Histoire sismique d’une église en Toscane
Quand un bâtiment devient sismomètre, éclairage avec Arnaud Montabert
Arnaud Montabert est doctorant au Laboratoire de géologie de l’ENS-PSL. Sa recherche sur l’église Sant’Agata del Mugello s’inscrit dans un projet interdisciplinaire associant notamment les sismologues du département de Géosciences et les archéologues du département des Sciences de l’Antiquité de l’ENS.
En présentant ses travaux, le jeune chercheur nous invite à découvrir l’archéosismologie.
Vos recherches visent à retracer l’histoire sismique de l’église Sant’Agata del Mugello, en Toscane. Pouvez-vous nous résumer ces travaux ?
L’objectif de mes travaux est de développer une méthodologie transdisciplinaire permettant de caractériser le mouvement sismique associé à un séisme historique. Notre approche consiste à utiliser un bâtiment à la manière d’un sismomètre qui aurait enregistré les stigmates d’anciens séismes. L’archéologie de la construction permet de retracer son histoire sismique (c’est l’objet de l’article que nous avons publié dans Journal of Archaeological Science: Reports (octobre 2020). Une étude mécanique aide à caractériser et à modéliser les réponses de l’ouvrage aux secousses à partir des dégâts identifiés. Ainsi, nous espérons avoir des réponses sur les caractéristiques des signaux sismiques ayant conduit aux dégâts observés.
Pourquoi le choix de ce monument ?
La mise en place de cette méthodologie nécessitait un site pilote. L’église de Sant’Agata del Mugello a été choisie car elle est située en Toscane, dans une zone de moyenne/forte activité sismique, et qu’elle a subi trois séismes majeurs depuis le début du XVIe siècle. Il s’agit d’un site exceptionnel, pour lequel de nombreux textes historiques décrivant l’église et ses environs étaient disponibles. Enfin, les élévations de l’église se prêtaient tout spécialement à une analyse stratigraphique fine.
« L’archéologue s’intéresse aux réactions qu’ont pu adopter les sociétés anciennes face au risque, tandis que le sismologue cherche de nouvelles données pour mieux caractériser la séismicité historique de la région. »
Votre travail s’inscrit dans un projet interdisciplinaire, au croisement de la sismologie et de l’archéologie. Comment et pourquoi s’est installée la collaboration entre les équipes ?
De nombreuses civilisations sont nées dans des zones sismiques importantes et nombreux sont les sites à en témoigner. L’archéologue s’intéressera lorsqu’il les étudie, aux réactions qu’ont pu adopter les sociétés anciennes face au risque, tandis que le sismologue cherchera lui des données qui lui serviront à caractériser plus finement la séismicité historique de la région. Il est donc important que les deux communautés scientifiques partagent leurs approches, c’est en tout cas le sens de la formation que j’avais suivie dans les deux départements lorsque j’y étais étudiant.
Pour comprendre les fondements de la collaboration, il faut aussi savoir que le laboratoire de Géologie du
département des Géosciences de l'École s'intéresse depuis longtemps aux méthodes pour l'évaluation de l'aléa sismique. De son côté, le laboratoire AOROC du département des Sciences de l’Antiquité a développé des outils particulièrement efficaces pour reconstruire l’histoire d’un bâtiment historique en zone sismique. D’ailleurs ce projet a fédéré au-delà des murs de l’ENS-PSL puisque nous travaillons avec deux laboratoires de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire : le Bureau d'évaluation des Risques Sismiques pour la Sûreté des Installations (BERSSIN), précurseur de nombreuses études en archéosismicité en France, et le Laboratoire de modélisation et d’analyse de la performance des structures (LMAPS), mais également le service sismique du CEREMA de Nice, le département d’archéologie de l’université de Sienne et le département d’architecture de l’université de Florence.
En quoi les monuments sont-ils des témoins de catastrophes naturelles historiques ?
Les bâtiments historiques ou les sites archéologiques présents en zone sismique ont pu subir plusieurs séismes importants au cours de leur évolution. Ils en ont enregistré les traces qui prennent la forme de dommages ou de réparations post-sismiques qu’il convient d’identifier.
Quelles méthodes utilisez-vous pour tracer et dater des traces visibles de séisme sur une pierre ?
Nous avons choisi de combiner une analyse stratigraphique de l’église avec une analyse d’archives historiques exceptionnelles décrivant les effets des différents séismes sur l’église en Toscane. La stratigraphie des élévations consiste à identifier les opérations de réparations, à en déterminer l’origine et la chronologie relative. Les archives nous permettent de dater de manière absolue certaines de ces opérations et donc de préciser l’évolution du bâtiment au cours du temps et plus particulièrement son état après chaque séisme.
L’analyse stratigraphique est réalisée directement sur le terrain, en observant chaque portion de mur et de charpente. Nous avons aussi utilisé pour ces relevés des outils numériques : une campagne de photogrammétrie et un relevé scanner 3D, réalisés en collaboration avec les universités de Florence et de Sienne. Ils ont permis la création d’orthophotographies et le développement d’un modèle numérique très précis.
« Le croisement des disciplines a été la clef dans l’étude de l’église de Sant’Agata. »
Ces travaux peuvent-ils amener à une meilleure protection des monuments historiques ?
Reconstituer l’histoire d’un monument, caractériser les techniques de construction utilisées et identifier les différents mécanismes d’endommagement qui ont suivi un séisme, permet en effet d’évaluer la vulnérabilité très complexe d’un bâtiment. Cela constitue donc un outil de diagnostic très précis pour définir la meilleure stratégie de préservation d’un bâtiment historique. Mais cela relève de compétences différentes que celles qui ont été mobilisées pour les travaux dont nous parlons aujourd’hui.
Comment être sûr que les dégradations observées ont été causées par un séisme et non par des guerres, des inondations, des tempêtes… ?
Il s’agit en effet d’une question inhérente à l’étude des séismes anciens. Le croisement des disciplines a été la clef dans l’étude de l’église de Sant’Agata. Nous raisonnons par ailleurs de manière probabiliste et non déterministe en quantifiant l'incertitude quant à l'origine de chaque dégât identifié sur la base des données disponibles (archéologiques, historiques, structurales, ...). Par ailleurs, le retour de missions post-sismiques suite à des séismes récents (Amatrice, Norcia) ayant endommagé des bâtiments de même typologie nous aident à mieux identifier les dégâts en contexte archéologique et donc à réduire l'incertitude sur leur origine.
« Cette thèse est un premier pas pour établir une méthodologie solide, afin d’évaluer le mouvement sismique associé à un séisme ancien. C’est une nouvelle étape franchie dans les études archéosismologiques. »
L’archéosismologie permet-elle de mieux anticiper les séismes à venir ?
Comme la sismologie ne permet pas de prédire les séismes à venir, nous devons aller chercher l’information dans le passé et l’extrapoler pour mieux anticiper. Une des finalités de la sismologie est d’être en mesure de prévoir le mouvement sismique à un endroit précis du globe : c’est l’aléa sismique. Le calcul de cet aléa est basé sur la connaissance des catalogues de sismicité. Si la sismologie instrumentale moderne nous permet désormais d’observer le phénomène sismique sous tous les angles, elle se limite à quelques décennies de données, insuffisantes pour des séismes ayant des périodes de retour dépassant le siècle. Cette thèse est un premier pas pour établir une méthodologie solide, afin d’évaluer le mouvement sismique associé à un séisme ancien, permettant ainsi d’améliorer la précision de ce catalogue et donc l’évaluation de l’aléa. C’est une nouvelle étape franchie dans les études archéosismologiques.