« Les mathématiques ne sont pas qu’un ensemble de règles abstraites, elles sont aussi sujettes à la beauté, à la sensibilité »
Rencontre avec Léo Buisine, auteur du projet « Poèmes Mathématiques »
Le projet « Poèmes Mathématiques » entend rapprocher deux univers qui, à première vue, semblent a priori éloignés : les mathématiques et la poésie. L'initiative, portée par un passionné des deux disciplines, vise à rendre les objets mathématiques abstraits plus accessibles au grand public en les mettant en lumière à travers des poèmes écrits par des spécialistes de ces domaines, mathématiciens, physiciens, informaticiens, ou toute personne plongée dans ce monde conceptuel. Rencontre avec Léo Buisine, porteur du projet et élève en master à l’ENS-PSL.
Ce projet veut répondre à une question concernant le caractère complexe des mathématiques : « Comment rendre l'univers des mathématiques, souvent perçu comme hostile, plus accessible ? ». La réponse proposée ? Offrir des poèmes qui, tout en restant ancrés dans la rigueur des concepts, permettent de mieux appréhender des notions mathématiques autrement difficiles à visualiser. Selon l'auteur du projet, Léo Buisine, « pour comprendre des objets mathématiques abstraits, il faut soit y passer beaucoup de temps et de concentration, soit se contenter d’explications simplifiées, souvent peu satisfaisantes. Mon projet vise à rendre ces objets plus accessibles par la poésie ».
Les mathématiques et la poésie, bien que très différentes dans leurs formes d'expression, partagent plusieurs liens structurels. Les deux disciplines cherchent l'abstraction tout en servant une réalité concrète, celle des nombres pour les mathématiques, et celle du langage pour la poésie. « Chacun cherche à s’abstraire de son milieu tout en lui servant de fondation », explique l’auteur, soulignant cette connivence entre les deux mondes. Les mathématiques peuvent nourrir la poésie en lui apportant des formes nouvelles, comme l’a montré l’Oulipo, ou en offrant des sujets d’écriture originaux à des poètes comme Jacques Roubaud. Inversement, la poésie peut rendre les mathématiques plus accessibles. « La poésie peut apporter une meilleure manière de partager les mathématiques, comme le faisaient les poètes arabes au Moyen Âge, en transformant des concepts abstraits en images et en métaphores » ajoute Léo Buisine.
Un moyen de démocratiser les mathématiques
L’un des objectifs de ce projet est de démocratiser les mathématiques en les rendant accessibles à un large public. La poésie mathématique, tout en ne prétendant pas remplacer une explication scientifique complète, permet de susciter l'intérêt pour des concepts complexes de manière ludique et intuitive. « Lire un poème mathématique ne demande pas beaucoup de temps et offre une première compréhension de l'objet en question » affirme l’auteur. Cependant, il souligne aussi que cette forme de démocratisation reste limitée par la poésie elle-même : « La poésie est démocratique dans la mesure où elle est écrite dans une langue accessible à tous, mais encore faut-il que les gens aient envie de la lire. »
L’année dernière, Léo Buisine avait déjà organiser un séminaire « Mathématiques et poésie, le fond et la forme ». Le public et le succès de ce séminaire, organisé l’année dernière semble confirmer l'intérêt croissant pour cette approche. « Le public était assez diversifié, allant des étudiants fraîchement sortis du bac aux mathématiciens et littéraires en fin de carrière » précise l'auteur. Il note cependant l'absence de participants venant de milieux non-académiques. Cela soulève une autre question : la poésie mathématique peut-elle réellement s’adresser au grand public, ou reste-t-elle cantonnée à un cercle d’initiés ?
Si cet appel à la poésie ne révolutionnera pas la recherche en mathématiques, il pourrait avoir un impact significatif sur l'enseignement de ces dernières. L’idée d’écrire des poèmes mathématiques comme moyen d’apprentissage est déjà expérimentée dans certaines classes de prépa. « Un professeur m'a partagé qu’il avait proposé à ses élèves d'écrire des poèmes sur des concepts mathématiques. Cette démarche aide les étudiants à mieux visualiser les objets qu’ils étudient », explique Léo Buisine. « L’écriture et la lecture de poèmes mathématiques peuvent offrir de nouvelles perspectives sur les objets étudiés. L'écriture force à les visualiser, tandis que la lecture de ces poèmes
peut amener à les comprendre différemment » ajoute-t-il.
Le projet « Poèmes Mathématiques » ne se contente pas d’être une expérience artistique, il ouvre également la voie à une réflexion plus profonde sur la manière d’apprendre et de comprendre les mathématiques. « Les mathématiques ne sont pas qu’un ensemble de règles abstraites, elles sont aussi sujettes à la beauté, à la sensibilité » conclut l’auteur. Si la poésie mathématique ne pourra peut-être pas transformer radicalement la manière dont les théories mathématiques sont enseignées, elle a certainement le potentiel d’élargir l’horizon des possibles en matière de diffusion des sciences, en permettant à chacun de voir les mathématiques sous un jour nouveau, poétique et sensible.