« Les océans jouent un rôle crucial dans le cycle énergétique de la Terre »
Nuit de l’énergie : rencontre avec Sabrina Speich, océanographe au Laboratoire de Météorologie Dynamique et professeure au département de géosciences de l’ENS-PSL
À l’occasion de la Nuit de l’énergie de l’ENS-PSL, qui se tiendra le 20 septembre 2024, nous sommes partis à la rencontre de chercheurs et chercheuses participant à cet événement phare de la rentrée de l’École.
Lors de sa conférence « Changement climatique et énergie : là où l'océan fait la part du géant », l’océanographe Sabrina Speich, dont les travaux portent sur la circulation océanique, interviendra sur le rôle crucial des océans dans le cycle énergétique de la Terre en absorbant, stockant et redistribuant une grande partie de l'énergie thermique provenant du rayonnement solaire et des activités humaines.
Vous participez à la Nuit de l’Énergie de l’ENS, pouvez-vous nous offrir un avant-goût de la conférence
« Changement climatique et énergie: là où l'océan fait la part du géant » que vous y donnerez ?
La conférence proposera de montrer le rôle crucial de l'océan dans la régulation du climat mondial. La capacité de l'océan à absorber une grande partie de la chaleur excédentaire et du dioxyde de carbone (CO₂) générés par les activités humaines, et à stocker de l'énergie et du carbone ralentit le réchauffement de l'atmosphère. Cependant ce phénomène entraîne également des modifications profondes de ses écosystèmes et de sa circulation. Le réchauffement des eaux, l'acidification des océans due à l'absorption du CO₂, et la perturbation des courants océaniques affectent la distribution de l'énergie à l'échelle planétaire, ce qui influence les régimes climatiques et météorologiques.
Le surplus de chaleur absorbé par l'océan a des conséquences profondes sur le cycle énergétique global du système climatique. En absorbant plus de 90 % de l'excès de chaleur généré par les émissions de gaz à effet de serre, l'océan agit comme un régulateur thermique, atténuant temporairement le réchauffement atmosphérique. Cependant, cette chaleur emmagasinée ne reste pas confinée dans les océans : elle est progressivement redistribuée par les courants océaniques et relâchée en partie dans l'atmosphère, influençant ainsi les conditions climatiques à l'échelle mondiale.
Cette redistribution de la chaleur affecte également le cycle énergétique au sens large, en modifiant les gradients de température qui alimentent les vents, les courants marins et les systèmes météorologiques. Par exemple, le réchauffement des surfaces océaniques peut intensifier les cyclones tropicaux en fournissant plus d'énergie aux systèmes orageux. De plus, l'océan influence la circulation atmosphérique et la répartition des précipitations, impactant ainsi les ressources en eau et les écosystèmes terrestres. En résumé, le surplus de chaleur dans l'océan n'affecte pas seulement le cycle de la chaleur, mais perturbe l'ensemble du cycle énergétique du climat, avec des effets en cascade sur l'environnement et les sociétés humaines.
En parallèle, l'océan est aussi une source potentielle d'énergie renouvelable. Les technologies d'exploitation de l'énergie marine, telles que l'énergie des vagues, des marées et des courants, offrent des alternatives propres aux énergies fossiles. Cependant, le développement de ces technologies doit être géré de manière à minimiser les impacts environnementaux et à s'adapter aux changements climatiques en cours, lesquels modifient les dynamiques océaniques et peuvent affecter la viabilité de ces ressources énergétiques.
Comment le sujet de votre conférence s’inscrit-il dans les enjeux contemporains ?
Le lien entre l'océan, le surplus de chaleur et le cycle énergétique du système climatique est au cœur des enjeux contemporains liés au changement climatique. Alors que les impacts du réchauffement climatique deviennent de plus en plus visibles, comprendre le rôle central de l'océan dans la régulation de la chaleur et de l'énergie est essentiel pour prévoir et atténuer ces effets. La capacité de l'océan à absorber la chaleur a temporairement amorti le réchauffement de l'atmosphère, mais cette fonction a ses limites. Le relâchement progressif de cette chaleur pourrait entraîner des phénomènes climatiques extrêmes, tels que des vagues de chaleur marines, des ouragans plus intenses et des modifications des courants océaniques.
Ces dynamiques influencent directement les sociétés humaines, notamment en termes de sécurité alimentaire, de gestion des ressources en eau et de résilience des écosystèmes côtiers. De plus, les enjeux énergétiques liés à la transition vers des sources renouvelables incluent l'océan comme une ressource potentielle, mais cette exploitation doit se faire en tenant compte des changements en cours dans le système climatique. Dans ce contexte, l'étude de ces interactions est cruciale pour orienter les politiques climatiques, énergétiques et de gestion durable des océans, afin de répondre efficacement aux défis globaux du XXIe siècle.
« En participant, le public non seulement s'informe, mais devient également un acteur du changement, capable de soutenir les initiatives nécessaires pour protéger notre planète et nos océans pour les générations futures. »
Selon vous, le climat et les océans sont-ils au centre des questionnements liés au thème de l'énergie ?
Oui, le climat et les océans sont au centre des questionnements liés au thème de l'énergie. Les océans jouent un rôle crucial dans le cycle énergétique de la Terre en absorbant, stockant et redistribuant une grande partie de l'énergie thermique provenant du rayonnement solaire et des activités humaines. Cette fonction régulatrice des océans influence directement le climat, affectant des phénomènes tels que les courants marins, les tempêtes et les régimes de précipitations, qui sont tous liés à la distribution globale de l'énergie.
De plus, dans le contexte de la transition énergétique, les océans offrent un potentiel important pour les énergies renouvelables, comme l'énergie des marées, des vagues et des courants. Cependant, l'exploitation de ces ressources doit être envisagée en tenant compte des changements climatiques en cours, qui peuvent modifier la dynamique océanique et affecter la viabilité de ces énergies. Ainsi, le lien entre climat, océans et énergie est indissociable, faisant de ces domaines des axes centraux de la réflexion pour une gestion durable et résiliente des ressources énergétiques à l'échelle mondiale.
En tant que chercheuse, pourquoi est-il important de participer à cette nuit et également que le grand public vienne y assister ?
Pour une chercheuse ou un chercheur, participer à cet événement grand public est essentiel pour partager les connaissances scientifiques au-delà du cercle académique et contribuer à une meilleure compréhension des enjeux mondiaux, tels que le changement climatique et la gestion des océans. Ces événements permettent de rendre accessibles des recherches complexes, aidant ainsi le public à saisir l'importance des découvertes scientifiques pour leur vie quotidienne et pour la société en général. Cette interaction renforce également la confiance du public dans la science et encourage une prise de conscience collective des défis environnementaux.
Il est tout aussi crucial que le grand public participe à cette Nuit, car son engagement est vital pour la mise en œuvre de solutions durables. Les décisions politiques et les comportements individuels sont souvent influencés par le niveau de compréhension et de sensibilisation du public aux problématiques climatiques.
En participant, le public non seulement s'informe, mais devient également un acteur du changement, capable de soutenir les initiatives nécessaires pour protéger notre planète et nos océans pour les générations futures.
À propos de Sabrina Speich
Sabrina Speich est physicienne spécialisée dans l’étude de la dynamique océanique et son rôle dans le climat global. Professeure des sciences de l'océan, de l'atmosphère et du climat à l'École normale supérieure, elle est également chercheuse au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD) de l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), et doyenne des études au département de Géosciences.
Titulaire d’un master de physique de l’Université de Trieste en Italie, elle a obtenu son doctorat à l’Université Paris VI – Pierre et Marie Curie (aujourd'hui Sorbonne Université), en 1992, sous la direction du Dr Michel Crépon. Sa thèse portait sur l’utilisation de simulations numériques océaniques pour comprendre la circulation de la mer Méditerranée. Après un stage postdoctoral à l'Université de Californie à Los Angeles avec le professeur Michael Ghil, elle est revenue en France pour poursuivre ses recherches.
Reconnue internationalement pour son expertise en modélisation océanique, Sabrina Speich est profondément impliquée dans la mise en place et l'amélioration des systèmes d'observation des océans. Elle a co-présidé plusieurs initiatives scientifiques majeures, dont le panel Clivar Atlantique et aujourd'hui le Ocean Observations Physics and Climate panel (OOPC), sous l’égide des Nations Unies et de l’Organisation Météorologique Mondiale. Ses recherches se concentrent sur la dynamique des océans, les interactions air-mer et leur rôle dans la variabilité et le changement climatique, contribuant ainsi à des avancées significatives dans les sciences du climat. |