Laure Saint-Raymond
Mathématicienne
Entretien paru dans le Normale Sup’Info en Janvier 2011
Mathématicienne, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie et au département de Mathématiques et applications de l’ENS, Laure Saint Raymond vient de recevoir le prix Irène Joliot Curie 2011 de la « Jeune femme scientifique ».
Vous venez d’obtenir le prix Irène Joliot Curie de la "Jeune femme scientifique", que représente ce prix pour vous ?
C’est très encourageant de recevoir un prix, mais ce n’est pas forcément juste de distinguer que quelques individus. Les avancées importantes sont souvent le fruit de nombreuses contributions, individuelles ou collectives : que le tissu de la recherche reste bien fourni, cela me paraît crucial. Je profite ici de l’occasion pour remercier mes principaux collaborateurs avec qui j’ai toujours du plaisir à travailler : François Golse, Isabelle Gallagher, Anne-Laure Dalibard et Diogo Arsenio.
Le fait que ce prix soit destiné à mettre en valeur la parité me laisse un peu sceptique. Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui, il y ait encore des obstacles pour les femmes qui s’engagent dans les carrières scientifiques. Dans mon cas, à aucun moment, j’ai eu l’impression qu’il y avait des discriminations entre les hommes et les femmes. C’est bien d’encourager les jeunes filles qui veulent faire de la science, c’est bien aussi, vu la crise des vocations scientifiques aujourd’hui, d’encourager des jeunes, filles et garçons, à s’orienter vers ces métiers.
Quel est votre domaine de recherche ?
Les mathématiques, et plus particulièrement l’étude des équations aux dérivées partielles, un domaine qui est à l’interface avec d’autres disciplines scientifiques comme la physique.
Une question centrale dans ma recherche est de comprendre comment on peut capturer des phénomènes physiques avec des modèles mathématiques. Mes deux domaines de prédilection sont la physique statistique, et plus précisément le comportement des gaz et plasmas raréfiés avec des applications telles que la modélisation de la haute atmosphère ou des plasmas de confinement magnétique intervenant par exemple dans le dispositif ITER ; et la mécanique des fluides, plus spécifiquement les écoulements géophysiques à grande échelle pour lesquels la force de Coriolis a un rôle dominant.
Concrètement mes contributions ne sont pas très appliquées, elles relèvent plus des mathématiques fondamentales. On essaye de comprendre les propriétés qualitatives de certaines équations (qui ne décrivent souvent que partiellement ces systèmes très complexes). Dans les régimes physiquement intéressants, on peut exhiber des comportements caractéristiques. Est-ce que cela correspond à ce que l’on observe ? Est-ce que cela permet d’écrire des équations plus simples que l’on puisse simuler numériquement ?
Quel est votre parcours ?
Retracer son parcours en essayant de distinguer les véritables choix des opportunités liées aux rencontres ou au hasard est un exercice difficile. En ce qui me concerne, il ne serait pas honnête de parler de vocation précoce pour la recherche.
Après avoir envisagé pendant mes années de collège une carrière musicale, j’ai finalement opté au lycée pour une orientation scientifique, tenant compte d’une part de dispositions pour la physique et les mathématiques, et d’autre part d’influence familiale. Mes parents, tous deux professeurs de mathématiques, nous ont en effet transmis un certain goût pour la rigueur. Par ailleurs, en classes préparatoires (au lycée Henri IV), j’ai pu bénéficier d’un enseignement de mathématiques de très grande qualité qui m’a fait découvrir la richesse de cette discipline, dont je n’avais pas idée jusque-là.
Mon orientation vers la recherche et l’enseignement s’est dessinée au moment des admissions dans les grandes écoles en 1994. Les métiers de l’ingénierie et plus généralement de cadre d’entreprise ne m’attirant pas particulièrement, j’ai choisi d’intégrer l’ENS qui me semblait déboucher sur des métiers intellectuellement très stimulants. Dans ce cadre extrêmement favorable, j’ai reçu une double formation de mathématiques et de physique, partagée entre le désir de comprendre un peu mieux le monde qui nous entoure, et un goût pour les théories plus abstraites.
La rencontre de chercheurs passionnés par leur activité et enthousiastes dans leurs cours a été déterminante dans mon orientation vers les mathématiques appliquées. Après un DEA d’analyse numérique à l’Université Paris 6, et un DEA de physique des plasmas à l’Université de Versailles Saint-Quentin en 1996, j’ai donc commencé une thèse sous la direction de François Golse, en théorie cinétique des gaz.
J’ai passé deux ans au CNRS comme chargée de recherches avant d’être recrutée comme professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. Actuellement, j’effectue l’intégralité de mon service de recherche et d’enseignement à l’ENS.
J’apprécie particulièrement dans mon métier, la très grande autonomie que l’on a dans le travail, et la stimulation intellectuelle permanente.
Quels sont les points forts du département de Mathématiques de l’ENS ?
Le département est constitué de trois équipes : Algèbre et géométrie, Analyse, Probabilités et statistiques, mais comme l’effectif est relativement restreint, ces équipes ne sont pas cloisonnées. Il y a sans doute plus d’interactions entre les différents domaines des maths que dans des structures plus importantes.
Au département de mathématiques, on ne peut rester plus de dix ans. Il y a du mouvement, c’est très enrichissant. Les cours changent, les thématiques ne sont jamais les mêmes. On essaye de faire venir des personnes qui attachent de l’importance à l’enseignement.
Les promotions sont relativement petites, l’encadrement est individualisé et permet à chaque élève ou étudiant de suivre son propre parcours. Il y a aussi une proposition de cours autre que les maths qui est très importante.
Les sources de financement sont-elles suffisantes dans votre domaine ?
Je trouve regrettable la situation actuelle. On a de moins en moins de crédits récurrents et de plus en plus de financements ponctuels avec tout le gâchis que cela représente : temps incalculable passé à remplir des appels à projet, gestion administrative lourde, et budget pas toujours adapté aux besoins.
La recherche est un investissement à long terme. En mathématiques on a juste besoin d’argent pour payer les postdocs et les thésards, le principe de financer avec de gros moyens quelques structures ou quelques individus, aussi excellents soient-ils, ne me semble pas adapté.
Quand vous ne travaillez pas, quelle est votre occupation préférée ?
La musique, la montagne... Mais l’emploi du temps familial ne me laisse pas beaucoup de liberté !