La biodiversité planctonique à l’épreuve du réchauffement climatique

Publication dans le journal Cell

Une nouvelle étude réalisée à l’échelle de l’océan entier révèle que la diversité des espèces planctoniques change radicalement selon la latitude. Ces travaux du laboratoire Bowler publiés dans le journal Cell en novembre 2019 sont le fruit d’un travail conjoint avec Laurent Bopp du département de Géosciences de l’ENS et Tara Oceans. Chris Bowler et Laurent Bopp reviennent avec nous sur ces recherches significatives dans le contexte actuel de changement climatique.
 
cell tara ocean
Tara Oceans 


L'océan est souvent considéré comme le seul écosystème continu de la planète et l’un des fondements de la santé globale de la Terre. La quantité astronomique de virus, de microbes et de petits animaux dérivant avec les courants - collectivement appelés « plancton » - y jouent un rôle fondamental. Ils constituent la base de la chaîne alimentaire marine, capturent une part importante du dioxyde de carbone atmosphérique et émettent de l’oxygène par photosynthèse.

La température, principal facteur de la répartition microbienne

Les 189 stations d'échantillonnage, réparties dans le monde entier au cours des expéditions Tara Oceans, ont permis de recueillir des données précieuses. « Notre objectif était d’identifier les moteurs de la diversité des principaux groupes planctoniques afin de cartographier leur distribution à l’échelle mondiale et d’obtenir des informations quant à leurs mécanismes de réponse au changement climatique. » Chris Bowler.

L’équipe du laboratoire Bowler, Institut de Biologie de l’ENS-PSL a combiné les nouvelles données génétiques à celles déjà publiées afin d’identifier les espèces présentes dans les échantillons. Ainsi, ils ont pu procéder à une analyse d'imagerie de pointe afin d’évaluer quantitativement chaque espèce. « Nos résultats montrent clairement que la diversité planctonique est plus importante autour de l'équateur et diminue vers les pôles » explique dans un communiqué Lucie Zinger, maître de conférence à l’ENS-PSL co-dirigeant ces recherches. 

Les nouvelles cartes de la diversité planctonique créées par ces études montrent que des limites similaires existent chez toutes les espèces planctoniques, des bactéries jusqu’à la plupart des virus, en passant par les archées, les protistes et le zooplancton. La température semble être le principal facteur expliquant ces tendances, la disponibilité des ressources venant en seconde position. L'influence primordiale de la température sur la répartition des espèces planctoniques soulève des questions évidentes dans le contexte actuel de changement climatique.

L’écosystème planctonique bouleversé

En se basant sur les modèles les plus récents et les plus précis du GIEC, l’équipe a projeté l’évolution possible de cette biodiversité planctonique. Bien que ces prédictions restent à affiner et à valider, elles montrent clairement que des températures océaniques plus élevées sont susceptibles d’engendrer une « tropicalisation » des régions océaniques tempérées et polaires, avec des températures de l'eau plus élevées et une plus grande diversité d'espèces planctoniques.

Pour des raisons environnementales et économiques, les eaux tempérées et polaires jouent un rôle crucial dans la capture du carbone atmosphérique et son stockage dans l’océan. Elles sont des zones de pêche très actives, contrôlant d’intenses activités économiques. Aussi, une grande partie de ces eaux sont protégées pour fournir un refuge aux espèces en voie de disparition. « Les changements les plus importants en matière de diversité, prédits par ces études devraient se produire au sein de ces zones, modifiant en conséquence les écosystèmes associés et engendrant potentiellement de graves conséquences à l’échelle mondiale. » Chris Bowler.

Une collaboration entre biologie et géosciences

Un travail conjoint a été mené entre le laboratoire Bowler (Lucie Zinger, Federico Ibarbalz, Chris Bowler) à l’Institut de Biologie de l’ENS et le département de Géosciences (Laurent Bopp). Des résultats innovants puisqu’ils mettent en commun des expertises très éloignées, la génomique marine avec Tara Oceans d’une part et la modélisation du changement climatique d’autre part. « Cela est possible à l’ENS parce que les départements, ici Géosciences et l’IBENS, sont proches les uns et les autres et que ce travail interdisciplinaire semble naturel ». Laurent Bopp.
 

Bowler Bopp
Chris Bowler à gauche, Laurent Bopp à droite 
 

Chris Bowler, directeur de recherche CNRS, chef de l'équipe "Génomique des Plantes et Algues" à l'Institut de Biologie de l'ENS et coordinateur scientifique de l'expédition Tara Oceans

Après une formation en microbiologie, Chris Bowler s’est spécialisé en biologie moléculaire végétale pendant son doctorat et son post-doctorat à l’Université de Gand en Belgique et à la Rockefeller University de New York. Après son recrutement à la Stazione Zoologica (Naples, Italie) en 1994, Chris Bowler souhaite répondre à un besoin réel : le manque d'outils moléculaires chez les eucaryotes microbiens marins. C’est ainsi que le chercheur décide de travailler sur les diatomées, un constituant majeur des écosystèmes marins. Sa venue à l’ENS en 2002 coïncide avec l'entrée des diatomées dans l'ère de la génomique. Il a ainsi contribué par le séquençage de différentes espèces, à la découverte de plusieurs processus physiologiques fondamentaux à travers les approches de biologie moléculaire et cellulaire.

Depuis 2009, Chris Bowler est l’un des coordinateurs scientifiques du projet Tara Oceans. En 2013, il devient le directeur scientifique de l’expédition Tara Oceans Polar Circle, pendant laquelle Tara fait un circumnavigation du cercle polaire, en étant le premier goélette dans l'histoire à naviguer les Passages Nord-Est et Nord-Ouest la même année. Ses contributions à la recherche ont été reconnues par la Médaille d’Argent du CNRS en 2010, le Grand Prix Scientifique de la Fondation LouisD de l’Institut de France en 2015, deux financements Advanced de l'ERC, et l’élection à l’Académie d’Agriculture de France en 2018.

Laurent Bopp, directeur de recherche CNRS et directeur du département de Géosciences

Après une formation initiale à l’ENS au département de Géosciences (anciennement Département Terre-Atmosphère-Océan), Laurent Bopp entame une spécialisation sur les interactions entre l’océan et le système climatique. Plus précisément, il travaille sur le cycle du carbone dans l’océan et sur sa capacité à absorber une part importante de nos émissions de CO2. Une thématique par nature très interdisciplinaire parce qu’elle repose sur de la physique, de la chimie et de la biologie. En 2003, il entame sa carrière au CNRS au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement à Saclay. Il est impliqué dans la rédaction des rapports du GIEC sur le cycle du carbone. Il oriente ensuite ses recherches sur l’acidification et la déoxygénation de l’océan et, de façon plus générale, sur les impacts du changement climatique sur les écosystèmes marins. Attiré par la possibilité de thématiques de recherche interdisciplinaire et par l’enseignement, il revient à l’ENS il y a 3 ans. Il dirige le département de Géosciences depuis 1 an et demi. Ses contributions à la recherche ont été reconnues par le prix Sciences de la Mer de l’Académie des Sciences en 2019.

 

Article réalisé à partir de propos recueillis auprès de Chris Bowler et Laurent Bopp.