La philosophie, espace inouï et inégalé
Rencontre avec Océane Gustave, future enseignante chercheuse, qui vit son parcours d’études comme un voyage
À travers une série de portraits, partez à la rencontre de normaliens et d’alumni. Océane Gustave, en deuxième année de philosophie, revient sur son parcours universitaire mais aussi sur ses engagements bénévoles en milieu hospitalier.
De la Guadeloupe à Paris en passant par Lille, de l’étude de la philosophie au bénévolat dans le monde hospitalier et aux séances de lecture d’ouvrages d’astronomie à des personnes non-voyantes… Océane Gustave, normalienne en deuxième année, construit son parcours comme un voyage tourné vers l’apprentissage et la culture, mais aussi et surtout, vers l’autre.
De la Guadeloupe à Lille
Originaire de l’archipel guadeloupéen où elle obtient son bac au lycée Yves Leborgne à Sainte-Anne, Océane Gustave s’envole ensuite pour Lille où elle intègre une prépa B/L au lycée Faidherbe. « Il n’y avait pas de formation B/L en Guadeloupe et à l’instar d’un grand nombre d’ultramarins, j’ai décidé de débuter mes études sur le sol hexagonal » explique l’étudiante avec pragmatisme.
Inquiète de « l’immensité parisienne », elle préfère se diriger vers une ville plus petite. Les conseils de la direction de son lycée achèveront de la décider pour Faidherbe, où sa passion de la philosophie s’aiguise notamment grâce aux échanges avec son professeur de l’époque. « J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir les plus beaux textes de la philosophie, à gagner en capacité d’observation et d’analyse et enfin à travailler les concepts, en extension et en compréhension. Cette discipline m’est apparue comme un espace inouï et inégalé de réflexion. »
Un véritable déclic qui l’amène rapidement à se projeter dans une carrière de maître de conférences, pour le juste équilibre entre enseignement et recherche qu’elle lui apportera. « Mes professeurs ont eu un impact significatif sur mon itinéraire intellectuel et mon parcours de vie. De fait, j’aime à croire que la transmission du savoir est tout à fait cruciale. Par ailleurs, la recherche me tient vraiment à cœur. Elle permet, à mon sens, d’aiguiser l’esprit critique et de ne pas se réfugier dans le confort du connu. Car la recherche présuppose toujours une ignorance première. »
Au cours de ses années de prépa, cette future normalienne s'intéresse de plus en plus à l’histoire mais aussi à la médecine. De fil en aiguille, elle se passionne tout particulièrement pour la philosophie du soin et la pensée de Georges Canguilhem, philosophe, résistant et docteur en médecine ayant refusé d’exercer. Aujourd’hui, Océane cite volontiers la définition que celui-ci donnait de la philosophie : « Une réflexion pour qui toute matière étrangère est bonne, et nous dirions volontiers pour qui toute bonne matière doit être étrangère »
Tout essayer pour ne se fermer aucun possible
La pluridisciplinarité, Océane souhaitait la retrouver dans ses études. Également très sensible à l’histoire de l’École et notamment au passé de normalien de Georges Canguilhem, sa candidature sonnait comme une évidence. Elle voyait dans un parcours à l’ENS « la promesse d’une stimulation intellectuelle permanente aux côtés de professeurs et chercheurs passionnants. »
« J’avais le sentiment de me reconnaître pleinement dans cette école et j’y voyais la possibilité de m’épanouir. »
Impressionnée à son arrivée par l’éventail de séminaires, de colloques et de conférences, Océane a envie de tout essayer pour ne se fermer aucun possible, « j’ai pu ainsi découvrir des sujets absolument passionnants ». Et si sa première année a été largement bouleversée par la crise elle salue avec reconnaissance les professeurs, très réactifs, qui ont continué à « offrir un enseignement de qualité répondant aux besoins des étudiants ». Dans cette situation inédite, La normalienne a aussi particulièrement apprécié la continuité de la stimulation intellectuelle et les nombreux moments de partage : « j’ai eu le sentiment de vivre dans un microcosme de bienveillance et de savoir. »
À ceux qui rêvent d’intégrer l’ENS-PSL dans les années à venir, Océane veut d’abord insister sur l’importance d’avoir confiance en soi et de rompre avec l’autocensure : « le fait de venir d’un lycée « non parisien » ou plus encore d’Outre-Mer ne doit pas être considéré comme une entrave. Il ne faut pas non plus hésiter à se servir des différentes expériences de vie pour nourrir sa pensée. La richesse de cette dernière n’en sera que plus grande. »
Elle souligne aussi l’importance d’avoir le soutien de ses proches. La famille d’Océane vit en Guadeloupe et la distance ne l’a pas empêché de soutenir et d’encourager la jeune étudiante, aussi bien dans les moments difficiles que dans ses projets. « Mes parents ont toujours fait preuve d’un soutien indéfectible - je pèse mes mots - et d’une confiance absolue en mes choix. Ces deux éléments ont été déterminants dans mon parcours intellectuel et m’ont permis d’avancer quels que soient les obstacles rencontrés. Pour moi, tout cela est absolument essentiel pour un jeune étudiant - particulièrement ultramarin - qui subit le poids de l’éloignement, fardeau bien souvent minoré. Mes parents ont toujours fait preuve de résilience et de courage et en ce sens ils m’ont fortement influencée. »
Le soin et l’écoute plus que jamais nécessaires dans notre société
Une bienveillance et une inclinaison naturelle à prendre soin de l’autre que l’on retrouve aussi dans les nombreux engagements bénévoles de l’étudiante, notamment au sein du monde hospitalier. « Je comprends tout à fait que l’hôpital puisse être angoissant pour certaines personnes. Pour autant, je ne ressens aucune gêne dans ce lieu. Des problèmes de santé m’ont amenée à y être confrontée dès mon plus jeune âge, explique-t-elle pour justifier son choix. J’ai ainsi développé une certaine familiarité avec l’hôpital mais surtout de l’empathie envers toutes celles et ceux qui doivent y séjourner. »
Océane est particulièrement sensible au courage des personnes victimes d’AVC, « notamment à la manière dont malgré la violence de la maladie, elles tentent autant que possible - grâce à leur famille et aux soignants- de se reconstruire. J’ai eu par ailleurs le sentiment qu’elles étaient rendues invisibles par la société, et je considérais qu’il était de mon devoir de leur accorder du temps. »
En septembre 2019 grâce à son amie Joëlle Otz, à la fois oncologue et auteur-compositeur interprète, elle rejoint l’association Service et Amitié à l’Institut Curie de Paris : « j’ai été très émue par sa chanson Fire consacrée au cancer ». Devant la recrudescence de la maladie en France, la normalienne estime qu’un soutien aux patients est « plus que jamais nécessaire ».
Entre son bénévolat à l’hôpital et ses cours à l’ENS-PSL, Océane trouve encore le temps d’aider en répondant à une annonce de l’École qui cherchait un lecteur pour une personne non-voyante passionnée d’astronomie : « je trouvais que la situation des personnes atteintes de cécité n’était pas suffisamment prise en compte dans la société. De manière générale, j’accorde une place primordiale au concept de soin ajoute-t-elle. Soin qui passe, à mon sens, par l’écoute attentive des autres et par le fait de leur offrir des moments de convivialité. »
Déjà très prise par ses engagements et ses cours, Océane aimerait trouver le temps de s’investir dans une association de l’École : « je serais heureuse de pouvoir un jour rejoindre Migr’ENS, dont l’ambition est d’aider les personnes en exil à reprendre leurs études supérieures. À travers le programme étudiant invité, l’association assure un enseignement solide de la langue française. De plus, chaque participant est tutoré et peut avoir accès à de nombreuses sorties culturelles. Les valeurs de Migr’ENS de partage et d’entraide, me semblent très nobles. »