« Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours »
Rencontre avec Salomé Carcy, future médecin-chercheuse
Diplômée du programme Médecine-Sciences de l’ENS-PSL en 2020, Salomé Carcy est aujourd’hui en première année de thèse de biologie au sein d’un prestigieux laboratoire aux États-Unis. Retour sur le parcours d’une passionnée, nourrie par une singulière sensibilité aux autres et une profonde curiosité pour « la formidable machine humaine ».
À 22 ans, Salomé Carcy n’a aucun doute quant à sa carrière : elle sera médecin-chercheuse. Aujourd’hui en première année de thèse de biologie au sein du Cold Spring Harbor Laboratory (CSHL) dans l’État de New York, la normalienne a été diplômée du programme Médecine-Sciences de l’ENS-PSL en 2020. Elle revient sur son parcours et les expériences – personnelles et universitaires – qui ont forgé sa vocation.
Construire son parcours avec passion
« Même si cela paraîtra cliché, j’ai toujours su que je voulais devenir médecin. » Cette affirmation, d’une sincérité et d’une simplicité sans appel, Salomé l’a construite et nourrie depuis l’enfance.La jeune femme est née avec une scoliose malformative qui déformait sérieusement sa colonne vertébrale et nécessitait de l’opérer régulièrement. « Cette expérience personnelle a forgé ma résilience, mais surtout mon empathie » confie-t-elle. « À chaque séjour à l’hôpital, je cherchais à rassurer les autres enfants en jouant avec eux ou en les faisant rire. Puis, progressivement, rencontrer d’autres enfants avec tant de maladies mystérieuses a nourrit ma curiosité sur la physiologie humaine. »
Salomé intègre en 2015 la faculté de médecine et maïeutique (FMM) de l’Institut Catholique de Lille. Un choix guidé par la taille « familiale » de l’établissement, qui « facilite les échanges avec les professeurs et les autres étudiants. » La normalienne admet avoir commencé ses études de médecine avec appréhension : « je craignais de réaliser que je n’étais pas faite pour cette voie. » Heureusement, ses doutes se dissipent avec les premières semaines de cours, qui la passionnent immédiatement : « comme notre cher René Descartes, j’ai compris que le corps humain était une formidable machine avec une multitude infinie de pièces qui s’imbriquent habillement les unes dans les autres pour constituer un système vivant, absolument unique et incroyable. »
Au-delà des cours, ce sont les premiers stages hospitaliers de l’étudiante qui l’ont confortée dans son choix de carrière : « interagir avec des patients me motivait d’autant plus à comprendre l’origine de leurs maladies. Après plusieurs mois enterré sous vos cours de médecine, il n’y a rien de plus gratifiant que de recevoir le sourire d’un patient vous remerciant d’avoir pris soin de lui. Comme l’a d’ailleurs très bien dit un médecin-chercheur lors d’un cours à l’ENS reprenant Louis Pasteur, “La médecine c’est guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours.” »
Quand les sciences et la médecine se nourrissent
En 2e année de licence, Salomé découvre l’existence de doubles cursus médecine-sciences : « même si je m’épanouissais dans mes études médicales, je restais avide de sciences, et voulais toujours comprendre plus en profondeur la physiologie humaine », explique la jeune chercheuse. « L’avantage de faire un cursus médecine-sciences, quel qu’il soit, est qu’il vous permet d’avoir une formation très complémentaire. Votre parcours scientifique vous aide à être un meilleur médecin et vice-versa, que ce soit par l’acquisition de connaissances dans les deux domaines, mais aussi par les rencontres et expériences que vous vivez. » ajoute-t-elle. Salomé postule auprès de divers établissements et intègre le programme Médecine-Sciences de l’ENS-PSL en 2017. D’une durée de trois ans et porté par l’École normale supérieure, l’Université Paris Sciences et Lettres (PSL), l’Institut Curie et l’Institut Pasteur, il offre un parcours mixte médical et scientifique de haut niveau, incluant une initiation précoce à la recherche.
« Le cursus médecine-sciences de l’ENS Ulm m’a choisie davantage que je ne l’ai choisi », admet Salomé. « Quand j’étais à la FMM à Lille, il y avait encore très peu d’informations sur les doubles cursus médecine-sciences. J’avais donc postulé à différents programmes un peu à l’aveugle, même si celui de l’ENS me paraissait le plus adapté sur le choix des cours, l’aspect pluridisciplinaire, les échanges avec les Instituts Pasteur et Curie... » énumère l’étudiante.
Salomé effectue son Master 1 au département de biologie de l’ENS, en parallèle de sa 3e année de médecine à la faculté de Paris Descartes. Elle complète ses premiers mois à l’École par un court stage dans le laboratoire d’Emmanuel Donnadieu à l’institut Cochin. « Dès ma première année à l’ENS, j’ai clairement senti que je m’épanouissais bien davantage dans mes études. Je pouvais enfin satisfaire à la fois ma passion médicale et mon insatiable curiosité scientifique. En plus de l’aspect médico-scientifique, l’ENS m’a permis de m’initier de manière exigeante aux codes du monde scientifique - auxquels j’étais entièrement novice - mais aussi de m’ouvrir l’esprit à des horizons plus littéraires », se rappelle la chercheuse, particulièrement sensible à l’interdisciplinarité encouragée par l’École.
Salomé apprécie aussi les nombreuses rencontres enrichissantes qui jalonnent son quotidien et qui, au-delà de l’apport de connaissances scientifiques, l’aident à mieux se connaitre : « grâce aux conférences organisées par le directeur du programme Médecine-Sciences, Mr. Alain Bessis, et aussi grâce aux stages que j’ai effectués, j’ai eu la chance de rencontrer des médecins-chercheurs qui m’ont profondément inspirée, comme la Pr. Marina Cavazzana ou le Pr. Douglas Fearon. Grâce à eux, j’ai pu mieux cerner ce qui m’attire dans le métier de médecin-chercheurs : pouvoir aider autrui (“soulager souvent”) - ce qui reste ma motivation première dans mon travail, interagir avec les patients (“écouter toujours”), et repousser les limites de nos connaissances sur cette magnifique machine vivante qu’est le corps humain (“guérir parfois”). »
Soucieuse d’acquérir plus d’expérience en laboratoire, Salomé prend une année de césure en 2019 et rejoint l’équipe du Pr. Fearon à Cold Spring Harbor Laboratory (CSHL), aux États-Unis : « travailler sous la tutelle d’un tel médecin-chercheur fut un moment clé dans mon cursus », témoigne l’étudiante, loin de regretter sa décision. À tel point qu’elle reviendra dans ce même laboratoire un an plus tard pour y commencer sa thèse.
Après sa césure, Salomé retourne à l’ENS pour terminer son master puis effectuer un stage à l’Institut de biologie computationnelle (ICB) du Helmholtz Zentrum à Munich, dans l’équipe de Michael Menden. Lors de sa dernière année à l’École, la normalienne a aussi trouvé le temps de s’investir au sein de MigrENS, une association étudiante de l’ENS. Pendant plusieurs mois, elle aida une étudiante dans ses démarches administratives pour obtenir son statut de réfugiée : « en tant que citoyenne, je considère qu’il est de mon devoir de contribuer à l’intégration des réfugiés dans notre société. Et si je n’ai pas pu aider autant que je ne le souhaitais l’étudiante que j’encadrais dans ces procédures complexes, j’ai pu en revanche l’accompagner dans la reprise de ses études. » Cette étudiante est actuellement en Master 1 de géosciences à l’université de Lille. Salomé est régulièrement en contact avec elle malgré la distance, par amitié mais aussi pour s’assurer qu’elle puisse mener à bien ses projets de vie. Pour la normalienne, « la solidarité humaine devrait être une valeur sans frontières ».
« J’avais un rêve, j’ai osé le tenter, et ce rêve m’a emmenée bien plus loin que ce que je ne l’imaginais »
Lorsqu’elle fait le bilan de ses années à l’Ecole normale, Salomé est particulièrement « reconnaissante de l’éducation [qu’elle a] reçue » et considère que son expérience à l’ENS lui a ouvert de nombreuses portes au cours de son parcours. « Je ferai donc de mon mieux pour rendre ce que j’ai reçu, j’espère en contribuant un jour à la réputation de la médecine et de la recherche françaises. » déclare-t-elle, toujours soucieuse de mettre ses compétences et son savoir au service des autres.
La doctorante évoque un séjour à Paris pour l’une de ses opérations chirurgicales, et se rappelle d’une visite du Panthéon avec ses parents, liée à l’un de ses premiers souvenirs de l’ENS : « mon père m’avait expliqué la signification de la phrase “Aux grands Hommes la patrie reconnaissante“. L’École normale supérieure, se situant juste à côté et ayant la réputation d’avoir formé certains de ces hommes et femmes faisant notre fierté nationale, a donc toujours été pour moi un important symbole. De surcroît, mes parents m’ayant inculqué des valeurs d’égalité, et ma mère étant enseignante au collège public, l’ENS incarnait pour moi le meilleur du système français qui, malgré ses limites, nous permet d’avoir accès à une éducation quelle que soit notre situation financière. »
Avec le recul, postuler au programme Médecine-Sciences de l’ENS restera pour Salomé « l’une des meilleures décisions de [sa] vie ». La normalienne repense avec amusement à son arrivée à Paris et à l’École, un monde qui lui était alors « totalement inconnu ». Au fil des mois, elle a appris à naviguer dans le langage scientifique, à observer et acquérir les codes du monde académique scientifique… « Les professeurs du département de biologie ont eu la gentillesse d’enseigner ces subtilités à la petite “nouvelle” que j’étais. » La normalienne a aussi été séduite par la vie « animée et pluridisciplinaire » du campus Panthéon, lui apportant une bouffée d’air frais dans son quotidien studieux : « vivre aux côtés d’étudiants aux parcours multicolores, se découvrir une passion pour une discipline littéraire, danser sous une nuit étoilée au son de la fanfare, s’abandonner un après-midi dans la bibliothèque avec un livre choisi sur les vieilles étagères en bois, se sentir élégante le temps d’une soirée gala puis soudainement timide le temps d’une rencontre avec la virologiste Françoise Barré-Sinoussi… Il n’y a pas à dire, l’ENS est une expérience unique qu’il faut exploiter et qui restera gravée dans votre mémoire », témoigne la normalienne avec chaleur et gratitude.
Et à ceux qui souhaiteraient suivre sa voie et intégrer le programme Médecine-Sciences de l’École, l’étudiante leur adresse quelques recommandations bienveillantes : « Sachez pourquoi vous êtes prêts à investir vos efforts, car cela vous aidera à persévérer malgré les difficultés. » Pour Salomé, il est aussi important de savoir accueillir les échecs et d’apprendre de ses erreurs : « en médecine comme en sciences, vous allez être critiqués pour votre travail, il faut donc à la fois apprendre à argumenter vos raisonnements et vos choix, mais aussi être ouverts à la remise en question. »
La normalienne conseille également de profiter de la pluridisciplinarité de l’ENS-PSL et de veiller à garder l’esprit ouvert : « découvrez d’autres disciplines, profitez de la vie du campus, allez écouter les séminaires qui vous intéressent, ne restez pas seulement le nez dans les bouquins. Les opportunités se provoquent par les rencontres, et les rencontres fortuites sont facilitées à qui a le courage de sortir de sa zone de confort. »
Aujourd’hui, Salomé effectue sa première année de thèse de biologie au sein du Cold Spring Harbor Laboratory (CSHL), un institut américain dont les programmes de recherche sont axés sur le cancer, les neurosciences, la biologie végétale, la génomique et la biologie quantitative. Si elle a dû mettre en pause ses études de médecine pour son doctorat, elle suit et commente avec assiduité les grands enjeux actuels de la recherche médicale et notamment de la médecine personnalisée, une pratique très prometteuse selon Salomé : « Nous réalisons que les individus humains sont tous uniques, de par l’information génétique intégrée dans leur ADN, et de par l’environnement auquel ils sont exposés », constate la chercheuse. « Ces deux éléments influent à diverses échelles sur leurs réponses thérapeutiques. Nous cherchons donc de plus en plus à classifier les malades dans des sous-catégories, et à prédire quel traitement sera le plus efficace, à partir de biomarqueurs sanguins, criblage de médicaments, etc. »
Consciente des liens étroits et inaliénables entre la pratique de la médecine et la biologie, la normalienne a également observé que les chercheurs semblaient s’intéresser davantage à la biologie des systèmes, prenant en compte l’interaction entre différents acteurs d’un mécanisme biologique : « l’exemple le plus typique serait l’intérêt croissant pour le microenvironnement tumoral, désignant toutes ces cellules non-cancéreuses favorisant le développement et la survie des cellules cancéreuses. » explique Salomé. La recherche ne se focaliserait donc plus seulement sur le rôle d’un unique gène dans une cellule, mais sur le fonctionnement d’un système de cellules, leurs caractéristiques respectives, leur dynamique, leurs interactions pour former un équilibre global… « C’est ainsi que la biologie computationnelle est devenue un outil particulièrement pertinent, car elle nous permet de modéliser ces systèmes biologiques pour mieux les comprendre… Et je suis convaincue qu’avoir une vision plus globale de différents problèmes biologiques nous permettra de comprendre l’hétérogénéité de certaines maladies », conclut la future médecin.