Les anyons révèlent leurs propriétés quantiques exotiques
Parution dans la revue Science
Des physiciens du Laboratoire de physique de l’ENS (ENS-PSL/CNRS/Sorbonne Université/Université de Paris) et du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (CNRS/Université Paris-Saclay) mettent en évidence les propriétés quantiques exotiques des anyons, particules intermédiaires entre les fermions et les bosons. Leurs travaux font la une de la revue scientifique américaine Science.
Fermions, bosons et autres quasiparticules exotiques, voyage en terre quantique
Dans notre monde tridimensionnel, la mécanique quantique qui décrit le monde microscopique n’autorise l’existence que de deux types de particules : les fermions et les bosons. Chacun aura entendu parler de l’électron, la particule élémentaire de la famille des fermions qui assure le transport du courant électrique. Chez les bosons, c’est le photon, la particule élémentaire associée à la propagation de la lumière qui nous est sans doute la plus familière. Les fermions et les bosons ont des comportements collectifs complètement différents. Les premiers tendent à se repousser ou à s’exclure. C’est cette faculté qui permet d’expliquer des phénomènes aussi variés que la structure électronique des atomes, la stabilité des étoiles à neutrons ou bien la différence entre les métaux, conducteurs du courant électrique, et les isolants. Les bosons au contraire, ont tendance à se regrouper permettant ainsi d’expliquer certaines propriétés de la lumière ou encore les phénomènes de superfluidité ou de supraconductivité, tous deux liés à la condensation d’un grand nombre de bosons dans un même état. Pour caractériser les comportements quantiques distincts d’un ensemble de fermions et de bosons, on parle de statistiques quantiques fermioniques ou bosoniques.
La situation est complètement différente dans un univers bidimensionnel où d’autres types de quasiparticules exotiques, différentes des fermions et des bosons, peuvent exister. Elles apparaissent dans certains types de conducteurs électriques bidimensionnels dans lesquels les électrons interagissent très fortement entre eux. Les mouvements collectifs des électrons sont alors parfaitement décrits par le déplacement de nouveaux objets élémentaires, les anyons. Au contraire des fermions qui s’excluent complètement, et des bosons qui peuvent tous condenser dans le même état, les anyons peuvent former de petits paquets de particules s’excluant mutuellement.
Si l’existence des anyons et leurs propriété quantiques, intermédiaires entre celles des fermions et les bosons, ont été prédites théoriquement il y a quarante ans, leur nature fondamentalement différente était restée inaccessible jusqu’ici. Seules certaines de leurs propriétés exotiques avaient pu être observées par les nombreux travaux théoriques et expérimentaux qui leur ont été consacrés. Par exemple, des chercheurs ont dévoilé en 1997 leur charge électrique fractionnaire, c’est à dire égale à une fraction de la charge élémentaire d’un électron.
Des physiciens créent les conditions d’observation des anyons
Pour sonder les propriétés quantiques des anyons, il a fallu revenir au cœur des différences de comportement entrainées par la statistique quantique. Les chercheurs du LPENS, laboratoire de Physique de l’Ecole normale supérieure, ont utilisé un collisionneur au sein d’une puce électronique fabriquée par des physiciens du C2N. Cette puce permet de réaliser, dans un conducteur électrique bidimensionnel, des collisions entre anyons. Les collisionneurs quant à eux sont les instruments de choix pour caractériser les effets de statistique quantique. Ils permettent aux physiciens, en observant les résultats d’une collision entre deux particules, de quantifier la tendance des quasiparticules à se regrouper ou à s’exclure.
Pour conclure définitivement à l’existence des anyons, ces quasiparticules ni vraiment fermions ni vraiment bosons, les chercheurs ont mis en place des conditions particulières d’expérience. Des conditions susceptibles de préserver les propriétés quantiques des anyons. C’est dans un conducteur microscopique dont le diamètre est comparable à celui d’un cheveu et à des températures ultra basses, plus de dix mille fois inférieures à la température ambiante, que tout s’est joué. Le résultat des expériences a permis de caractériser une tendance des anyons à se regrouper en paquets de particules, un comportement complètement différent de celui des électrons qui leur ont donné naissance et qui correspond au comportement quantique attendu pour des anyons.
Ce sont ces travaux qui font la une aujourd’hui de l’une des plus prestigieuses revues scientifiques mondiales.
Photo : réfrigérateur à dilution utilisé pour atteindre une température de quelques dizaines de MilliKelvins (plus de dix mille fois inférieure à la température ambiante) nécessaire à l'observation des anyons. © Département de physique / ENS - Hubert Raguet
Vers le calcul quantique topologique
En élargissant le spectre des particules connues dans les systèmes bidimensionnels, ces résultats sont une avancée remarquable pour la physique fondamentale et pour les scientifiques qui peuvent désormais manipuler des objets élémentaires aux propriétés nouvelles.
Certaines d’ailleurs semblent très prometteuses pour la recherche en calcul quantique topologique si nécessaire pour avancer vers l’ordinateur quantique. Un ordinateur du futur dont les opérations de calcul seraient basées sur les échanges de positions d’anyons. Rappelons que les opérations de calcul quantique usuelles sont basées sur la manipulations d’états quantiques dont la fragilité constitue pour l’instant un verrou technologique majeur. Elles pourraient bénéficier des travaux publiés aujourd’hui.
À propos de l’équipe de recherche Les travaux publiés aujourd’hui dans Science ont été conduits par une équipe réunissant des physiciens du CNRS, de Sorbonne Université et de l’Ecole normale supérieure-PSL. Cette équipe fait partie du groupe de physique mésoscopique du LPENS. Elle a collaboré pour cette publication avec l’équipe Phynano du C2N de l’Université Paris-Saclay. Pour rappel, les travaux de recherche du groupe de physique mésoscopique portent de manière générale sur : les règles quantiques du transport du courant électrique dans des conducteurs modèles comme les gaz bidimensionnels d’électrons, le graphène, les nanotubes de carbone, les isolants topologiques ou encore les qubits supraconducteurs. Ils bénéficient du soutien financier du Conseil Européen pour la Recherche (ERC Grant), de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) et du réseau Renatech.
À propos du LPENS Le LPENS est une unité mixte de recherche (UMR 8023) de l’ENS et du CNRS. Sorbonne Université et l’Université de Paris sont également tutelles du laboratoire. |
Bibliographie
Fractional statistics in anyon collisions, H. Bartolomei, M. Kumar, R. Bisognin, A. Marguerite, J.M. Berroir, E. Bocquillon, B. Plaçais, A. Cavanna, Q. Dong, U. Gennser, Y. Jin, G. Fève, Science, le 10 avril 2020.