La Wild Code School, démocratiser l’apprentissage du numérique

Rencontre avec Anna Stépanoff (Lettres, 2004)

Que sont-ils devenus ? À travers une série de portraits, partez à la rencontre d’alumni. Entretien avec Anna Stépanoff, entrée à l’ENS-PSL par la voie de la sélection internationale. Attirée par la carrière universitaire, la normalienne s’est dirigée ensuite - avec succès – vers l’entreprenariat.
Passionnée par l’éducation, elle fonde en 2013 la Wild Code School. Cette école ouverte à tous, qui forme à la grande famille des métiers « tech », compte désormais plus d’une vingtaine de campus à travers l’Europe.
Anna Stépanoff

L’importance de l’apprentissage dans un parcours atypique

De l’économie à l’histoire de l’art en passant par les sciences sociales et l’histoire, puis l’entreprenariat et l’éducation… le parcours professionnel d’Anna Stépanoff est pour le moins atypique. À y regarder de plus près, il est surtout le reflet d'une curiosité insatiable et d'un désir de comprendre le monde, couplés à une passion pour la transmission des savoir-faire et des connaissances.

« Pour moi, apprendre est la meilleure activité qu’on puisse exercer... Quand les robots feront à notre place la plupart des métiers, les humains pourront soit déprimer par manque de travail, soit apprendre à l’infini. J’opte pour le deuxième scénario ! » déclare-t-elle avec enthousiasme.

L'apprentissage, Anna Stépanoff en a fait son métier : elle est fondatrice de la Wild Code School, une école inaugurée en 2013, à pédagogie innovante et tournée vers la formation au numérique pour tous.

Avant de se lancer dans l’aventure de l’entreprenariat, c’est à une carrière universitaire que se destinait la jeune femme. Originaire de Biélorussie qu’elle quitte à 19 ans, elle passe trois années à Harvard, avant que sa soif d’apprendre ne l'entraine à tenter d'intégrer l’École normale supérieure par le concours de la sélection internationale en 2004 pour étudier l’histoire.

Une expérience qu’elle décrit comme formatrice : « J’ai grandi dans un pays qui, à peine sorti de l’Union Soviétique, s’est retrouvé sous une dictature. Les manuels et ouvrages d’histoire ont été récrits plusieurs fois, à tel point qu’on n’y croyait plus. Je suis partie à l’étranger pour chercher une certaine “vérité”. Même si je ne suis finalement pas devenue historienne, je suis très reconnaissante envers mes enseignants du département d’histoire de l’ENS, car ce sont eux qui m’ont montré comment accéder à l’exactitude historique, notamment par un travail rigoureux en archives toujours guidé par un regard critique. » Une sensibilité à la pédagogie, à la distance critique et aux techniques d’apprentissage qui seront le cœur de la Wild Code School.

Après l’École, et une étape par l’université Paris 1 où elle envisage un temps une thèse en histoire des musées, elle se tourne vers le monde de l’entreprise et rejoint un cabinet de conseil. « La décision d’abandonner ma thèse et de faire une croix sur une carrière universitaire n’a pas été simple pour moi. L’univers académique était celui que je connaissais le mieux », explique-t-elle.

Elle explique volontiers comment le contact avec les entreprises dans le cadre de ses missions de conseil l'a sensibilisée aux enjeux de la transformation numérique et « au manque de talents dans ce domaine ». Comme d'autres, Anna Stépanoff fait le constat que la croissance de certains secteurs est freinée aujourd’hui non pas par manque de financement, mais par manque de personnes correctement formées pour agir dans l’univers des nouvelles technologies.

Sa curiosité la pousse à fréquenter différents événements du monde numérique : meetups, startup weekends et autres hackathons. « Les rencontres que j’ai pu y faire m’ont ouvert les yeux sur les besoins en nouvelles compétences dans le domaine du numérique, auxquelles, à l’époque, les établissements d’enseignement classique ne formaient que trop peu. »

Et trois ans après avoir intégré un grand cabinet de conseil international, c’est le déclic : elle comprend qu’elle veut travailler dans l’éducation. Elle s'aperçoit qu'il y a un vrai manque et de plus en plus de personnes, dont les métiers sont en voie de disparition, à accompagner dans leur reconversion.

« Et puis, j’étais admirative des entrepreneurs que je croisais. Après m’être longuement intéressée à la vie des artistes dans le cadre de mes études en histoire de l’art, j’ai réalisé que les entrepreneurs sont aussi de vrais artistes. Pas des artistes du beau, mais des artistes créateurs qui remodèlent la société. C’est comme ça que j’ai trouvé ma voie d’entrepreneur dans l’éducation en créant la Wild Code School. » confie-t-elle avec simplicité.

 

La Wild Code School : enseignement par projet, coaching vers l’emploi et pédagogie hybride

En septembre 2013, elle inaugure les premiers locaux de l’école, dans un collège désaffecté mis à sa disposition gratuitement par la mairie d’une petite ville d'Eure-et-Loir, La Loupe. La formation est alors gratuite pour les premiers élèves, tous demandeurs d’emploi.

L’innovation pédagogique est d’emblée au cœur de la Wild Code School. Car pour Anna, il est clair que l'on ne peut pas enseigner de la même manière à un adulte en reconversion professionnelle qu’à un jeune en formation initiale. « Nous nous sommes fixés le défi de rendre ces personnes employables en moins de 6 mois, quel que soit leur parcours initial. Nous avions des boulangers, des menuisiers, des assistantes maternelles, d’anciens comptables ou encore des journalistes au chômage. »

Le fait de démarrer la Wild Code School à la campagne, loin des grandes écoles parisiennes, lui a permis avec son équipe de se sentir parfaitement libres dans leur expérimentation pédagogique. « Nous avons pu commencer avec une page blanche, repenser les rythmes des cours, le programme, les formats d’apprentissage... Ce fut une période passionnante ! » se rappelle-t-elle avec enthousiasme.

Moins de 8 ans plus tard, le modèle pédagogique de l’école s’est consolidé et a déjà fait ses preuves : plus de 80% des élèves trouvent un emploi à l’issu de la formation et elle accueille désormais plus de 1 000 personnes par an. Enseignement par projet, coaching vers l’emploi et pédagogie hybride (mêlant présentiel et cours à distance) sont les trois piliers de la Wild Code School.

 

L’impact de la crise sanitaire sur la transition numérique, un rapport au distanciel complexe

Interrogée sur la transition numérique du secteur éducatif face à la crise sanitaire, Anna Stépanoff répond : « ce qu’aucun ministre n’a réussi à mettre en place, le virus l’a fait en quelques semaines ! De très belles expérimentations ont émergé. Certains étudiants y ont pris goût et auront sûrement moins peur du distanciel dans l’avenir. »

Mais pour cette experte du secteur, l’enseignement 100% à distance est loin d’être la solution miracle. De très nombreux élèves, notamment les plus jeunes, lui ont témoigné leur souffrance de rester confinés chez eux pendant plusieurs mois. « L’école est un lieu de sociabilité par excellence pour les jeunes ! Bien que la crise doive sûrement donner un coup de boost à l’enseignement à distance et en ligne, je ne crois pas une seconde que l’enseignement présentiel puisse disparaître. Bien au contraire, le confinement a démontré à quel point les interactions humaines avec les enseignants et les camarades de classe sont précieuses et font partie des besoins vitaux des apprenants. »

Pour elle, le véritable enjeu est avant tout d’interconnecter le présentiel et le distanciel dans toutes les formations afin de pouvoir passer d’une manière fluide d’un mode à l’autre selon les besoins : « je crois que malheureusement on pourra en avoir besoin dans l’avenir car nous aurons sûrement l’occasion de vivre d’autres pandémies ou catastrophes dans les années à venir et nous devons nous y préparer. »

 

Les interactions humaines placées au cœur de l’apprentissage du numérique

Et si certains spécialistes de la transformation digitale des systèmes éducatifs prônent un apprentissage uniquement basé sur la technologie, sans professeur, Anna Stépanoff n’est pas de ceux-là. Pour elle, il serait terrible d’adopter aveuglément tout ce que le progrès technique nous permet de faire.

« La technologie doit être au service de l’humain, au service de l’enseignant, pour l’épauler, mais nullement ne le remplacer. »

Les interactions réelles avec un enseignant et les camarades de classe sont essentielles pour la motivation des apprenants. « L’investissement des enseignants est encore plus nécessaire à distance, car il est plus difficile de percevoir les réactions des élèves pendant un cours à partir d’écrans interposés. » témoigne la directrice de la Wild Code School. « Par ailleurs, comme je le disais plus tôt, je crois qu’enseigner et apprendre sont les activités les plus humaines qui existent et une grande source de joie. Pourquoi les abandonnerait-on aux machines ? Il me semble que l’humanité se révèle justement dans la relation de transmission du savoir et des savoir-faire et savoir-être entre les parents et les enfants, entre les enseignants et les apprenants. »

Et si le numérique a envahi notre vie, la place de l’être humain y reste incontestablement centrale, en témoignent le nombre d’opportunités professionnelles créées par ce secteur. Pour Anna Stépanoff, maîtriser les codes du numérique est devenu indispensable : « la programmation peut être un outil très important pour la recherche et l’enseignement, par exemple dans les “humanités numériques”. J’aime dire que les développeurs sont des bâtisseurs des cathédrales d’aujourd’hui, les applications et sites internet ont remplacé les cathédrales. Il est donc clairement préférable de se familiariser avec cet univers et ses langages. »

Elle souligne aussi l’importance du caractère collaboratif dans le numérique et de la nécessité de s’inscrire dans des communautés pour l’apprendre et le pratiquer. Car si le code peut s’apprendre en ligne grâce à de nombreuses ressources gratuites, elle estime que « rien ne remplacera une véritable immersion dans le cadre d’un programme bien construit, en faisant partie d’un groupe ». Une vision de la profession bien loin du cliché du développeur web seul face à son écran, ouverte à l’échange et sur le monde. « Je rêve d’un Erasmus de code où chaque étudiant pourrait passer un semestre à apprendre un métier numérique en voyageant. », conclut Anna Stépanoff, la tête pleine de projets.