invisibilisés bien qu’ils soient en première ligne face aux impacts climatiques.
Manon Malsang, 3e année, département de Géosciences
« Répondre aux défis sociétaux en travaillant avec la nature pour protéger les réserves de carbone par la gestion durable, la restauration des écosystèmes naturels »
Éveillée aux sciences du climat au sein du Master du département de Géosciences, je vois la COP26 comme une opportunité majeure de catalyser la transformation nécessaire pour lutter contre la perte de biodiversité et le changement climatique.
Ces deux crises étant liées, la recherche a montré que la biodiversité peut soutenir l'action climatique à travers le concept de solutions basées sur la nature (NBS). Je m’intéresserai durant la COP26 à ces NBS qui sont récemment devenues importantes dans le discours international sur les politiques et les entreprises. Elles répondent aux défis sociétaux en travaillant avec la nature pour protéger les réserves de carbone par la gestion durable, la restauration des écosystèmes naturels. Elles sont présentées offrant des avantages pour l'atténuation et l'adaptation au changement climatique, améliorer la biodiversité, promouvoir le bien-être humain et soutenir la reprise économique notamment dans les pays très vulnérables aux impacts du changement climatique et aux niveaux élevés de biodiversité.
Cependant, ce scénario gagnant-gagnant n'est pas garanti (conséquences négatives sur les populations locales, question des investissements et délais, …). Je suis allée à la rencontre de différents acteurs contribuant au développement de projets s’appuyant sur ces NBS.
J’ai cherché au travers des discussions, négociations, groupes de travail, des éclairages que j'ai décrit durant la COP, mais aussi après : Est-ce que la COP permettra la mise en place d’une action ambitieuse d'atténuation du changement climatique combinant diminution rapide des émissions de GES avec une mise à l'échelle rapide de NBS robustes et durables ?
Ce que participer à la COP26 m'a apporté
Être jeune observatrice lors de cette COP m’a fait découvrir le processus très technique des négociations multilatérales sur le climat dans lequel chaque mot ou intervention d’une Partie compte. J’ai pu davantage comprendre les positions très contrastées des différents acteurs: délégation de Parties, entreprises, société civile, scientifiques... autour de l’application de l’Accord de Paris face à l’urgence. Mes sujets d’intérêts, portant sur la place accordée par les Nature-based Solutions et l’océan, étaient très couverts lors des conférences, malheureusement moins dans les textes. Cela m’a tout de même permis de rencontrer des personnes aux motivations et projets très inspirants pour la suite !
Matthieu Ombrouck, 3e année, département d’économie
« Aucune transformation écologique ne pourra se faire sans l'économie »
Si je suis aujourd’hui étudiant en économie spécialisé en politique public, c’est car les enjeux climatiques et de biodiversité sont à mes yeux essentiels. Aucune transformation écologique ne pourra se faire sans cette discipline et sans cette dimension de la vie politique. Services écosystémiques, décarbonation des villes moyennes, Bilan Carbone de l’ENS, Congrès Mondial de la Nature (projet Biodiv’ENS), (macro)économie de la biodiversité… Voici en quelques mots mes sujets de prédilection et expériences passées.
Ma participation à la COP 26 a eu une teinte similaire à celle de mon parcours, à savoir l’analyse des liens entre politiques climatiques et biodiversité. En d’autres termes, la biodiversité est-elle considérée au sein de cette COP climat et si oui, de quelle manière ?
Ce que participer à la COP26 m'a apporté
Vivre une COP m’a permis de saisir modestement où se jouaient les négociations internationales, à savoir dans les détails. Le contraste est d’ailleurs frappant entre les retours médiatiques qui se concentrent souvent sur les grandes lignes, offrant une vision incomplète des négociations. Sur mon point d’intérêt, j’ai pu constater que les pavillons des différents pays comme les scientifiques parlent des interactions biodiversité - climat comme d’un enjeu crucial mais que leur inclusion dans les textes a été largement freinée à la toute fin des négociations.
Nolwenn Schmoderer, 3e année, département Géographie et territoires
« Je m’intéresse autant à la dimension locale et internationale des questions environnementales »
Si je me consacre aujourd'hui à l'échelle internationale des négociations, c'est d'abord par une dimension plus locale que j'ai été amenée à m'intéresser aux questions environnementales. C'est d'abord par le scoutisme que je me suis interrogée sur notre rapport à la nature et aux générations futures. Puis, avec un premier master sur les politiques urbaines, j'ai investigué les enjeux locaux de la transition, notamment dans les villes des pays dits du Sud.
J'ai ensuite rejoint les Jeunes Ambassadeurs pour le Climat (JAC) en tant que rédactrice puis rédactrice en cheffe de L'Ambassadeur, le média des JAC, et suis devenue une abonnée des projets et des conférences du CERES, notamment en m’investissant dans le Bilan carbone de l’ENS, mené l'année dernière.
Je me spécialise aujourd'hui sur la région Moyen-Orient Méditerranée et m'interroge sur l'impact du changement climatique sur la diplomatie des pays du Golfe. À la COP 26, j'ai observé de près les États du Conseil de Coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Koweït, Qatar, Bahreïn et Oman) et ai mené des entretiens avec les diplomates et la société civile golfien.ne.s.
Ce que participer à la COP26 m'a apporté
J’ai réalisé qu’une COP a deux facettes : négociations formelles semblables à celles d’autres enceintes onusiennes, et sommet international du climat réunissant une grande variété d’acteurs d’autre part. En tant qu’observateurs, nous avons un rôle unique situé entre les deux. Là où je m’attendais à être découragée par les faibles avancées et la déconnexion entre le monde des moquettes et le monde extérieur, c’est plutôt l’énergie des négociateurs comme des acteurs de la société civile que je retiens. Ayant pour projet d’intégrer le monde de la diplomatie, je repars de cette expérience avec la conviction que l’on ne peut pas se passer du multilatéralisme pour “gouverner le climat”, et qu’évidemment, ça ne suffira pas !
Akim Viennet, 3e année, département de Physique
« Faire passer les messages scientifiques clés aux bonnes personnes fait également partie du combat »
En dernière année à l’ENS en physique du climat, la lutte contre la catastrophe écologique en cours a toujours été cruciale pour moi. Après quelques années d'engagement associatif et militant,je l’aborde ces derniers temps davantage en tant que scientifique, notamment en ce qui concerne les couplages entre écosystèmes et climat. Il reste tant de mécanismes à comprendre, et je suis convaincu que faire passer les messages scientifiques clés aux bonnes personnes fait également partie du combat. En cela, la COP a été pour moi une occasion rêvée pour me rendre compte de la façon dont les dernières connaissances scientifiques sont prises en compte dans ces négociations très politiques.
J'ai suivi en particulier les articles dont les conséquences touchent directement les écosystèmes et la biodiversité, enjeux trop souvent laissés en deuxième plan. Même si je ne m'attendais pas vraiment à une avancée significative lors de cette COP, j'avais également très hâte de pouvoir sonder les mentalités et les points de vue des différentes délégations, ainsi que de pouvoir partager autour de moi les dessous de ces négociations, parfois très opaques.
Ce que participer à la COP26 m'a apporté
Je retiens d’abord un moment d’ébullition et de rencontres passionnantes, avec des négociateurs, des activistes ou encore des scientifiques venus du monde entier plaider une cause. J’y ai compris qu’une COP est un sommet bien plus intéressant, complexe et utile que ce que je pensais. Certes, l’accord final peut paraître décevant, les engagements pris par les États sont largement insuffisants et le rythme des négociations semble toujours plus en décalage avec l’urgence à agir. Néanmoins, j’ai trouvé cela extrêmement intéressant de voir qu’au cours de l'élaboration du texte (qui doit être adopté au consensus entre 197 États), les revendications des pays les plus touchés par les catastrophes climatiques se sont faites toujours plus criantes, au même titre que leur énergie pour faire bouger les lignes. Certains concepts comme les solutions fondées sur la nature ont pris une place inédite dans les négociations et sur les pavillons, poussés par des acteurs souhaitant mettre sur le devant de la scène les liens inextricables entre biodiversité et climat. J’en sors ainsi bien plus motivé que déçu.
Cassandra Windey, 3e année, département Géographie et territoire
« Se faire l'écho des débats de Glasgow afin de capter l'attention de celles et ceux qui ne s'intéressent pas encore à ces problématiques »
Je me suis intéressée aux enjeux du réchauffement climatique à travers le prisme de la finance-climat et de l’adaptation. En 2020, j’ai rejoint l'équipe Bilan carbone de l’ENS qui a établi la première évaluation de l'empreinte carbone de l’École. Une expérience collective formidable qui a conduit au vote par le Conseil d'Administration d'un plan d'action de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'ENS ! En parallèle, j'ai contribué à des projets de recherche menés par diverses institutions à Paris, Londres et dans sept pays du Sahel afin d'acquérir une expertise sur la question de la résilience des sociétés.
C'est avec grand plaisir et une immense fierté que j'ai pris part à la délégation normalienne à la COP26, avec deux objectifs : réfléchir au rôle des mécanismes d'aide au développement dans le combat pour l'atténuation et l'adaptation au réchauffement climatique, puis me faire l'écho des débats de Glasgow afin de capter l'attention de celles et ceux qui ne s'intéressent pas encore à ces problématiques, et leur permettre d'acquérir la grammaire fondamentale de ces enjeux titanesques. Au programme à notre retour : sessions de tutorat avec des lycéens du programme TalENS et conférences de restitution à l'attention de l'ensemble de la communauté normalienne.
Ce que participer à la COP26 m'a apporté
Un tourbillon d’échanges passionnants, des négociations où se mêlent des débats techniques obscurs et des confrontations très explicites entre positions étatiques, un centre de conférence chaotique… vivre une COP en tant que jeune observatrice, c’est d’abord accepter d’être un peu perdue et de se laisser porter au gré des discussions. De ma participation à la COP 26, je retiendrai surtout la détermination des négociateurs à poursuivre les discussions même lorsque leurs positions respectives paraissaient parfaitement irréconciliables. Voir le multilatéralisme à l’œuvre a été une expérience saisissante qui m’a quelque peu réconciliée avec les grands-messes diplomatiques. Malgré les déceptions et frustrations générées par l’inertie des COP, il faut souligner le mérite du processus : braquer le projecteur sur le ministre des Affaires étrangères des Îles Tuvalu qui s’est adressé aux Parties les pieds dans l’eau !
À propos du séminaire Négociations climatiques, géopolitique du climat et COP Le séminaire est ouvert au-delà de la délégation COP : il accueille cette année comme l'an passé une cinquantaine de normaliens et étudiants d'autres établissements. |