Des feux de forêt à l’origine de vortex de cendres stratosphériques

Un phénomène susceptible d’impacter le climat et la couche d’ozone

Une équipe de scientifiques du Laboratoire de météorologie dynamique a récemment prouvé la récurrence d’un nouveau type de perturbation atmosphérique – les vortex de cendres stratosphériques – découverts à la suite des feux de forêt australiens début 2020. Un phénomène qui pourrait avoir de multiples conséquences sur le climat et la couche d’ozone.
Ces recherches, plus que jamais d’actualité, ont été publiées dans la revue scientifique Atmospheric Chemistry and Physics et sont détaillées ici par Hugo Lestrelin. Co-auteur de l’article et étudiant au département de géosciences de l’ENS-PSL, il revient aussi sur son parcours et ses choix de carrière.
Hugo Lestrelin
Hugo Lestrelin

Alors que selon la NASA, l’été 2021 aura été marqué par l’entrée dans l’ère des « mégafeux » (1), de par leur taille et leur nombre exceptionnels aux quatre coins de la planète, les scientifiques ne sont guère optimistes pour l’avenir. Les modèles climatiques prévoient un accroissement en fréquence et en magnitude des feux de forêt dans le cadre d’un réchauffement global.

 

Des vortex de cendres stratosphériques

Dans ce contexte alarmant, des chercheurs du Laboratoire de météorologie dynamique (UMR 8539, ENS-PSL, CNRS, Polytechnique, Sorbonne Université) ont étudié la possible récurrence de vortex stratosphériques de cendres de feux de forêt. « Ce phénomène a été récemment découvert avec les feux australiens de 2020. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il ne s’est pas produit avant » précise Hugo Lestrelin, co-auteur de l’article et étudiant au département de géosciences à l’ENS-PSL.

Lors de ces incendies dévastateurs, une partie de la masse organique des arbres s’est transformée en cendres carboniques, très sombres, avec une altitude d'envol comparable à celle des panaches volcaniques. La masse d’air associée aux cendres est alors montée dans la stratosphère par pyroconvection, un mouvement de convection atmosphérique provoqué lorsque l’air de bas niveau est plus chaud et humide que celui en altitude. Ce phénomène, déjà fréquemment observé lors de la formation d’un nuage (le pyrocumulonimbus), lors d’une éruption volcanique ou de feux de forêt par convection des cendres, a ici surpris les scientifiques par sa capacité à se maintenir compact plusieurs mois.

« Ce confinement est une conséquence de la vorticité, c’est-à-dire la rotation d’une parcelle de fluide, au sein de la bulle de cendres, qui, plus concentrée, absorbe encore plus de rayons solaires et monte encore plus haut, d’où son nom “stratosphérique” », explique Hugo. Car l’atmosphère est divisée en plusieurs couches, celle dans laquelle nous vivons est la troposphère, c’est aussi celle dans laquelle résident les nuages d’eau qui ne dépassent jamais cette limite. « Mais le nuage de cendre monte tellement qu’il dépasse la troposphère pour aller jusqu’à 35 kilomètres dans la stratosphère. C’est aussi haut que l’éjection de cendres sulfuriques lors d’une grosse éruption volcanique, comme celle du Pinatubo en 1991, en plus de faire jusqu’à plusieurs fois le tour de la Terre en longitude » détaille l’étudiant.

Les feux de forêts dans l’Orroral Valley (Australie) en janvier 2020 ont été particulièrement dévastateurs. Les nuages de cendre peuvent aller jusqu’à 35 kilomètres dans la stratosphère, soit aussi haut que lors d’une importante éruption volcanique. Photo © Wikimedia commons, Nick D.

Les feux de forêts dans l’Orroral Valley (Australie) en janvier 2020 ont été particulièrement dévastateurs. Les nuages de cendre peuvent aller jusqu’à 35 kilomètres dans la stratosphère, soit aussi haut que lors d’une importante éruption volcanique. Photo © Wikimedia commons, Nick D.

 

Un phénomène récurrent aux multiples conséquences

Alors que Bernard Legras, chercheur au Laboratoire de Météorologie Dynamique, travaille encore sur l’article autour de la découverte de vortex lié au feu d’Australie (2), il se demande quand le phénomène aurait pu se produire auparavant. À l’aide du modèle de météorologie européen (ECMWF), son équipe, rejointe par Hugo lors de son stage de Master 1, s’est alors penchée sur les données récoltées des plus gros feux de forêt des précédentes années. Il s’avère que d’autres épisodes de ce type ont bien eu lieu : un premier vortex important après celui d’Australie est observé au Canada en 2017.

Les chercheurs comparent ensuite les deux vortex de cendres, provoqués par des feux pourtant très différents : hémisphères opposés, composition des forêts, variation des courants atmosphériques… « Nous avons constaté de nombreuses similarités, avec néanmoins quelques spécificités », témoigne Hugo. « Au-delà de la différence en magnitude, plus forte dans le cas australien, donc avec pour conséquence un vortex plus long et plus haut, le cas canadien témoigne d’une dissipation du nuage en trois bulles distinctes et de taille comparable, alors que le nuage australien suivi reste plus ou moins uni », ajoute-t-il.

La découverte de la formation récurrente de vortex stratosphérique aura sans doute un fort impact sur les recherches à venir car les conséquences de ce type d’événement, à plus ou moins long terme sont multiples, que cela soit sur le climat ou la couche d’ozone. « Un phénomène à considérer avec d’autant plus de vigilance que les scientifiques ont modélisé l’augmentation de la fréquence et de l’amplitude des feux de forêt, provoqués par le réchauffement du climat », avertit Hugo. « Même si tous les feux de forêt ne provoquent pas de vortex de cendres stratosphériques, il y a véritablement un risque que cela arrive plus fréquemment. »

Composite temporel d’anomalie en ozone le long de la trajectoire (trait bleu) d’un des vortex issus du feu canadien de 2017. Cette anomalie se comporte comme celle d’une « vorticité », mais est plus simple à suivre par contraste de valeur (image de fond : anomalie du 27/09)

Composite temporel d’anomalie en ozone le long de la trajectoire (trait bleu) d’un des vortex issus du feu canadien de 2017. Cette anomalie se comporte comme celle d’une « vorticité », mais est plus simple à suivre par contraste de valeur (image de fond : anomalie du 27/09)

 

« Pour moi, la recherche est synonyme de stimulation intellectuelle et d’indépendance »

Si Hugo connait désormais le sujet en profondeur, il admet avoir commencé son stage au Laboratoire de Météorologie Dynamique avec de « légères notions dans ce domaine » et « avec le hasard » des nombreux aléas de la pandémie de Covid-19 : « J’avais entamé mon stage de Master 1 aux États-Unis dans un institut d’océanographie à côté de Boston pour poursuivre des recherches dans la pétrologie expérimentale, qui est l’étude des roches au microscope par analyse géochimiques » explique le normalien. « Malheureusement, au bout d’un mois le laboratoire a fermé ses portes à cause de la situation sanitaire et j’ai dû rentrer en France. »

De retour à Paris, plutôt que de continuer son stage à distance, Hugo décide d’y mettre un terme pour en trouver un autre, en présentiel cette fois espère-t-il. « J’ai pris le premier sujet que l’on m’a proposé : étudier les précédents cas de vortex de cendres de feux de forêt. Bien que spécialisé dans le côté « terre solide » des géosciences, je m’étais toujours attaché à suivre tous les cours de cette discipline à l’ENS, même ceux concernant l’aspect des fluides, comme la météorologie où l’océanographie ». Ce stage se révèlera pour Hugo une « excellente surprise », qui remettra même en doute ses choix de spécialisation. Mais en parallèle de ses études à l’ENS, le normalien s’orientera finalement vers un Master 2 de mécanique des solides à l’École des Ponts ParisTech, qu’il termine actuellement. Il poursuivra à la fin de l’année 2021 par une thèse à Nice au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) sur la modélisation mécanique du déclenchement des glissements de terrain sous-marins, pour laquelle il a obtenu un contrat doctoral de trois ans.

Un choix idéal pour celui qui se destine à une carrière d’enseignant-chercheur depuis toujours : « très jeune j’ai été influencé par des émissions comme C’est pas sorcier, je savais que je voulais devenir chercheur, tout en étant loin de savoir ce que ce métier signifiait concrètement », se souvient-il. « Et si depuis, ma vision de la recherche est devenue plus pragmatique, avec de nombreux questionnements, poursuivre dans cette voie reste une réelle volonté, car elle est synonyme de stimulation intellectuelle et d’indépendance ». Et la transmission des connaissances étant pour l’étudiant tout aussi indissociable de la recherche, l’enseignement lui apparait également comme une évidence.

Afin de réaliser son rêve « un peu naïf » de devenir « scientifique pour étudier les fossiles », Hugo a commencé à suivre une licence de géologie après son bac. Peu à peu, il se frotte à la recherche et questionne son choix de jeunesse de devenir paléontologue. Les géosciences ayant l’avantage de proposer un large panel de spécialisations, allant de l’étude des sols à la météorologie, Hugo entame une réorientation vers la géophysique. Encouragés par ses professeurs en deuxième année de double licence et grâce auxquels il découvre l’ENS, l'étudiant décide de se préparer à passer le concours d’entrée dans cette grande école : « une décision nourrie par la bienveillance de mes enseignants, le dépit face au programme de ma L3 que j’avais été obligé d’effectuer à l’étranger et permise aussi par  ma réorientation vers la géophysique », justifie-t-il.

 

Intégrer l’ENS : un tremplin plutôt qu’une fin

À l’ENS-PSL, Hugo découvre la mécanique des milieux continus fluides et solides mais aussi la modélisation pour les géosciences, ce vers quoi il s’est spécialisé : « ce sont des domaines qui sont encore à défricher et qui permettent d’appliquer une dimension quantitative à une discipline naturaliste, c’est-à-dire mieux comprendre la Terre, son fonctionnement et les paysages qu’elle façonne, à travers la comparaison entre mesures de terrain et loi physique ».

Ses années à l’École bientôt terminées, le normalien en dresse un bilan « globalement très positif » comme il l’explique avec enthousiasme : « même si j’ai trouvé que l’ENS pourrait être plus ouverte sur certains points, elle reste un formidable bouillon de culture intellectuel.» L’étudiant loue l’interdisciplinarité encouragée au sein l’École normale mais aussi l’accessibilité et la disponibilité des chercheurs : « pouvoir librement accéder aux cours de n’importe quel département est une véritable chance, et peut entrainer un recoupement des connaissances tout aussi judicieux qu’inattendu. La petite taille des salles de classe et la proximité avec les chercheurs sont en outre des opportunités exceptionnelles dans le monde de l’enseignement supérieur actuel. »

Soucieux d’encourager toutes celles et ceux qui souhaiteraient intégrer l’ENS-PSL, qu’ils viennent de l’université ou de classe préparatoire, Hugo leur donne ce conseil, « qui peut apparaitre prosaïque et facile à dire après avoir réussi » : croire en soi. Car le normalien se rappelle « avoir été surpris » du nombre de personnes dans sa promotion en licence de géosciences qui auraient pu aussi envoyer leur candidature, et qui ne l’ont pas fait, de peur de subir un échec. « Tant qu’on ne voit pas l’École normale comme une fin en soi, mais plutôt comme un tremplin, pour accéder par exemple à de nouvelles opportunités d’enseignement et de recherche, et qu’on est motivé, alors il ne faut pas hésiter à concourir » insiste-t-il.

Et vis-à-vis de celles et ceux qui songeraient à s’orienter en particulier dans les géosciences, Hugo est tout aussi bienveillant : en plus de travailler les disciplines quantitatives comme les mathématiques, l’informatique ou la géophysique, le normalien recommande d’effectuer des stages de recherche, pendant les vacances universitaires par exemple : « cela vous donne un avant-goût utile tout en permettant de vous démarquer ». De manière générale, les étudiants doivent se préparer à « étudier beaucoup de physique » et doivent aussi être prêts à toucher à tout, « la particularité du département de géosciences de l’ENS étant d’inciter à prendre au moins un certain nombre de cours dans toutes les thématiques : fluide, solide, interface… ».

(1)    A Summer of Fire-Breathing Smoke Storms, earth observatory, NASA, août 2021
(2)    The 2019/20 Australian wildfires generated a persistent smoke-charged vortex rising up to 35 km altitude, Sergey Khaykin, Bernard Legras, Silvia Bucci, Pasquale Sellitto, Lars Isaksen, Florent Tencé, Slimane Bekki, Adam Bourassa, Landon Rieger, Daniel Zawada, Julien Jumelet & Sophie Godin-Beekmann, Nature, 21 septembre 2021.

 

Bibliographie