Donner la parole aux autres pour comprendre le monde d’aujourd’hui et esquisser demain

Rencontre avec Kendrys Legenty, étudiant en Médecine-Humanités

Étudiant en 3ème année du programme Médecine-Humanités de l’ENS-PSL mais aussi en Master 1 didactique de l’image à la Sorbonne-Nouvelle, Kendrys Legenty est un touche-à-tout. Féru de théâtre et de cinéma, passionné par la médecine, le normalien est un insatiable curieux. Un goût de la découverte et du monde qui l’entoure qui l’a récemment amené à s’impliquer dans la réalisation de plusieurs séries de podcasts. Et si cet étudiant qui ne veut pas choisir entre une carrière de pédopsychiatre et de cinéaste se plaît à prêter sa voix, c’est avant tout pour mieux faire entendre celle des autres.
Kendrys Legenty
Kendrys Legenty

Son visage ne vous est pas familier mais peut-être connaissez-vous sa voix. Aux côtés de la productrice Zoé Varier et de ses camarades Elsa Touretz et Amadou Mbaye, comme lui étudiants en médecine, Kendrys Legenty intervient dans le podcast de l’ENS, Dès Demain. Des voix qui se questionnent sur la jeunesse face à la crise sanitaire d’aujourd’hui et sur le monde que nous voulons pour demain. À moins que vous ne l’ayez entendu dans Transmissions, podcast dans lequel, au cœur du printemps 2020, Kendrys et trois autres étudiants en médecine ont donné la parole à d’autres jeunes soignants comme eux sur leur vécu de la crise sanitaire ?

 

« J’ai toujours eu en moi cette dualité entre les sciences et les arts »

Car Kendrys est curieux de tout. En 2018, il rejoint le programme Médecine-Humanités de l’ENS-PSL, destiné aux étudiants en médecine qui souhaitent enrichir leur formation de l’apport des Humanités. Pour lui, en plus de la médecine, ce sera le 7e art. Une passion qu’il nourrit depuis de nombreuses années comme en témoigne un bac S, option cinéma, obtenu au lycée Marcelin-Berthelot de Saint-Maur-des-Fossés, une petite commune du Val-de-Marne. « J’ai d’abord voulu être paléontologue puis vétérinaire. Mais au lycée, m’est venu ce désir de m’orienter vers une science qui toucherait les êtres humains. Je me revois lire des encyclopédies sur les pathologies qui appartenaient à ma grande sœur », se rappelle-t-il. Infirmière, elle est alors la seule personne dans l’entourage de Kendrys à exercer dans l’univers du soin. « Ce qui me plaisait dans ma vision imaginée de la médecine, c’était la connaissance du corps et de la psyché. En m’inscrivant en médecine, je me voyais neurologue ou psychiatre », ajoute-t-il.

Et si l'étudiant se destine aujourd’hui au métier de pédopsychiatre, l’étudiant entend mêler les arts à la pratique médicale pour mieux soigner : « j’ai toujours eu en moi cette dualité entre les sciences et les arts », admet volontiers Kendrys. « C’est au travers de la pédopsychiatrie que mes attraits croisés pour la psyché, la sociologie et l’art pourraient le mieux se combiner » explique-t-il. « D’autant plus que cette branche de la psychiatrie est un secteur en crise en France, il y manque des moyens et des praticiens. J’aimerais apporter ma petite pierre à l’édifice, par l’implication de l’art, à la fois comme objet potentiel d’aide thérapeutique mais aussi comme moyen de déstigmatisation des maladies mentales chez les enfants et chez les adultes. » Ayant connu « comme beaucoup d’étudiants » des accès dépressifs, Kendrys est attentif aux défis actuels de la santé mentale : « l’un des principaux enjeux aujourd’hui réside en partie dans une prévention et promotion sanitaires plus riches, créatives et touchant le plus de monde possible. Je veux encourager les autres à s’exprimer le plus librement possible », explique-t-il.

Durant les premières années de médecine, Kendrys a des difficultés à trouver ces passerelles entre la science et les arts qui lui tiennent tant à cœur. Très engagé dans le milieu associatif étudiant – il a été président de l’Association Cristolienne des Arts de l’université de Créteil – il met sur pied un ciné-club et organise des débats réguliers autour de la santé avec des intervenants de disciplines différentes (médecine, cinéma, sociologie…). « Mes expériences associatives et culturelles m’ont poussé à voir la médecine de manière plus ouverte que celle montrée traditionnellement dans les facultés de médecine. À un moment, j’ai même pu douter de mon choix d’études, n’arrivant plus à trouver de sens dans la formation », se rappelle Kendrys. Mais ce sont surtout des rencontres avec les professionnels de santé qui lui démontrent qu’une médecine plus proche des Humanités « est possible à incarner et développer ». L’étudiant cite notamment Laurence Caeymaex, réanimatrice en néonatologie et docteure en éthique biomédicale, avec qui il a beaucoup échangé lors de la mise en place d’un diplôme universitaire « Médecine, Image et Cinéma » (DU) à l’Université de Créteil. Destiné aux étudiants et professionnels, ce DU articule les questionnements éthiques du monde médical avec des pratiques et des conceptions artistiques, via le court-métrage et la bande dessinée. Durant cette période, Kendrys s’intéresse beaucoup à la sociologie et l’anthropologie médicale, il envisage même d’effectuer un master dans l’un de ces disciplines. C’est un ami qui l’informe de l’existence du cursus Médecine-Humanités de l’ENS-PSL. Enthousiaste, il candidate, séduit aussi par « le prestige associé à l’École ».

 

Faire tomber les frontières entres les sciences humaines et la médecine

Ce cursus de trois ans permet à des étudiants déjà inscrits en médecine de suivre une formation parallèle au sein de l’ENS-PSL et de ses institutions partenaires. Comme son nom l’indique, il est centré sur les Humanités, c’est-à-dire sur la philosophie, l’histoire, les sciences sociales ou encore dans le cas de Kendrys, les arts. « Avec cette formation, il y a une volonté de se reconnecter à l’apprentissage plus ancien de la médecine. Celui où elle était à la fois un art - dans le sens large du mot - et une science, et le médecin la figure du lettré » observe le normalien. Après trois ans, ce programme et l’École semblent bel et bien être la pierre manquante à son parcours : « je suis tombé sous le charme de l’ENS, de son ambition de ne pas mettre de frontière entre les sciences dures et les sciences humaines et sociales. Cette essence pluri et transdisciplinaire s’accorde parfaitement avec ma conception du savoir et de l’apprentissage. »

Pour Kendrys, le cursus Médecine-Humanités engage également à un certain recul et un rapport au temps serein, si importants en période de crise sanitaire, contrairement aux études de médecine « très prenantes, qui peuvent imposer un tout autre regard au monde et forcer à être mature très rapidement sans que l’on y soit prêt. » Ce recul temporel et intellectuel est une « très belle opportunité de mieux saisir la richesse du monde biomédical et du soin », estime le normalien. « Avec les futurs enjeux sanitaires découlant des problématiques environnementales, des avancées techniques et des évolutions socio-politiques, ce « pas de côté » est un réel atout. »
Kendrys s’estime « très heureux » de pouvoir suivre le programme Médecine-Humanités, particulièrement enthousiasmé par la richesse des cours de l’École : « en médecine, on ne choisit pas, ou alors très peu, nos cours. C’est donc un changement total de conception de la formation qui s’est opéré quand je suis rentré à l’ENS :  l’offre de cours est tellement gigantesque qu’il est facile de s’y perdre quand de nombreux domaines nous intéressent. » Mais l’étudiant a trouvé rapidement son chemin en choisissant la plupart de ses cours au sein du département des Arts, auquel il est affilié. Ses choix se sont concentrés sur le cinéma et le théâtre, un art dont il était peu familier et pour lequel il a petit à petit développé son goût, ses connaissances et sa pratique. Le normalien apprécie particulièrement d’avoir des cours théoriques complétés par des cours de pratiques théâtrales et cinématographiques, comme par exemple des ateliers scénario et de réalisation documentaire, ou bien encore des masterclass d’écriture poétique. « Cette pluralité de formation est vraiment très positive et enrichissante » constate Kendrys, ravi.

 

Le cinéma comme outil de transmission et d’éducation

Au-delà de vouloir mettre à profit ces cours artistiques dans sa pratique de la pédopsychiatrie, Kendrys espère aussi qu’ils l’aideront à devenir réalisateur ou scénariste, l’autre métier auquel il se destine : « je souhaite faire du cinéma un outil de transmission et d’éducation », confie le normalien. En Master 1 Didactique de l’image à la Sorbonne-Nouvelle en parallèle de ses études à l’ENS-PSL, Kendrys s’intéresse aux représentations de la sexualité gay à l’écran, notamment celles liées à l’épidémie de sida. Il explore la relation entre films d’auteur, films institutionnels et films de prévention et questionne la représentation de la sexualité, du corps et de la sociabilité de cette « partie de la population considérée comme une minorité pendant très longtemps, vue à tort comme déviante » qui a soudain la parole. Le normalien a d’ailleurs commencé à réaliser un documentaire sur la sexualité gay contemporaine et son lien avec la médecine et la prévention, intitulé 5 à 7, itinéraire de désirs gays contemporains. Il sera finalisé d’ici juin.
Et si Kendrys concède que les métiers de pédopsychiatre et de réalisateur ne seront pas évidents à cumuler, il ne se voit pas sacrifier l’un pour l’autre. Tout dans son parcours marque cette liberté et cette volonté de relier les univers. Il revendique cette appétence pour la culture et la pédagogie, le refus d’une spécialisation trop rapide et affirme volontiers : « j’ai cette volonté de rester ouvert au monde et aux idées. Réfléchir sur la transmission des idées et du savoir est à ce jour l’un des moyens que j’ai trouvés pour rester dans cet objectif. »

 

Le micro tendu vers l’autre

En parallèle du monde du cinéma, Kendrys s’essaye à la réalisation et l’animation de podcasts. Depuis quelques mois, il tend le micro à de jeunes soignants, mais aussi des spécialistes, artistes, ou chercheurs et s’interroge, avec eux, sur le milieu médical et la jeunesse d’aujourd’hui.
En 2019, avec des amis étudiants en médecine de facultés à Nantes, Paris et Tours, rencontrés au sein de l’Association Nationale des Étudiants en Médecine de France (ANEMF), il a cofondé le média Derrière la Blouse. Leur devise ? « Ouvrir les études de santé sur le monde et le monde aux études de santé ». Une démarche nourrie par des témoignages de soignants et d’étudiants, qui soulignent la diversité des parcours des soignants et la pluralité du soin.
Leur série de de vidéos Histoire de Blouse donne la parole à des docteurs et à des internes au parcours inspirant comme par exemple Jeanine Rochefort, médecin retraitée responsable de Médecins du Monde – Île-de-France. Micro en main, ils ont couvert des sujets d’actualité comme la mobilisation du corps soignant du 14 novembre 2019, ou la PrEP, un outil médicamenteux préventif contre le VIH. Entre mars et juin 2020, ils lancent Transmissions, des podcasts dédiés aux récits de soignants, surtout des jeunes, confrontés à la première vague de la pandémie de Covid-19. « J’ai eu quelques problèmes de santé à ce moment-là et je ne pouvais me rendre sur le terrain, ce podcast était pour moi un moyen d’apporter mon concours à ce qui se passait » confie Kendrys. Leur prochain projet, Trajectoire(s), permettra aux étudiants et jeunes médecins de donner à entendre leur retour d’expérience de stages.  « Il s’agira de mettre en lumière l’impact de cette expérience sur leur vision du soin, et leurs conseils aux autres étudiants. À travers leur parcours, nous aborderons aussi les enjeux sociétaux autour de la santé comme la médecine humanitaire, les soins palliatifs ou encore l’éducation thérapeutique », précise Kendrys. Des projets personnels qui lui ont permis d’appréhender la crise différemment, « avec un recul plus critique » et de mieux la comprendre. « J’essayais et j’essaye encore aujourd’hui d’avoir une lecture des évènements qui n’est pas seulement clinique ou biomédicale, et d’avoir un recul plus sociologique, anthropologique et philosophique, difficile à atteindre en une telle période » confie le normalien.

 

S’affranchir de l’instantanéité de la crise qui empêche une réflexion apaisée

Depuis janvier 2021 Kendrys est engagé dans l’aventure du premier podcast de l’ENS, Dès Demain. Cette série en six épisodes donne la parole à la jeunesse et invite à une réflexion sur les nombreuses facettes de la crise sanitaire. L’équipe, composée de Zoé Varier de France Inter, de Kendrys, Elsa Touretz et Amadou Mbaye, étudiants en Médecine-Humanités, est partie à la rencontre d’artistes et de scientifiques. L’anthropologue Frédéric Keck, la critique et historienne de l'art Elisabeth Lebovici ou bien encore la philosophe Marie Gaille comptent parmi les premiers invités. « J’étais très enthousiaste à l’idée de reproduire une expérience de production de podcast conduite dans un cadre plus autodidacte. Et à l’instant où j’ai su qu’un podcast allait se mettre en place, j’ai immédiatement voulu y participer », confie Kendrys. « Un des intérêts du programme Médecine-Humanités réside pour moi dans la conception de projets concrets comme celui-ci qui sont qui sont de vrais défis et poussent à promouvoir l’union entre la Médecine, les Humanités, des nouvelles formes de communication, d’information et même des pratiques artistiques », poursuit l’étudiant.

Enregistrement du premier épisode du podcast Dès demain. De gauche à droite : Amadou Mbaye, Zoé Varier, Kendrys Legenty, Elsa Touretz et Frédérick Keick, anthropologue et invité du podcast. © Frédéric Albert
Enregistrement du premier épisode du podcast Dès demain. De gauche à droite : Amadou Mbaye, Zoé Varier, Kendrys Legenty, Elsa Touretz et Frédérick Keick, anthropologue et invité du podcast. © Frédéric Albert

Kendrys est particulièrement sensible au vécu par ses pairs de la pandémie, qu’ils soient étudiants en médecine ou tout simplement membres de cette jeunesse d’aujourd’hui. « La crise du Covid a attiré l'attention de manière dramatique sur la question de la santé mentale et en particulier sur celle des jeunes et des étudiants. Cependant beaucoup d’étudiants souffraient, souffrent et souffriront encore après. Au travers de l’expérience de ma maladie, il est important pour moi de briser cette image d’Epinal du jeune qui est et même, doit être, en bonne santé et qui rentrerait dans une logique productiviste. À cause de cela, j’ai souvent eu l’impression de passer à côté de ma jeunesse, et peut-être encore plus avec la pandémie actuelle. »
Après un an de crise, « très enfermante, à la fois corporellement et psychiquement », le travail proposé par ce podcast lui apparait comme une manière de « prendre une respiration et de s’affranchir de l’instantanéité de la crise qui empêche la réflexion. »  L’étudiant, qui avait beaucoup apprécié travailler sur Transmissions, souhaitait reproduire l’expérience « dans un cadre plus professionnel et institutionnel, et toujours avec le désir d’utiliser les médias audiovisuels pour transmettre des connaissances. Je suis très pessimiste sur l’avenir qui se profile pour notre génération et celle qui nous précède », ajoute-t-il soucieux. « Il m’apparait donc important de m’engager, ne serait-ce qu’intellectuellement ».

Et pour cela, Kendrys est heureux de compter sur Amadou, Elsa et Zoé Varier, avec lesquels il se sent très proche et en confiance : « Zoé Varier sait parfaitement jongler entre son expertise professionnelle à la radio et sa volonté de donner de l’espace à tous nos questionnements. Nous formons une très belle équipe », se réjouit-il, « nous nous sommes même trouvés un petit nom : Kaze, qui veut dire « vent » en japonais ». Kendrys dit « apprendre beaucoup » avec Dès demain. La préparation de chaque épisode lui impose comme à toute l’équipe d’approfondir des sujets très variés, de la philosophie à la littérature, mais aussi de chercher les références sonores pertinentes qui donneront sa couleur à chaque épisode. Le normalien se nourrit aussi beaucoup de l’expertise des invités de chacun des épisodes : « je ne pensais pas qu’il était possible de relier Abdellatif Kechiche à Hannah Arendt, ou bien que j’allais rencontrer Elisabeth Lebovici pour qui j’ai une grande admiration. » Kendrys espère que ce podcast donnera « à réfléchir au plus grand nombre », car comme il conclut en souriant : « le monde de demain est déjà là, il est temps de le construire et d’en prendre soin ! »

 

RESSOURCES

 

•    Site web du parcours Médecine-Humanités
•    Écoutez le premier podcast de l'ENS-PSL, Dès demain, co-réalisé par 3 étudiants du programme Médecine-Humanités
6 épisodes pour questionner la jeunesse sur la crise sanitaire que nous traversons et sur le monde que nous voulons pour demain. Amadou, Elsa et Kendrys, accompagnés par la productrice Zoé Varier de France Inter, s'interrogent et partent à la rencontre d’artistes, de chercheurs et de chercheuses.

 

•    Dans le numéro 337 du 1 Hebdo paru en mars 2021, réalisé avec les étudiants du programme Médecine-Humanités, six d'entre eux racontent « Les jeunes au rendez-vous du Covid ». Lire l'article ici et le sommaire du numéro est à découvrir là.

 

•    Le programme Médecine-Humanités de l'ENS-PSL propose depuis janvier 2021 un cycle de conférences sur le thème Pandémies : Faits et politiques, qui donnent la parole à des chercheurs de toutes les disciplines ainsi qu’à des artistes. Retrouvez l’intégralité des conférences passées à réécouter ici et inscrivez-vous aux prochaines via cette page.

 

•    Entretien avec Déborah Levy Bertherat, maître de conférences en littérature comparée, précédente responsable du programme Médecine-Humanités à l'ENS
•    Interview de 3 étudiants du programme Médecine-Humanités à l’occasion de leur participation à la nuit des idées en 2020