Epilogue - Le cinéma s’est arrêté
Par Antoine de Baecque, historien et critique de cinéma
Le samedi 14 mars 2020, à 20h, tous les « lieux recevant du public non indispensable à la vie du pays » sont fermés pour une durée indéterminée : les cafés, les restaurants, les boutiques, dans le domaine culturel, les bibliothèques, les librairies, les musées, les théâtres, les salles de concert. Et bien sûr les salles de cinéma. Pour ces dernières, le black out général dure cent jours. La pandémie de Covid-19 confine la France pour presque deux mois. Une question hante alors les conversations cinéphiles : quel est le dernier film vu en salles avant le confinement ?
Le confinement commence, le cinéma s'arrête
Par Antoine de Baecque
La catastrophe reste largement invisible, matérialisée par des images extra-cinématographiques : les diagrammes des contaminations, les courbes des morts, les modélisations animées des « gestes barrières » et les vidéos d’actualité télévisées tournées en urgence et sous contrôle dans des services de réanimation hospitaliers débordés. Assez rapidement, la principale manifestation planétaire de cinéma doit se rendre à l’évidence : le Festival de Cannes n’aura pas lieu, comme sa première édition de 1939, morte née à cause du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il décernera ses prix sous forme de « Label Cannes 2020 » – le premier film a en bénéficier est Été 85 de François Ozon, le 15 juillet suivant –, et le Marché du film se déroule en ligne du 22 au 26 juin.
Ce qui convoque et fait ressurgir le cinéma, par contre, ce sont les villes vides. Comme l’écrit Alice Leroy, « les images des grandes métropoles dépeuplées ont investi ces derniers mois nos vies quotidiennes après avoir longtemps habité nos imaginaires » (1). En ce sens, les deux films symptômes de notre récent confinement du printemps ne seraient-ils pas, sortis quelques mois plus tôt de manière étonnamment prophétique, celui du cinéaste palestinien Elia Suleiman, qui met en scène dans It Must Be Heaven (2019) son exil parisien comme le spectacle d’une ville se déployant devant lui, petit personnage en amorce des plans, soit quadrillée par le tourisme international, ou par une police high tech montée sur d’incongrus patins à roulettes, soit entièrement vide : la pyramide du Louvre dans sa nudité abstraite, lessivée de toute trace de vie humaine, s’étale ainsi à son regard solitaire. Et Ne croyez surtout pas que je hurle (2019), film-essai de Franck Beauvais construit comme un kaléidoscope de plans empruntés à des centaines de films existants, vus compulsivement à la télévision par le réalisateur lui-même lors d’une profonde dépression et d’un confinement volontaire de quelques mois.
Ce que ces fragments de films collés-montés disent, le repli à domicile, la fuite dans les images, le monde redimensionné en huis clos à la taille du petit écran, nous l’avons retrouvé dans l’expérience de tout cinéphile confiné privé de ses salles de cinéma.
Remontent également à la surface les dystopies cinématographiques (2) des années 1950-1970, où des hommes seuls arpentent les cités déblayées par le péril nucléaire, affrontant un pouvoir totalitaire ou des envahisseurs venus de loin. La Jetée de Chris Marker (1962), quand la catastrophe de la « Troisième Guerre mondiale » n’a laissé derrière elle qu’un Paris détruit de lieux désolés. La ville de Je suis une légende (The Last Man on Earth, 1964) de Sidney Salkow, où erre Vincent Price, dernier humain à avoir échappé à une épidémie qui a transformé ses congénères en vampires, ou le New York du Monde, la chair et le diable (1959) de Ranald MacDougall, où Harry Belafonte a quant à lui échappé au passage d’un nuage radioactif destructeur. La menace nucléaire laisse ici imaginer un monde d’après, sans plus personne pour l’habiter. Soleil vert (1973), de Richard Fleischer, présente New York en 2022 sous une canicule aggravée par l’effet de serre, où monte la pollution des eaux noires tandis qu’un cortège masqué de foule obéit à l’ordre hurlé au mégaphone : « Les rues sont maintenant interdites ! »
Étrange correspondance avec une courte séquence vidéo virale : « Rentrez chez vous ! Vous ne pouvez pas rester sur cette zone ! », lancent des drones parisiens à quelques promeneurs intrus du jardin de Tuileries, le 2 avril dernier. L’« image drone » figure ici l’esthétique du confinement, vues aériennes qui ont décliné, l’œil mécanique et dépersonnalisé grand ouvert, l’expérience surveillante du vide, mais paradoxalement à la manière d’un film publicitaire. Car deux absences de point de vue y cohabitent : la surveillance, omni-vision panoptique du pouvoir, et la publicité, qui produit de l’imagerie conforme, se rejoignant pour fabriquer du contrôle et de la belle image. Voici exactement l’image opposée des plans de It Must Be Heaven de Suleiman, où le vide se matérialise dans l’espace réel et mental d’Elia, petit personnage qui regarde activement et fait naître du cinéma.
L’autre « effet ville déserte » du confinement fut l’investissement de cet espace urbain par le sauvage, à travers la présence incongrue des animaux déplacés de la nature dans la cité : sanglier arpentant la Croisette à Cannes, meute de loups croisant une piste de ski dans le périmètre même de Courchevel, autruches curieuses à Johannesburg, renards parisiens, long requin bleu dans le port de Sète. Là, ce qu’on retrouve est une version furtive, clandestine, pacifique, presque miraculeuse, donc inversée, des grands investissements fictionnels d’un sauvage surdimensionné et spectaculaire des films des studios hollywoodiens ou japonais : King Kong grimpant sur l’Empire State Building, araignées géantes parcourant les plates-bandes de Los Angeles, Godzilla terrorisant Tokyo en remontant des profondeurs nucléarisées de l’archipel, immense requin blanc dévorant les clients de parc d’attraction aquatique surpeuplé.
Le laboratoire du cinéma de demain ?
Les cent jours de la fermeture des cinémas ont cependant ouvert une « période laboratoire » des nouvelles pratiques cinéphiles, pour le pire et peut-être le meilleur. C’est une certitude : le cinéma n’a pas disparu, il a pris d’autres voies que la salle pour venir à son public, tout à fait avide de films à la télévision ou sur les plates-formes de vidéo à la demande. « Les films, tels des organismes vivants, ont leur territoire : la salle, où il fallait venir à eux, avec le risque de la rencontre, bonne ou mauvaise, avec le retour chez soi qui traversait la ville. Les salles fermées, ce sont maintenant les films qui viennent à notre rencontre : l’offre légale se donne le devoir de fleurir sur les différentes plates-formes VoD, présentes, élargies ou créées pour l’occasion, en guise d’expédient ou d’alternative domestique », écrivent Pierre Eugène et Mathieu Macheret dans « Sommeil paradoxal. Une chronique du cinéma intérieur », texte d’un numéro important des Cahiers du cinéma, paru en juin 2020, sous le titre « Quand est-ce qu’on sort ? », concocté par une nouvelle rédaction qui, elle aussi, confinée deux mois durant par l’absence de films et le télétravail, « sort » pour la première fois son opus primo.
Le public s’est en effet massivement reporté sur la télévision, visionnant de façon privilégiée les gros succès du cinéma populaire français des années 1960-1980, tel un retour dans un cocon protecteur bien connu. Un autre public, généralement plus jeune, a choisi l’offre du cinéma sur les plates-formes payantes de vidéo à la demande (VoD), regardant le plus souvent des blockbusters hollywoodiens récents, ou tournés tout exprès pour ces mastodontes que sont désormais Netflix, Amazon Prime, Apple TV, Disney +, Rakuten. Ces pratiques ont été accélérées lors du trimestre de confinement, ôtant sans doute définitivement une part du public à la salle de cinéma. Un verrou a sauté en France, indéniablement : avant le confinement, seul 30 % des Français avaient eu recours, au moins une fois dans l’année, à la VoD, bien loin des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et des Pays-Bas. A la suite du confinement, 89 % des Français déclarent y avoir eu recours pour voir films, séries, expositions et autres concerts sur petit écran. « Une véritable ruée vers l’or » (3), écrit Elisabeth Lequeret. Au premier trimestre 2020, Netflix a gagné 16 millions de nouveaux abonnés, confirmant sa supériorité sur le monde des plates-formes VoD avec 183 millions d’abonnés dans le monde. Dans la seule semaine du 23 mars, l’application Netflix a été téléchargée en France plus de 8 millions de fois.
Une tendance se dégage du confinement : les films n’ont plus besoin de la salle et sortent directement en VoD, ce qui signifierait à terme, évidemment, la mort de la vision traditionnelle du cinéma.
Plusieurs longs métrages ont ainsi été détournés durant ce printemps, comme Pinocchio de Matteo Garrone sur Amazon Prime, USS Greyhound, avec Tom Hanks, que Sony Pictures a vendu à Apple TV, ou Les Trolls 2 mis en ligne par Universal au lieu de le sortir en salles le 10 avril, récoltant près de cent millions de dollars et faisant souffler un vent de panique chez les distributeurs et les exploitants américains puis français. De plus, la plate-forme Netflix est commercialement intelligente, visant également un public plus cinéphile, finançant quelques grands auteurs légitimes, de Scorsese à Bong Joon-ho, de Soderbergh à Alfonso Cuaron, qui tournent désormais des films directement pour la VoD, ou rachetant des catalogues prestigieux, par exemple celui de MK2, qui porte sur une cinquantaine de films de patrimoine, de Truffaut, Kiarostami, Chaplin, Resnais, Chabrol, Lynch, Kieslowski,…
La sortie d’un des films les plus attendus de l’année 2019, The Irishman de Martin Scorsese, directement sur Netflix, a fait l’effet d’un choc. Quant au cinéaste Steven Soderbergh, qui fut souvent pionnier, l’un des premiers à tourner en numérique, à sortir simultanément des films en salles et en ligne, il a aujourd’hui renoncé à la salle : « Le lieu n’a pas d’importance, lance-t-il, ce qui compte pour moi c’est l’œuvre d’art. » (4) Thomas Sottinel, pour Le Monde, écrit alors un texte intitulé « Le jour où j’ai commencé à écrire la nécrologie du cinéma » : « S’agit-il d’une nouvelle mutation, s’interroge-t-il, comme celles qui ont accompagné l’invention du parlant, l’irruption de la télévision ou l’avènement du numérique ? Ou bien est-ce le début d’une agonie du cinéma ? » (5)
Mais prenons cette question par un autre bout, comme l’incitation à vivre une expérience nouvelle, ainsi que la vie confinée et les salles de cinéma fermées nous y ont conduit. Comment, alors, réinventer du cinéma quand il ne peut pas être montré dans son environnement naturel, la salle de cinéma ? Comment transformer le conformisme consumériste (Netflix) en nouvelle cinéphilie ? Il s’agit, de fait, de prolonger la cinéphilie, qui existait déjà par dvd depuis longtemps, en ligne. Voici le laboratoire cinématographique du temps du confinement.
On peut évoquer d’abord une belle idée, un peu marginale : la projection de films sur les murs de la ville, comme l’a tenté le cinéma la Clef, « salle citoyenne » du Ve arrondissement de Paris. Il s’agit d’un geste symbolique : un plan de cinéma s’inscrit dans la cité confinée pour lui redonner vie. L’association La Vingt-Cinquième heure a proposé un ciné-club virtuel : un exploitant de salles programme un film et un débat, vision et rencontre auxquelles l’internaute peut s’inscrire. Deux documentaires ont choisi ce mode de diffusion, plutôt que la salle traditionnelle, Sankara n’est pas mort, de Lucie Viver, et Monsieur Deligny, vagabond efficace, de Richard Copans, réunissant ainsi 1500 spectateurs ayant loué leur « séance ».
Il existe également de « plates-formes alternatives » qui résistent par leur programmes choisis au consumérisme massif. CinéMutins, la « VoD engagée et coopérative » créée en 2005, où des producteurs et réalisateurs, se définissant comme « francs-tireurs » et « compagnons cinéphiles » – Claire Simon, Robert Guédiguian, Ken Loach, Luc Moullet, Gérard Mordillat, Alain Cavalier, Jean-François Stevenin,…– montrent certains de leurs films. Tënk, quant à elle, est une plate-forme VoD spécialisée dans le documentaire, lancée en 2016 par le Festival de Lussas.
Jusqu’à sa réouverture, en juillet 2020, la Cinémathèque française a pris l’initiative de mettre en ligne, le soir à 20h30, un film de sa collection, l’une des plus importantes au monde. La plate-forme se nomme Henri, en hommage au fondateur de l’institution, Henri Langlois, dont il s’agit de retrouver l’esprit. Quand, en 1936, Langlois crée la Cinémathèque avec Georges Franju et Jean Mitry, il cherche à sauver les films muets, dévalorisés par le passage au parlant et qui, de manière dramatique, sont en train de passer par milliers à la benne. C’est pour préserver les œuvres de ses amis de l’avant-garde française, Delluc, Dulac, Gance, Epstein, que le dragon récupère des bobines et commence à veiller sur son premier trésor. Aussi, c’est avec La Chute de la maison Usher, de Jean Epstein (1928), que la plateforme Henri a été lancée, le 8 avril 2020, réunissant 25 000 vues.
En France, la plate-forme cinéphile la plus vivante est sûrement LaCinetek, lancée en novembre 2015 comme une « cinémathèque en ligne des réalisateurs ». Elle propose aux cinéastes de faire connaître la liste de leurs « 50 films préférés » ; celles-ci sont publiées sur le site, tandis que commencent les recherches et les négociations pour récupérer les droits sur le maximum de ces films. La pêche s’avère fructueuse, puisque remontent dans les filets près de 1300 films, désormais consultables en ligne sur achat ou abonnement. Il s’agit de transmettre et de faire voir, comme l'explique la cinéaste Pascale Ferran, l’une des fondatrices : « Un constat s'est imposé à nous : il y a un déficit de la transmission considérable dont on perçoit aujourd'hui les conséquences. La télévision a totalement abandonné le terrain, un comble pour tous ceux dont une part importante de la cinéphilie a été façonnée par les cinéclubs des chaînes publiques. » Près d’une centaine de cinéastes ont déjà donné leur liste, ce qui permet de constituer un corpus commun, un panthéon cinématographique partagé. De plus, chacun a enregistré un ou plusieurs bonus, vidéo dans laquelle il présente l'un de ses choix. LaCinetek a mis en place un système de débats qui, lors de festivals ou de manifestations, permettent des retransmissions en ligne des discussions. Le confinement a conforté ce travail cinéphile, haussant le nombre d’abonnés de dix à quinze mille.
Toutes ces initiatives démontrent deux choses : que le réflexe vers l’internet n’est pas incompatible avec le goût de la salle et que le blockbuster n’est pas la fatalité du cinéma à la demande.
Rouvrir les salles
Le 31 mai, les cinémas ont rouvert à Tokyo, avec Le Magicien d’Oz (1939), où Dorothy, jeune orpheline, fuit le confinement dans le monde noir et blanc pour se réfugier, « over the rainbow », dans le royaume d’Oz, qui l’enchante et la transporte par ses couleurs magiques.
Les salles françaises ont attendu le 22 juin. Trois mois de fermeture, cela suppose un manque à gagner estimé à un tiers des entrées de l’année, c’est-à-dire 70 millions de spectateurs perdus, environ 700 millions d’euros. Comment remonter la pente ? Comment la salle de cinéma peut-elle renaître de ses cendres en France ? En s’appuyant sur deux caractéristiques qui en font le pays de « l’exception cinématographique ». D’abord un réseau de salles très dense et diversifié proposant des films, eux aussi divers : 5900 salles réparties entre 2000 enseignes, dont 1900 classées Arts et Essais, et 700 films sortis en France – quatorze films par semaine. La France, reine mondiale de l’amour du cinéma, demeure ce « village gaulois qui résiste encore et toujours ». Le système peut résister mieux qu’ailleurs, mais il est exposé à deux dangers que le confinement a exacerbé : qu’une part de son public populaire soit définitivement détourné vers les anciens tubes montrés à la télévision, qu’une autre part de son public, plus jeune et au fait des dernières nouveautés, soit elle aussi dérivée vers le cinéma et les séries consommées en ligne.
Pour éviter cela, les acteurs du champ cinématographique se tournent vers ce qui est la deuxième caractéristique du cinéma en France : l’existence d’une politique publique de soutien à la culture. Ce fut tout le sens de l’intervention des artistes « abandonnés » durant le confinement, le 2 mai dans une tribune du journal Le Monde, rendant public une pétition intitulée « Monsieur le Président de la République, cet oubli de millions de gens qui portent l’art et la culture, réparez-le ! », collectif mené par Jeanne Balibar, Catherine Deneuve, Jean Dujardin et Omar Sy.
Réclamer l’intervention de l’État, protecteur de la culture, est une exigence attendue en France, et entendue, comme l’a souligné la réponse d'Emmanuel Macron, quelques jours plus tard, suppléant son ministre de la Culture, quant à lui sourd et muet. Il s’agit donc de reprendre en main une politique culturelle. En matière de cinéma, celle-ci peut enclencher un processus très concret : suppléments d’aides (compte de soutien) pour les distributeurs qui sortirons leurs films pendant l’été 2020, période cruciale pour les salles de cinéma ; annulation provisoire du recouvrement de la taxe d’exploitation des films, et subventions pour les salles, notamment le réseau Art et Essai, plus fragile, dont les jauges, déjà étroites, sont largement sacrifiées pour des raisons objectives de sécurité (une place sur deux est condamnée). Enfin, majoration des soutiens à la production de films, des aides à l’écriture et à la réalisation, à tous les niveaux et pour tous les genres, afin de permettre une reprise rapide des tournages. Ce serait également l’occasion d’initiatives importantes : prendre pour la création cinématographique, l’argent où il s’accumule désormais. Que les grandes plates-formes de vidéos à la demande soient assujetties à une obligation de financement du cinéma français à hauteur de 25% de leur chiffre d’affaires. C’est là une mesure décisive, propre à relancer le cinéma en salles. Cette « taxe VoD » constituerait une importante rentrée pour le CNC, compensant ses pertes de revenus, ensuite redistribuée en différentes aides à la création cinématographique. Où l’on retrouve un paradoxe créateur : ce qui met à mort le cinéma peut aussi contribuer à le faire survivre, à sa renaissance.
Depuis la réouverture des cinémas, le 22 juin, l’inquiétude règne sur le destin des salles. Mais soyons optimiste, comme le souligne certains signes : l’amour du cinéma résiste ; malgré les conditions de sécurité et la peur, sur les dix premiers jours d’exploitation, un million de spectateurs ont fait retour dans les salles, du 22 juin au 1er juillet. C’est assez largement en-dessous de la norme, mais c’est cependant rassurant. Le cycle de la renaissance à partir de la mort annoncée du cinéma n’est pas près de se clore : les phénomènes émergents aussi puissant que le parlant, la télévision, la vidéo, la création de chaînes payantes, le téléchargement légal ou illégal et aujourd’hui les plates-formes de vidéo à la demande, qui ont été considérés comme des menaces de mort, n’ont pas eu raison des films projetés. « A suivre… », ce sont les derniers mots de Bruno Icher dans son texte « Ciné Die » (6) , expectative que j’aimerais prendre avec plus d’optimisme encore pour annoncer l’éternel retour du cinéma sur son territoire privilégié, l’écran des salles obscures.
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(1) Alice Leroy, « La disparition des foules. Algorithmes, surveillance et simulation », Cahiers du cinéma, n° 766, juin 2020.
(2) Le grand enfermement et la grande surveillance des corps, thème foucaldien s’il en est : le confinement comme laboratoire des procédures disciplinaires de la société absolutiste puis bourgeoise, cette volonté étatique de contrôle universel où la ville confinée devient le lieu du renfermement et du quadrillage policier. Voici l’« utopie de la cité parfaitement gouvernée » écrit Foucault à propos de ce « rêve politique de la peste » sous l’Ancien Régime. « Pour voir fonctionner les disciplines parfaites, les gouvernants rêvaient du confinement de l’état de peste. » Temporairement, le passage de la pandémie est un état idéal du pouvoir (Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975, le chapitre intitulé « Quadrillage spatial et panoptisme »).
(3) Elisabeth Lequeret, « Le printemps des plates-formes », Cahiers du cinéma, n° 766, juin 2020.
(4) Cité par Thomas Sottinel, Le Monde, 14 février 2019.
(5) Thomas Sottinel, « Le jour où j’ai commencé à écrire la nécrologie du cinéma », Le Monde, 14 février 2019.
(6) Bruno Icher, « Ciné Die », Cahiers du cinéma, n° 766, juin 2020.
À propos d'Antoine de Baecque Historien et critique de cinéma, Antoine de Baecque est directeur des études et professeur d'études cinématographiques au département ARTS à l'École normale supérieure - PSL. Il est aussi membre du conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France et des Rendez-vous de L’histoire de Blois. Il fait partie du Comité de rédaction du "Monde des Livres", des revues "Cineaste" (New York), "L’Histoire" et de la "Revue de la Bibliothèque Nationale". Il est membre de la Commission d’aide à l’écriture documentaire du CNC. |