Entretien avec Xavier Lazarus
Nouveau président du Comité de campagne de la Fondation de l’ENS
Ancien chercheur en mathématiques pures, managing partner d’Elaia, le fonds d’investissement spécialisé dans la Tech qu’il a cofondé en 2012, Xavier Lazarus (S, 1991) est, depuis le 6 avril 2023, Président du Comité de campagne de la Fondation de l’ENS. Il prend la suite d’Anne Bouverot (S, 1985) élue à la présidence du conseil d’administration de l’ENS en juillet 2022.
Le Comité de campagne, composé d’une dizaine de personnalités issues des milieux économiques et institutionnels, joue un rôle d’ambassadeur pour l’ENS en représentant l’École auprès de ses réseaux. Il contribue également à porter la prochaine campagne de collecte de fonds en France et à l’étranger. Au moment où il en prend la présidence, Xavier Lazarus revient sur son parcours, sur ses engagements pour l’ENS et ses ambitions pour la Fondation et la communauté des donateurs mobilisés autour de l’École.
Que représente le fait de prendre la tête du Comité de campagne de la Fondation de l’ENS en 2023 et en quoi, selon vous, la place de la Fondation auprès de l’École a changé, quarante ans après sa création en 1986 ?
C’est un grand honneur pour moi d’avoir été nommé Président du Comité de campagne, un rôle que j’ai accepté sans hésiter, un rôle qui me permet de garder des liens étroits avec « mon » école et d’agir pour contribuer à son nécessaire développement dans le contexte actuel. En effet, le monde de l’éducation supérieure a changé, il est aujourd’hui plus international, plus compétitif et le coût des études supérieures ne fait qu’augmenter. Il faut que l’École dispose de moyens à la hauteur de son impact, du service qu’elle rend et de son image prestigieuse.
« Une des caractéristiques de l’ENS c’est sa dualité : elle combine le fait d’être une École à taille humaine avec des étudiants qui partagent une vraie vie d’école et en même temps c’est un haut lieu de recherche où pratiquement toutes les disciplines sont représentées. »
En quoi le Comité de campagne de l’ENS se distingue-t-il de ceux des fondations d’autres grandes institutions d’enseignement supérieur et de recherche et pour quel impact aimeriez-vous qu’il soit reconnu ?
Une des caractéristiques de l’ENS c’est sa dualité : elle combine le fait d’être une École à taille humaine avec des étudiants qui partagent une vraie vie d’école et en même temps c’est un haut lieu de recherche où pratiquement toutes les disciplines sont représentées. Cette dualité recherche / éducation, cette densité de propositions et la multidisciplinarité des thématiques abordées déterminent la spécificité du Comité de campagne et de sa Fondation, très distincts de ce que peuvent proposer des institutions de recherche pure ou des universités. L’École présente une grande diversité de profils, de projets que l’on doit aborder avec le souci de l’excellence. On travaille à l’ENS pour faire avancer la science, pour donner des clés de compréhension du monde, on y côtoie des philosophes spécialistes de Platon, des physiciens, des chercheurs qui font de l’IA au confins de la technologie actuelle… le Comité de campagne est le reflet de tous ces profils et cherche à promouvoir et accompagner ces missions de très haut niveau.
Au-delà de la levée de fonds et du soutien financier aux activités de l’École, quels rôles la Fondation et les mécènes jouent-ils auprès de l’ENS ?
La Fondation agrège des mécènes, elle peut aussi avoir un rôle de conseil, d’émulation et de partage de réseaux, mais elle ne doit jamais entrer dans un rôle d’orientation de la recherche, ni de décision. L’École formule ses besoins et définit ses priorités, la Fondation y adhère et s’emploie à lever les fonds nécessaires pour y répondre. Elle joue le rôle de liant, de « go between », elle mobilise de grands donateurs, des personnes privées ou des entreprises et de plus petits donateurs, notamment beaucoup d’anciens élèves de l’ENS qui ont à cœur de reprendre contact avec leur école. J’en ai fait moi-même l’expérience, je me suis éloigné un moment, puis je suis revenu dans le giron de l’École par mon métier, le financement des start-ups deeptech, puis par la Fondation, et je suis finalement même entré au Conseil d’administration de l’École.
Le mécénat est un acte très personnel, chacun contribue à hauteur de ses moyens, tous les dons sont appréciés et aux yeux des membres de la Fondation, ils ont la même valeur. Ce serait contraire aux valeurs de l’ENS de considérer que l’argent donné est un filtre ou un outil de mesure de la valeur, cela n’a jamais été le cas ; les mécènes apportent aussi des idées, partagent leur réseau, formulent des envies et cela va au-delà de l’argent.
Le Comité de campagne est une aventure collective, une dizaine de personnalités issues des milieux économiques et institutionnels sont mobilisés à vos côtés. Quels sont les ressorts de leur engagement ?
Le ressort majeur, c’est principalement ce que les anglo-saxons appellent le « give back », il s’agit de rendre ce que l’on a reçu. Les mécènes, mobilisés à mes côtés, n’ont pas besoin de s’afficher dans le Comité de campagne pour leur notoriété, ils sont motivés par le désir de donner en retour. Par ailleurs, le fait de retisser, par le biais du mécénat, des liens avec l’ENS leur permet de retrouver la pluridisciplinarité et le côté très intellectuel de l’École… qu’ils ont peut-être un peu perdu dans leur quotidien professionnel. Ils ont plaisir à aborder à nouveau des sujets qui résonnent avec les valeurs acquises lors de leur formation.
Vous êtes un entrepreneur et un fin connaisseur de la French Tech, pensez-vous que la culture entrepreneuriale se diffuse au sein de l’ENS ? Notamment dans l’énergie, la santé, l’IA, la biologie, ou le quantique, tous ces champs de recherche où l’École et PSL sont en pointe ?
Il y a un parallèle intéressant entre l’enseignant-chercheur et l’entrepreneur, ils ont beaucoup de choses en commun : ils sont très indépendants, en contrôle de leurs projets ; ils font travailler des équipes, doivent lever de l’argent, financer leurs idées, enfin ils travaillent sur le temps long, très long parfois. Toutefois, si la culture entrepreneuriale est proche sous certains aspects de la culture de la recherche, par contre il y a de vraies différences structurelles et les enjeux ne sont pas les mêmes : d’un côté il y a le business, son rythme élevé et ses impératifs et de l’autre la volonté de faire avancer la connaissance. Entre ces deux univers la porosité est de plus en plus forte et la culture entrepreneuriale se diffuse au sein de l’ENS tout naturellement parce que le terreau y est exceptionnellement fertile. L’ENS est à la pointe de la recherche en matière de santé, d’énergie, d’IA… ces domaines sont des enjeux majeurs en termes de compréhension du monde, de développement de la science et de développement économique. Demain, des projets concrets vont émerger, un petit nombre d’étudiants de l’ENS et de jeunes chercheurs passeront le cap et deviendront des entrepreneurs, à l’image de ces créateurs que j’ai pu financer en tant qu’investisseur professionnel.
Vous êtes normalien, agrégé et docteur en mathématiques, vous avez eu une carrière d’enseignant chercheur avant de bifurquer vers l’entrepreneuriat et le monde de la Tech. Qu’est-ce qui motive aujourd’hui votre engagement auprès de l’École ?
Le type d’investissement que j’ai pu mener dans le cadre de mon fonds d’investissement, les compétences qui sont aujourd’hui les miennes, ma façon de voir le monde ou autrement dit, tout ce qui fait ma différence en tant que professionnel, ont été façonnés par ma formation, à l’École, puis à l’université. Cette expérience personnelle me motive aujourd’hui pour agir, pour aider les étudiants dans leur parcours, pour leur permettre d’aller au bout de leurs rêves et de leurs motivations, leur permettre de se former en tant qu’être humain et surtout d’avoir l’option de bifurquer s’ils le souhaitent. Au-delà des moyens financiers, de l’énergie que je peux y consacrer, de la démonstration par l’exemple, revenir près de l’ENS c’est une façon pour moi de témoigner de l’importance de la formation par la recherche et du potentiel de l’École qui ouvre sur des possibles beaucoup plus larges que l’image qu’elle peut avoir.
« Si je me réfère à ma propre expérience, j’ai autant appris au contact de mes pairs qui venaient d’autres milieux que le mien, qu’au contact de mes professeurs qui me donnaient accès à la théorie, mais pas aux codes sociaux que je ne dominais pas. »
Vous soutenez le fonds Potter qui rend possible l’accès de bacheliers de milieux ou de zones défavorisés aux meilleures filières du supérieur. L’École vient quant à elle d’annoncer des bourses Femmes et Sciences. Sur le champ particulier du mérite et de la diversité sociale quelle est votre ambition ?
Ouvrir l’École à des talents issus de la diversité sociale est une ambition personnelle et aussi un des objectifs majeurs de la Fondation. L’enjeu est double si on souhaite rendre les choses possibles, c’est à dire permettre à tous les élèves, quel que soit leur milieu, d’imaginer pouvoir accéder aux études supérieures et ensuite de leur en donner les moyens. Le financement des études est un problème majeur et l’enjeu numéro un est celui du logement. Dans le cas de l’ENS, si un étudiant est dans l’impossibilité financière de se loger à Paris ou en proche banlieue et s’il a une heure et demie de transport, matin et soir, cela compromet son intégration humaine, sociale, cela le prive de l’accès aux autres, de la découverte culturelle du centre de Paris. La vie en commun fait partie de la formation. Si je me réfère à ma propre expérience, j’ai autant appris au contact de mes pairs qui venaient d’autres milieux que le mien, qu’au contact de mes professeurs qui me donnaient accès à la théorie, mais pas aux codes sociaux que je ne dominais pas. Les bourses personnelles constituent une aide notable, mais à condition que le gros de la bourse ne soit pas consacré qu’au logement. Comment, avec l’augmentation du nombre d’étudiants de ces dernières années l’École peut-elle offrir un accès à des hébergements à des prix raisonnables ? C’est un enjeu sur lequel je souhaite vraiment travailler, si l’on arrive à régler ce problème, on aura fait une belle avancée.
En ce qui concerne l’accès des étudiantes aux sciences, c’est un sujet très vaste et de très longue haleine. Il faut valoriser le parcours de super héroïnes auprès des très jeunes élèves pour susciter plus d’envies, car nous avons un vivier de talents extraordinaires qu’il faut encourager à aller vers les Sciences.
Pour conclure et d’un point de vue personnel, de quoi vous sentez-vous le plus redevable à l’École ?
La plus grande chose que l’École m’ait offert, c’est un ticket d’entrée pour un monde autre que celui de mes origines. Elle m’a donné le droit de changer de ville, de changer de vie, elle m’a permis d’avoir ma chance et c’était à moi de la saisir, mais surtout elle m’a permis d’en faire ce que je voulais, j’ai pu d’étudier ce que je souhaitais, à mon rythme, sans aucune pression. Je me suis toujours senti libre de choisir ma voie - enseignant-chercheur puis entrepreneur dans la finance - tout a été possible. L’ENS est une école qui offre des possibilités incroyables pour ceux qui ne sont pas issus d’un milieu privilégié et elle laisse la liberté de faire ce que l’on veut de cette formidable opportunité.