« Les mathématiques enrichissent le degré d’abstraction des poètes et la composition de leurs poèmes. »
À propos de « Poésie et Mathématiques », un nouveau séminaire d’élèves de l’ENS-PSL
Depuis octobre 2023, Léo Buisine et Mathilde Gabory, deux étudiants de l’ENS sont à l’initiative du séminaire « Poésie et Mathématiques», sous la direction du département de Mathématiques et Applications et du département de Littérature et Langages de l’ENS-PSL.
Léo Buisine est élève au département de physique et vient de commencer un Master de physique fondamentale et se spécialise en physique mathématique et fondamentale, plus spécifiquement dans les aspects mathématiques des théories des champs quantiques. Elève au département de littératures et langage, Mathilde Gabory, finit cette année son Master humanité, et se spécialise dans la littérature du 19è siècle avec un mémoire étudiant le silence dans l'œuvre de Balzac.
La genèse du projet
Tout a commencé l'année dernière, lorsque Mathilde a voulu connaître l’avis de Léo sur son poète préféré, Yi Sang, un poète coréen ayant largement recours aux mathématiques dans son œuvre poétique. En découvrant cette œuvre, Léo a « découvert nombre d'utilisations fascinantes des mathématiques dans la poésie, non pas d'utilisations de symboles et de chiffres sans grande compréhension, mais d'une utilisation révélant réellement les mathématiques comme elles sont ». Il reconnaît avoir toujours été un peu sur ses gardes face aux vulgarisations mathématiques et « aux gens invoquant les mathématiques superficiellement », mais ce n'était pas le cas dans cette poésie.
Suite à cette découverte, les deux élèves ont essayé de retrouver cette utilisation des mathématiques chez d'autres poètes, tels que Roubaud, Valéry ou Bonnefoy, notamment grâce à un cours proposé par Dominique Combe, professeur au département Littératures et langage. Dans le même esprit, cette fois dans un cours proposé par Nathalie Koble, également professeure au département, Léo, Mathilde et Laura Goaziou rédigent un écrit sur la poésie de Roubaud comme traduction des mathématiques. « Sur la suggestion de Dominique Combe, nous avons par ailleurs assisté au colloque "Mathématiques à l'œuvre" sur les liens entre mathématiques et littérature ».
Souhaitant prolonger ce travail et ces découvertes, Léo et Mathilde décident de lancer un séminaire à l'ENS sur la poésie et les mathématiques. Afin d'approfondir l'aspect mathématique tout en restant accessible à toutes et à tous, ils font le choix d'avoir plus d'intervenants mathématiciens que littéraires.
Les mathématiques, sources d’inspiration pour les poètes classiques et modernes.
Les liens entre poésie et mathématiques sont multiples, notamment quand on parle de la forme. Comme nous l’explique Mathilde, « le rythme même de la poésie classique, en vers comme en prose, est fondé sur une distribution mathématique des accents, créant ainsi une musique, dont le lien avec les mathématiques a longuement été discuté lui aussi. Leibniz définissant par exemple la musique comme un “exercice caché d’arithmétique tel que l’esprit ignore qu’il compte”, définition qui peut également s’appliquer de près à la poésie, qui serait elle aussi un “exercice caché d’arithmétique”. »
Concernant la poésie moderne, certains poètes doublent le rythme avec une notion mathématique de géométrie et reprennent à leur compte la notion mathématique de géométrie et son application, « c’est le cas d’Apollinaire avec ses calligrammes à Mallarmé avec sa prise en compte de l’espace dans sa poésie ». Et là encore réside le lien entre poésie et mathématique, à travers notamment le « chiffre », en ce que le chiffre est un signe, comme la lettre, et que, comme nous le démontre les organisateurs de ce séminaire, « il peut être employé et interprété d’une autre manière que ce qu’il signifie en premier lieu, rejoignant en cela la potentialité poétique et créatrice des mots qui baigne l’imaginaire, la réflexion et la poésie de poètes du XXe siècle comme Paul Valéry et Yves Bonnefoy. »
Plus encore, les mathématiques apparaissent alors comme un enrichissement de la langue, de la composition des poèmes et même du « degré d’abstraction des poètes » . Dans cette alliance entre littérature et mathématiques, Léo et Mathilde nous citent volontiers les exemples de Perspective à vol de corneille, le poème « Diagnostic 0 : 1 » du recueil « L'Hexaèdre infini architectural », de Yi Sang, « qui emploie explicitement le vocabulaire et l'univers mathématiques ». Et également « Pluralité des Mondes de Lewis » de Jacques Roubaud, où « pour faire le deuil de sa bien-aimée, Roubaud utilise une théorie mathématique proposée par Lewis permettant de décrire une multitude de mondes, et introduisant la notion de contrepartie, qui permet à Roubaud de parler de sa bien-aimée ailleurs que dans un paradis auquel le poète ne croit pas. »