« Le droit international est écrit par des États qui n’ont pas accepté une contrainte maximale. »
Rencontre avec Raphaëlle Nollez Goldbach, chercheuse en droit international
Qu’est-ce que le droit international ? Qui le pense ? Y a-t-il un droit de la guerre ? Ce sont autant de questions auxquelles Raphaëlle Nollez Goldbach apporte son éclairage. Directrice de recherche au CNRS, elle enseigne le droit international public, le droit pénal international ainsi que les négociations internationales à l’ENS. Ses recherches portent sur la justice pénale internationale : elle s’intéresse « à la construction et au fonctionnement de la Cour pénale internationale, à travers l’étude des crimes internationaux, de la procédure pénale internationale et de la jurisprudence, ainsi qu’à la fabrication du droit par la Cour ».
Le droit international en quelques lignes
Raphaëlle Nollez Goldbach définit le droit international de la manière suivante : ce sont les « règles qui organisent la vie internationale, les relations entre les États principalement, mais aussi les relations entre les individus et les États. » Aux antipodes du droit interne, le droit international n’est pas constitué de lois : « il n’y a pas de parlement élu qui permettrait d’en adopter ». Ce sont principalement des traités internationaux « qui ressemblent aux contrats » et des résolutions de l’ONU qui en constituent les fondements. Ce sont les États qui en rédigent les contenus, les négocient et les ratifient.
C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que le droit international connaît sa révolution : « du fait du choc des deux guerres mondiales successives, du nombre de morts et des crimes commis, de la solution finale et du génocide perpétré par les nazis, les États ont accepté de coopérer dans la structure onusienne, mais aussi de manière plus large ». En 1945, naît la Cour internationale de justice (CIJ), mise en place par la Charte des Nations Unies. Puis, la fin de la guerre froide mène à un dégel des relations internationales, laissées à l’arrêt pendant ce conflit : la justice pénale internationale évolue. La création de la Cour pénale internationale (CPI) en 2002 en est l’une des conséquences : avant cela, les États « ne voulaient pas d’un tribunal qui viendrait potentiellement juger leurs ressortissants ».
Plus récemment, Raphaëlle Nollez Goldbach observe la judiciarisation des relations internationales, soit le fait de faire appel à un juge international. C’est l’exemple de l’Afrique du Sud qui a saisi en décembre 2023 la Cour internationale de justice dans le cadre de la guerre entre le Hamas et Israël. Pour la chercheuse, « une telle saisine de la CIJ, aussi rapide et en plein cœur du conflit, c’est du jamais vu, cela pose beaucoup de questions en recherche ». Selon elle, la saisine de la CIJ par l’Afrique du Sud est liée à sa « longue politique de lutte anti-apartheid, qui défend le droit des peuples à l’auto-détermination ». Elle note que c’est un enjeu de taille, « car il s’agit de la mise en cause juridique et politique directe d’un État ». Suite à cette dernière, elle souligne qu’Israël, représenté par le juge Aharon Barak, est venu et s’est défendu : « c’est un véritable processus démocratique qui s’est joué devant cette cour internationale ». Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice a rendu une première décision indiquant des mesures d’urgence sur le fondement de la Convention contre le génocide : elle a ordonné à Israël d’empêcher tout éventuel acte génocidaire, et d’autoriser l’accès humanitaire à Gaza.
Le droit international humanitaire, droit de la guerre ?
Raphaëlle Nollez Goldbach explique ce qu’est le droit international humanitaire, qui constitue une branche du droit international : ce sont « les règles qui s’appliquent en temps de guerre pour protéger ceux qu’on appelle en droit les non-combattants, c’est-à-dire les civils, mais aussi les combattants qui ne sont plus en état de combattre ». Ce droit de la guerre, synonyme de droit humanitaire, s’est développé pendant la seconde moitié du XIXe siècle : face aux multiples conflits qui sévissaient en Europe, le fondateur de la Croix-Rouge, Henri Dunant, en avait appelé à une protection des populations civiles et des non-combattants.
Comme la chercheuse le rappelle, « le droit de la vie n’est pas un droit absolu en droit international ». Le droit humanitaire donc, « limite a minima les moyens de la guerre », mais n’a pas pour vocation, stricto sensu, d’empêcher les conflits. Elle constate que « le droit international est écrit par des États qui n’ont pas accepté une contrainte maximale ». Plusieurs conventions en délimitent cependant les contours. Ainsi, la convention de Genève de 1949 dispose que la protection des hôpitaux en même temps que celle des édifices consacrés au culte, aux arts, à la science et à la bienfaisance doit être assurée. Ces derniers étant protégés, il s’agit donc « d’un crime de guerre de les bombarder, comme cela avait été le cas d’une maternité à Marioupol le 9 mars 2022 ». Toutefois, tel que Raphaëlle Nollez Goldbach le précise, la prise pour cible d’un bâtiment protégé redevient légale si ce dernier est en réalité un lieu tenu par des groupes armés qui s’en servent comme d’une base militaire. « Ce qui est terrible, c'est que les groupes armés se placent souvent volontairement au milieu de civils dans des bâtiments protégés. De la même manière, les États font preuve de cynisme en autorisant des frappes sous couvert de la présence de combattants armés malgré les dommages collatéraux occasionnés parmi les civils », ajoute-t-elle.
Si plusieurs conventions et traités encadrent les conflits, deux juridictions internationales peuvent être ensuite compétentes, selon des mécanismes distincts, pour juger de la responsabilité des États ou bien des individus. La Cour internationale de justice, tout d’abord, juge de la responsabilité des États. Pour prendre le cas d’un groupe terroriste, n’étant pas un État, sa responsabilité ne pourrait pas être examinée devant la CIJ. À moins d’établir « un lien entre les actions de ce dernier et le gouvernement de l’État » : il faudrait alors prouver que l’État a commandité les actions de ce groupe pour que la CIJ soit compétente.
Quant à elle, la Cour pénale internationale juge de la responsabilité des individus. Elle ne peut intervenir, entre autres, que si le crime a été commis sur le territoire d’un État ayant signé la convention, ou si le mis en cause est le ressortissant de l’un de ces États. Par exemple, les crimes commis sur le territoire ukrainien relèvent de la compétence de cette cour : les soldats russes pourraient alors voir leur responsabilité engagée devant la CPI. De la même manière, les soldats ukrainiens pourraient eux aussi voir leur responsabilité engagée devant cette dernière en cas d’exactions commises sur le territoire russe, en raison de leur nationalité. Raphaëlle Nollez Goldbach souligne qu’il serait « terrible pour la CPI de ne pas enquêter sur les deux camps d’un conflit : on assisterait sinon à la justice des vainqueurs ».
La guerre, et après ?
Quand on lui demande comment elle conçoit l’avenir du droit international après ces conflits, elle répond que c’est « toujours au moment de grosses crises et de chocs mondiaux que le système se révolutionne ». Elle fait état de plusieurs solutions qui ont été soulevées pour améliorer le fonctionnement des instances du droit international en temps de conflit : que ce soit la modification du droit de veto, pour empêcher les membres permanents de l’ONU de l’utiliser quand des crimes de masse sont commis, ou bien l’élargissement du nombre de ces mêmes membres permanents. Elle émet cependant quelques doutes sur son efficacité, puisque cela pourrait « entraîner encore plus de blocages ». Elle note toutefois une judiciarisation croissante, « à laquelle [elle] croi[t] comme moyen d’évolution du système international », qui permet à des juges internationaux de dire le droit. Ainsi, si une cour internationale de justice venait à « dire qu’Israël commet un génocide, l’impact politique et moral serait énorme ».
Plus qu’au droit international, elle rappelle que les résolutions des conflits sont intrinsèquement liées au contexte politique dans lequel elles adviennent. Dans le cas de la guerre entre le Hamas et Israël, « les avancées dans le processus de paix se sont faites sous Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, qui étaient deux hommes engagés pour la paix, et sous un président américain, Bill Clinton, qui était un démocrate ». Mais, il y a selon elle tellement de paramètres qui rentrent en ligne de compte quand il s’agit de trouver une issue durable à un conflit, « qu’il est impossible de prédire quoi que ce soit ».
Elle nuance néanmoins sa réponse initiale à la question de l’après, et relève que « tous les chocs mondiaux n’ont pas abouti à un changement de système ». Elle questionne enfin l’utilité d’un droit international qui ne permettrait pas de juger les crimes commis pendant un conflit : « du droit qui ne s’applique pas, à quoi ça sert ? ».