Le Programme universitaire Houda Ayoub
Une inititative de l’ENS-PSL et l’IFPO, destinée à aider et renforcer des projets de doctorats en sciences humaines et sociales sur le Proche-Orient.
L’ENS-PSL et l’Institut français du Proche-Orient, en partenariat avec la Fondation des Cèdres et le Leibniz-Zentrum Moderner Orient, ont lancé en juin 2021 le programme Houda Ayoub d’aide à la recherche et à la mobilité, destiné à initier ou renforcer des projets de doctorats en sciences humaines et sociales sur le Proche-Orient.
Dimitri El Murr, Ziad Bou Akl et Pauline Koetschet, les trois enseignants-chercheurs porteurs du projet, nous détaillent la genèse et l’intention de ce tout nouveau programme universitaire.
Un programme d’aides triennales à la recherche en sciences humaines
Le programme Houda Ayoub est né de la volonté conjointe de l’Ecole normale supérieure et de l’Institut Français du Proche Orient d’aider le secteur universitaire libanais après l’explosion du port de Beyrouth survenue au Liban au mois d’août 2020, venant aggraver la crise socio-économique qui traverse ce pays depuis quelques années. « Après de longues discussions avec différents collègues universitaires libanais, nous nous sommes rendu compte que le meilleur moyen qui était à notre portée d’aider les universités au Liban était de mettre en place un programme d’aide à la recherche en sciences humaines pour de futurs doctorants, afin de leur permettre de rester au Liban pour poursuivre leurs études. »
Un encadrement scientifique fort
L’objectif du programme est de permettre aux étudiants de faire leur thèse de doctorat, au sein d’une université libanaise, dans les meilleures conditions possibles. « Il s’agit donc à la fois de leur fournir une aide financière qui leur permette de se consacrer pendant trois ans à la recherche, et un encadrement scientifique qui garantisse un travail de qualité. »
L’IFPO et l’ENS-PSL se partagent l’accompagnement scientifique des doctorants, qui demeurent encadrés par leur directeur ou leur directrice de thèse, et la Fondation des Cèdres assure le financement triennal des projets sélectionnés. En tant qu’Institut français de recherche à l’étranger, spécialisé dans les sciences humaines et sociales sur le Proche-Orient, l’IFPO accueille les doctorants du Programme Houda Ayoub dans ses locaux de Beyrouth, leur apporte un accompagnement scientifique et leur donne accès à ses ressources documentaires. Les doctorants effectueront une mobilité annuelle d’une durée d’un mois ou deux à l’ENS, où ils bénéficieront également d’un accompagnement scientifique et de l’accès aux ressources documentaires.
Lors de leur séjour à l’ENS, les doctorants sélectionnés « seront évidemment fortement incités à échanger avec les différents spécialistes présents dans les départements et unités de recherche, à même de les aider dans leur recherche. Ils pourront également, s’ils le souhaitent, suivre pendant toute l’année les cours et événements scientifiques qui se tiennent par visio-conférence et bénéficier, par le même canal, de discussions avec tel ou telle spécialiste. »
Les bénéficiaires et la sélection
Les bénéficiaires de ces aides sont des doctorants inscrits dans une École doctorale au Liban pour préparer une thèse dans l’une des disciplines des Sciences Humaines et Sociales suivantes : géographie, histoire, philosophie, littérature, linguistique, archéologie, étude des textes religieux, science politique, anthropologie, économie et société.
Les dossiers de candidatures comprennent un CV, un projet de thèse détaillé et une lettre d’acceptation d’un directeur ou d’une directrice de recherche dans une des universités libanaises. Les dossiers sont tous expertisés par chacun des membres d’une commission qui rassemble des enseignants-chercheurs de chacune des institutions partenaires ainsi que des principales universités libanaises et un membre de la Fondation des Cèdres. « Après une discussion nourrie et serrée, les dossiers sont classés par ordre de mérite et au moyen d’un vote à bulletin secret, si aucun consensus n’apparaît. »
La première campagne de bourses du Programme Houda Ayoub 2021-2022, a permis d’octroyer trois bourses doctorales de trois ans chacune. Les étudiants peuvent utiliser ces bourses pour se concentrer sur leur travail de thèse, et également pour effectuer des séjours de recherche en France ou en Allemagne.
Une relève pour l’enseignement universitaire au Liban
Le programme Houda Ayoub d’aide à la recherche souhaite encourager les étudiants à poursuivre leurs études dans les universités du Liban, car comme le soulignent les enseignants-chercheurs, fondateurs du projet, « les études supérieures ont toujours été l’une des grandes forces du Liban, mais aussi un secteur très privatisé. L’Université libanaise est la seule université publique du pays. Depuis le début de la crise économique en 2019, qui s’est depuis transformée en crise multidimensionnelle, les étudiants souffrent de plusieurs difficultés, dont les principales sont : la déperdition de la valeur de la monnaie nationale, qui rend l’inscription à l’université inabordable pour beaucoup ; le départ de nombreux étudiants et professeurs à l’étranger, et plus largement les grandes difficultés financières rencontrées par les universités, qui les ont obligées à fermer certaines filières, notamment en sciences humaines. »
Face à ce constat alarmant, les initiateurs du projet ont souhaité engager un programme qui, « à lui seul ne pourra évidemment pas pallier le manque dont souffrent les universités au Liban ni remédier à la crise que vit le pays depuis quelques années » mais qui, compte tenu du nombre élevé de départs à l’étranger, notamment parmi les jeunes diplômés, « permettra à un certain nombre de doctorants de rester au Liban pour poursuivre leurs études et, on l’espère, de prendre la relève à long terme au sein de l’enseignement universitaire en sciences humaines. »
L’héritage Houda Ayoub
Comme en témoignent ses anciens élèves et amis, le programme d’études « Houda Ayoub » est un hommage à la professeure d’arabe, du même nom, disparue en 2017, et qui durant plus de trente ans, a fait rayonner les études arabes à l’ENS.
Dimitri El Murr : "D’origine libanaise, j’ai toujours voulu apprendre la langue arabe, que mon père ne m’avait pas apprise, sans doute parce que le plus important pour lui, lors de son arrivée en France en 1969, était de s’intégrer pleinement à la société française, de devenir d’abord français par la langue et la culture, avant la citoyenneté. Lors de ma première année à l’ENS en 1997, je me suis donc inscrit au cours d’arabe débutant que Houda Ayoub donnait deux fois par semaine en fin de journée et qui rencontrait un succès immense. J’y ai rencontré Houda qui était une professeure exceptionnelle et une personne incroyablement attachante, et par elle, plusieurs amis arabisants, bien plus doués que moi. C’est avec cette joyeuse bande que, sous le patronage de Houda, dans son petit bureau qui nous servait aussi de fumoir (c’était un autre temps – que je regrette souvent !), nous avons organisé la première semaine arabe en mars 1998. La première d’une longue série de « Semaines arabes » destinées à faire vivre toutes les cultures arabes au sein de l’ENS."
Pauline Koetschet : "J’ai rencontré Houda Ayoub lors de mon arrivée à l’Ecole Normale en 2001. Elle donnait alors des cours d’arabe pour les débutants. Ses cours connaissaient un immense succès : plus de 70 étudiants de première année étaient inscrits ! Très vite, j’ai pris l’habitude, comme d’autres, de passer la voir dans son bureau, un lieu où se croisaient et discutaient profs et étudiants d’égal à égal. Grâce à elle, j’ai pu partir en stage au Yémen en 2002, puis au Caire (2002-2003), et enfin en Syrie (2005). Son apport aux études arabes à l’ENS est immense. Initiatrice de la “semaine arabe” - événement annuel couronné de succès - , elle s’est battue pour que les études arabes à l’ENS traversent toutes les disciplines, soient de haut niveau, ouvertes et engagées."
Ziad Bou Akl : "J’ai fait la connaissance de Houda en 2010, quand elle m’a recruté comme lecteur d’arabe au département ECLA qu’elle avait fondé avec ses collègues enseignantes et dont elle était la directrice. Houda avait quitté le Liban pendant les douloureuses années de guerre civile pour venir en France continuer ses études, avant d’enseigner l’arabe à l’ENS en compagnie de Daniel Reig. Pendant de très nombreuses années, elle a su créer autour d’elle un vaste réseau d’universitaires, d’intellectuels et d’étudiants arabisants, venus du monde arabe mais aussi de France et d’ailleurs — une véritable « République des Lettres arabes » au sein de l’École ! — qui lui a survécu. En témoignent les collaborations professionnelles et les amitiés nées dans le bureau qu’elle a si longtemps occupé à ECLA. En rapprochant doctorants et universitaires français et libanais au travers de collaborations scientifiques riches, le programme d’études « Houda Ayoub » est un hommage à son infini dévouement, scientifique autant qu’humain, pour faire vivre la langue et la culture arabes dans toute leur diversité."
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