Du pluralisme des disciplines sur les flancs d’un volcan en activité
C’est devenu comme une tradition à l’ENS : chaque année depuis dix ans, un petit groupe d’étudiants et de professeurs se rend sur les flancs de l’Etna pour un stage d’une semaine. Sa particularité ? Être ouvert à l’ensemble des étudiants et étudiantes de l’ENS, et pas seulement ceux de géosciences. Récit d’une pluridisciplinarité volcanique.
« Plus que le stage en tant que tel, c’est le mode de stage en lui-même qui est son intérêt fondamental. » Simon Bufféral, doctorant en géodynamique et géodésie au sein du département de géoscience de l’ENS-PSL, sait de quoi il parle. Depuis quelques années, il encadre le stage à l’Etna : « En tant que vétéran du projet, mon rôle est d’aiguiller les étudiants dans la préparation du stage tout en m’astreignant à en faire le minimum pour laisser libre cours à leur initiative. », s’amuse-t-il. Ce séjour de dix jours est une expédition scientifique annuelle sur le volcan sicilien organisée par des étudiants et anciens étudiants des départements de Géosciences, d’Histoire, de Sciences de l’Antiquité et de Sciences Sociales de l’École Normale Supérieure, en collaboration avec des chercheurs invités de domaines variés. Simon poursuit ainsi : « Nous faisons beaucoup de stages de terrain en géologie, mais celui-ci est différent : nous sommes plus dans un stage de vie de la recherche par la rencontre avec des partenaires italiens et le dialogue des sciences. On apprend aux étudiants l’importance du contact humain et de la discussion dans la science. Je le leur répète chaque année : tisser des liens fait vivre la science. »
Des strates volcaniques aux strates des disciplines
À l’origine de cette séquence sur l’Etna ? En 2011, Pierre Briole, géophysicien, directeur de recherche du CRNS et ancien directeur du département des géosciences de l’ENS, prend la décision d’aller sur le terrain. Il raconte : « Lorsque je suis arrivé à l’École, l’absence de ce type de stage m’a interpellé. C’était tout à fait faisable dans le sens ou les étudiants n’étaient pas extrêmement nombreux et la Sicile proche de la France. C’était aussi une façon de renforcer l’européanité de l’École. » Le stage est dédié à la connaissance du volcanisme de l’Etna, avec l’étude notamment des différents types de roches qui changent suivant l'âge des éruptions. Le premier voyage montre immédiatement tout ce que la richesse du territoire autour du volcan peut apporter à l’expérience pédagogique : « Avec les étudiants, on voyait de façon évidente toutes les traces des civilisations passées, les Grecs anciens, les Romains, les Normands, etc. Tout un continuum complet de civilisations qui ne s’observe que peu ailleurs », s’enthousiasme Pierre Briole.
Partant de ce constat, année après année, les voyages s’enrichissent, au fil des observations, des croisements d’étudiants et de leurs disciplines respectives qui s’ajoutent progressivement, comme autant de strates complémentaires. « Par exemple, l’an dernier, un collègue de l'École Urbaine de Lyon, Alfonso Pinto, nous a fait découvrir toute la question à la pollution d’une zone, explique Pierre Briole. Au milieu des vestiges archéologiques grecs et romains, on trouve tout un complexe industriel, une vaste raffinerie chimique. Ses rejets polluants ont eu des impacts très forts sur certains enfants de la zone Priolo-Augusta, proche des industries, qui naissent depuis quelques années avec des malformations. Je ne sais pas si le problème est réglé aujourd’hui. » Afin de renforcer ce pluralisme, il n’y a pas de sélection pour participer : « Nous faisons circuler l’information dans toute l’ENS. Viennent ceux qui y trouvent appétence. », explique Simon Bufféral.
« Tisser des liens fait vivre la science. » Simon Bufféral
Apprendre et comprendre sur le terrain
En 2018, le stage intègre le cadre de formation globale de l’ENS-PSL, le Diplôme de l’École normale supérieure (DENS), et s’ouvre à d’autres départements. Partie cette année-là, Louise Le Vagueresse, doctorante en géosciences et médiation scientifique, raconte : « Il est vrai que c’était devenu progressivement un projet étudiant, plus indépendant du département. En 2018, nous y avons ajouté une dimension sociologique et historique à ce stage, en y tournant notamment un documentaire de 49 minutes sur la perception du volcan par les populations locales [voir plus bas]. » Partie avec une quinzaine d’étudiants et d’invités, Louise garde un super souvenir de ce séjour : « J’y ai appris énormément de choses. C’est la première fois, par exemple, que j’ai réalisé des mesures de panache volcanique sur le terrain. »
Louise Nassor, étudiante en médecine-sciences à l’ENS-PSL, sera du voyage cette année : « J’ai cherché ce que je pourrais apporter. Je pense que je vais étudier l’impact des poussières émises par le volcan sur les habitants. » La normalienne apprécie particulièrement l’ouverture permise par ce stage. Sur place, elle souhaite approfondir ses connaissances en géologie et découvrir les usages des recherches de terrain. En termes d’organisation, le processus est en tout cas bien rodé. Des séminaires pré-Etna, qui ont lieu tous les jeudis soir entre mai et juillet, permettent de rencontrer des scientifiques de tous bords qui procèdent à des rapides initiations sur leurs domaines de connaissances en lien avec les thématiques du stage. Charge aux « vétérans » des séjours sur l’Etna de garder le contact avec les habitants de la région, en termes logistiques comme scientifiques. « Cela est extrêmement précieux car, sans cette connaissance de terrain, un tel stage serait impossible à improviser, explique Simon Bufféral. Les étudiants n'ont plus qu'à s'en inspirer pour bâtir eux-mêmes leurs propres éditions, suggérer des choses, aborder des idées nouvelles et peut être questionner, à partir des retours, les précédentes éditions. » Et Louise Le Vagueresse d’ajouter : « Il y a également toute une démarche de recherche de financements pour ce séjour qui est assez formateur. »
L’an prochain, le stage sera décalé au mois d’avril ou mai, les archéologues ne fouillant pas en juillet en raison de la chaleur. Il sera toujours animé par la même envie de faire vivre la rencontre des sciences et des lettres. Et à Simon Bufféral de conclure : « Cette pluridisciplinarité est une nécessité. Chaque participant, finalement, doit être lui-même pluridisciplinaire dans sa manière d'aborder son problème. Sinon, on n'avance pas. », conclut Simon Bufféral.