« Le théâtre étudiant est si actif, si urgent, si inventif et si émouvant »
Les « Lundis midi » du Théâtre Nicole Loraux de l'ENS
Un vrai pari. Depuis septembre 2022, le Théâtre Nicole Loraux de l’ENS propose un nouveau créneau exceptionnel et atypique, celui des « lundis midis » qui, dès la première représentation, se révèle déjà être un franc succès.
L’occasion d’interroger Anne-Françoise Benhamou, professeure d’études théâtrales à l’ENS et coordinatrice du Théâtre, autour de cette initiative et d’un lieu unique « qui est une caisse de résonance avec notre monde ».
Comment vous est venue l’idée de cette initiative ?
Lorsqu’on s’occupe d’un théâtre au sein d’une école, on est concrètement en contact avec tous les services : logistique, audio-visuel, communication, prévention et sécurité, travaux, gestionnaires de département, activités culturelles, service financier…. J’ai donc régulièrement l’occasion de parler de notre programmation, non seulement à mes collègues enseignants, mais à de multiples personnes travaillant à l’ENS. Souvent, elles manifestent leur curiosité pour les projets étudiants et me disent regretter de ne pas pouvoir y assister, car ils se jouent le soir ou le weekend. J’ai donc eu l’idée de proposer aux équipes artistiques de les programmer un jour de plus, le lundi, au milieu de la journée de travail, à 12h30. Nous n’avons bien sûr retenu que des spectacles courts pour laisser le temps d’un sandwich … Les équipes étudiantes ont tout de suite été très partantes et enthousiastes. Nous appréhendions un peu cet horaire atypique, qui est un vrai pari. Mais nos deux premiers lundis ont été un succès, devant des salles bien pleines d’étudiants et de personnels de l’École.
Qu’attendez-vous de l’ouverture de cette nouvelle session ?
Le Théâtre Nicole Loraux est si profondément implanté dans l’École – nous présentons une vingtaine de projets étudiants par an et accueillons près de 6000 spectateurs – que je trouve vraiment important que toutes les personnes de notre communauté qui le souhaitent puissent avoir l’occasion de découvrir ce qui s’y joue. C’est une façon différente, mais très forte, d’être en dialogue avec les étudiants et les étudiantes pour lesquels nous travaillons tous, et de faire connaissance autrement avec eux, en découvrant leur imaginaire. Je suis convaincue pour ma part (et c’est une des principales raisons pour lesquelles je me suis intéressée au théâtre) qu'un spectacle, à l’ENS ou ailleurs, est toujours une façon de partager collectivement certains aspects de nos expériences. Un partage qui ne pourrait se faire avec la même radicalité, avec la même sincérité, avec la même confiance en la réaction de l’autre, ailleurs que sur une scène et devant des spectateurs.
Notez-vous dans la programmation de cette année, une dynamique sur des questionnements contemporains et un besoin de la part des étudiants d’y créer un espace de parole ?
Les projets théâtraux des étudiants, quels qu’ils soient, me paraissent toujours portés par une véritable urgence à prendre la parole. Et cette parole, loin d’être narcissique, y apparaît le plus souvent traversée par le monde, faite de leur rapport vibrant au monde – le monde d’aujourd’hui, avec ses convulsions, ses angoisses, ses injustices, ses mues stupéfiantes, sa quête d'espérance... Ainsi, nous avons, comme la saison dernière, plusieurs spectacles féministes (Les Bâtardes, Revolt d’Alice Birch) ; des spectacles qui prennent à bras-le-corps la noirceur de l’avenir (Sayonara d’Oriza Hirata), la rage devant le monde (Le Misanthrope), la perte des idéaux (Félicien) ; et d’autres qui parlent de la nécessité de l’agir-ensemble (Vol au-dessus de l’océan), de la valeur inégalable du présent et de la joie (Figaro) ), de l’amour (Les Vulnérables)…… Ce ne sont jamais des spectacles à message, c’est très différent : ce sont des spectacles qui parlent, qui nous parlent, et de beaucoup de choses. C’est aussi parce que les campus sont aujourd’hui des lieux en effervescence intellectuelle, traversés en permanence par des questions violentes et profondes, que le théâtre étudiant est redevenu si actif, si urgent, si inventif, si émouvant.
Vous évoquez toujours avec beaucoup d’enthousiasme les spectacles étudiants, avez-vous d’autres projets, autour de la programmation du Théâtre Nicole Loraux ?
Il n’y pas de théâtre sans enthousiasme ! Je suis très fière que, depuis la réouverture du théâtre Nicole Loraux, il se crée au sous-sol de l’École un tel foyer de joie, en même temps qu’une caisse de résonance avec notre monde. Un de nos grands projets, conçu par des élèves musicologues et en théâtre de notre département, est, en juin 2023, de présenter un opéra, avec solistes, orchestre et chœur étudiants : Didon et Énée, de Purcell. Exceptionnellement, nous le porterons comme un projet du Département Arts, encadré par Fériel Kaddour et moi-même.
Et puis, avec les étudiants et étudiantes en théâtre, nous réfléchissons sérieusement à la possibilité de créer en 2024 un festival étudiant, programmé par eux, où seraient invités des spectacles créés dans d’autres universités, voire dans des universités étrangères… J’ajoute que rien de tout cela ne serait possible ou imaginable sans le soutien de la direction de l’École, sans la dynamique et l’appui du Département Arts, sans l’aide de toutes les personnes que j’ai évoquées, ni, sur un autre plan, sans le dialogue permanent que j’ai avec le régisseur général Éric Proust, et la qualité de sa présence pédagogique, technique et artistique auprès des équipes étudiantes.