« L’archéologie est devenue une passion comme l’escrime l’avait été »

Entretien avec Véronique Brouquier-Reddé, spécialiste d’archéologie antique à l'AOROC (ENS-PSL)

Créé le
2 janvier 2025
Archéologue au Laboratoire de l’AOROC (ENS-CNRS), Véronique Brouquier-Reddé est antiquisante et spécialiste du Maghreb antique et de la Gaule. Ses recherches portent tout particulièrement sur les ressources en eau, les ouvrages militaires, les sanctuaires et les lieux de culte.  L’archéologie antique n’est pas son unique passion : dans une autre vie, elle fut championne olympique au fleuret. Une discipline qui, dit-elle, lui a « assurément servie dans [sa] carrière d’archéologue ».
Véronique Brouquier-Reddé, aujourd'hui, et lors de la Médaille de bronze aux Mondiaux juniors de Buenos Aires en 1973
Véronique Brouquier-Reddé avec sa médaille olympique à Moscou en 1980, et en 2024

Vous avez collaboré ou dirigé des fouilles aussi bien en France qu'au Maroc et en Tunisie. Comment voyez-vous, avec votre expérience archéologique, la Méditerranée qui sépare plus aujourd'hui l'Europe et l'Afrique qu'elle ne les unissait aux époques préromaine et romaine ?
Véronique Brouquier-Reddé : Depuis toujours, les deux rives de la Méditerranée étaient en relation d’après les témoignages archéologiques. Les commerçants phéniciens ont tissé des relations le long des côtes, ce qui a facilité la diffusion entre l’Orient et l’Occident. Après l’influence de Carthage sur une grande partie du nord de l’Afrique, Rome a diffusé sa langue, ses institutions, son architecture, son monnayage et ses produits aussi bien en Afrique qu’en Gaule. 
L’archéologie par le biais de la recherche, de la formation et de la coopération scientifique permet de nouer des contacts, d’échanger nos méthodes entre le nord et le sud de la Méditerranée qui est un lieu de rencontres et crée des liens. Ainsi les études pluridisciplinaires, développées en France et à l’étranger, se pratiquent maintenant au Maghreb.

Un des reproches qu'on a pu faire au colonialisme français a été d'enseigner aux Maghrébins que « leurs ancêtres étaient Gaulois ». Par vos travaux, vous contribuez à la découverte du passé dans le nord de l'Afrique. Quelle place devons-nous faire à ces découvertes dans l'apprentissage du latin et de l'Antiquité, en France et au Maghreb ? 
Véronique Brouquier-Reddé : Actuellement les archéologues s’intéressent aux traces des périodes préromaines dans le nord de l’Afrique : celles des Maurétaniens au Maroc, celles des Puniques et des Numides en Tunisie ; celles des Maurétaniens et des Numides en Algérie. Les découvertes donnent la possibilité de confronter les indices archéologiques aux témoignages littéraires et de mettre en lumière les origines des peuples, leurs cultures, leur religion. Elles donnent ainsi une image plus riche et plus fidèle de la réalité historique. Par exemple, la fouille des urnes cinéraires des sanctuaires de Baal Hammon-Saturne, l’un des dieux principaux africains, infirme l’hypothèse de sacrifices humains, notamment d’enfants, rituels maintes fois décriés par les auteurs anciens. De même, la description romancée de la Guerre des Gaules de César est grandement complétée par la mise au jour des vestiges des ouvrages militaires et des traces des pièges du siège d’Alésia. 
Le rapprochement entre les vestiges archéologiques et les textes anciens permet non aux philologues de préciser la traduction. Les langues anciennes - le libyque, le punique, le latin et le grec – gravées sur des pierres, peintes ou incisées sur ostraca (tessons d’amphore), sont une des sources importantes de notre connaissance de la vie publique et privée de ces populations.

Avant de devenir archéologue, vous avez été championne olympique, qu'est-ce que le sport de haut niveau vous a apporté ? 
Véronique Brouquier-Reddé : Sportive de haut niveau de 1973 à 1988, j’ai réussi à mener de pair mes études scolaires et universitaires, et à soutenir ma thèse de doctorat tout en m’entraînant dans mon club à Charenton-le-Pont et à l’INSEP, tout en participant aux épreuves de coupe du monde et aux championnats. Bien sûr, il fallait faire des choix entre les compétitions, les voyages, les stages, les fouilles ou les prospections archéologiques. 
L’escrime est un sport individuel, mais l’épreuve par équipe permet de vous transcender en portant la touche finale (j’étais souvent celle qui tirait le dernier match !). C’est un sport de maîtrise de soi, vous apprenez à vous battre quelque que soit votre adversaire et son jeu, et à le respecter. Cette discipline m’a assurément servie dans ma carrière d’archéologue.  Comme en escrime, j’ai représenté la France dans les missions en coopération au Maroc et en Tunisie.

Pourquoi ces deux choix : l'escrime et l'archéologie antique ? 
Véronique Brouquier-Reddé : Mon frère pratiquait l’escrime ; son maître d’armes m’a proposé de prendre un fleuret et la tenue blanche des escrimeurs me fascinait. Dès ma première compétition, j’ai remporté des victoires, ce qui m’a donné envie de continuer en étant très soutenue par mes parents et mes frères. Par la suite, la découverte des sites archéologiques en Grèce m’a incitée, après mon baccalauréat, à m’inscrire en histoire de l’art et archéologie. J’ai alors découvert la Libye, puis le Maroc en participant à des fouilles et à des prospections comme doctorante. L’archéologie est devenue une passion comme l’escrime l’avait été. Elle se pratique en équipe pluridisciplinaire où chacun apporte ses compétences.