Nouvelle chaire interdisciplinaire VULCA : « aider à vivre avec la maladie et non sous la maladie »
Rencontre avec Charlotte Jacquemot, co-coordinatrice de la Chaire
Portée par l’Institut Imagine, l’École des Arts Décoratifs - PSL et l’École normale supérieure - PSL, la nouvelle chaire Vulnérabilités et Capabilités « Vivre avec une maladie génétique » (VULCA) a pour objectif d'améliorer la prise en charge médicale des patientes et patients, enfants et adultes, atteints de maladie rare.
Chaire interdisciplinaire exploratoire de recherche et de formation, VULCA combine médecine, design, sciences exactes, humaines et sociales avec pour objectif de ré-humaniser le soin et de transformer durablement les pratiques médicales.
Charlotte Jacquemot, co-coordinatrice scientifique de la Chaire VULCA, chercheuse et directrice du département d’études cognitives à l’ENS - PSL revient sur les enjeux de cette chaire innovante ainsi que le rôle des équipes de recherche de l’École.
Quels sont les enjeux de la chaire VULCA ?
Charlotte Jacquemot : Mettre l’humain au centre du soin est notre ligne directrice. Nous avons l’ambition de sortir des sentiers battus et d’innover, en proposant une nouvelle vision du soin, non seulement à travers des approches scientifiques originales, mais aussi par des méthodes d’accompagnement pensées pour les patientes et patients, ainsi que pour les équipes soignantes.
Nous allons inventer de nouveaux outils, de nouveaux modes d’action et d’interaction pour aider à vivre avec la maladie et non sous la maladie, pour libérer les patientes et patients de la dépendance tout en respectant leur rythme, leurs désirs et leurs limites et pour améliorer leur vie quotidienne. Dans cette optique, nous associons médecine, design, sciences exactes, et sciences humaines et sociales, et allons créer des ponts entre ces disciplines qui, bien souvent, ne se rencontrent pas.
En tant que co-coordinatrice scientifique de la chaire, quelles sont vos missions ?
Charlotte Jacquemot : Nous sommes trois chercheuses à incarner l’identité de cette chaire, chacune apportant une expertise différente et complémentaire. Lisa Friedlander est professeure de médecine, odontologiste et épidémiologiste, et est spécialisée dans l’étude des parcours de soins et des déterminants de la qualité de vie dans le champ des maladies rares. Sophie Larger est designer et enseignante en design. Elle a développé des projets pédagogiques et de recherche autour des enjeux croisés de design et de santé.
De mon côté, je suis chercheuse en sciences cognitives et spécialisée dans le diagnostic et la rééducation des troubles cognitifs qui apparaissent quand le cerveau dysfonctionne, suite à une lésion par exemple, et dans le développement d’outils cognitifs qui vont permettre d’optimiser les pratiques professionnelles et les conditions de travail des équipes médicales. En combinant nos savoir-faire, nous souhaitons créer une véritable synergie entre nos disciplines respectives afin de ré-humaniser le soin et de transformer durablement les pratiques médicales.
« Notre ambition est de faire bouger les lignes de la prise en charge médicale des maladies rares en rendant poreuses les frontières entre les disciplines »
Il s’agit d’une chaire de recherche interdisciplinaire et interétablissement. Selon vous, en quoi cette interdisciplinarité est-elle essentielle ?
Charlotte Jacquemot : Notre ambition est de faire bouger les lignes de la prise en charge médicale des maladies rares en rendant poreuses les frontières entre les disciplines que sont la médecine, le design et les sciences cognitives et en combinant ces différentes spécialités. Cette interdisciplinarité est rendue possible grâce à la collaboration des trois établissements partenaires : l’École normale supérieure - PSL, l’Institut Imagine et l’École des Arts Décoratifs - PSL qui, bien que différents par la nature des expertises qu’ils abritent et par la diversité des approches méthodologiques et des recherches qui y sont menées, partagent une même vision de la santé, des objectifs et un langage commun. Par ailleurs, parce que les patients et patientes participent activement à leur prise en charge, l’apport de l’expérience des « patients experts et patientes expertes » et des associations de patients viendra enrichir et compléter la construction des projets de la chaire VULCA.
L’objectif de la chaire est d'aider concrètement les personnes atteintes d’une maladie génétique. Sur quelles recherches en particulier les équipes de l’ENS-PSL vont-elles se concentrer, notamment auprès des patients – enfants et adultes ?
Charlotte Jacquemot : Les recherches menées à l’ENS-PSL couvrent divers domaines directement liés aux projets de la chaire VULCA : sciences cognitives, sciences sociales, philosophie, économie, etc. Parce que la chaire VULCA est interdisciplinaire, les projets vont être très variés. Cependant, il y a une constante dans un projet : ce sont les différentes étapes qui le constituent : (i) des chercheurs et chercheuses formulent des hypothèses et des prédictions (ii) qui vont être testées pendant une phase expérimentale, (iii) l’analyse des résultats permet de déterminer si les hypothèses sont confirmées ou non. En fonction de ces résultats, (iv) les pratiques de prise en charge sont adaptées et des recommandations sont faites.
Par exemple, une hospitalisation représente souvent une épreuve pour les enfants et leurs parents. On peut faire l’hypothèse qu’un environnement hospitalier perçu comme négatif impacte défavorablement la prise en charge : non-présentation aux rendez-vous, mauvaise réception des conseils, remise en question des recommandations ou non-adhésion au traitement… Une solution serait d’améliorer l’expérience sensible de l’enfant et de sa famille à l’hôpital, en prédisant que cela aura des répercussions positives sur la prise en charge. Pour mesurer l’effet de cette nouvelle expérience sensible à l’hôpital, les équipes de l’ENS-PSL vont comparer les deux types d’environnement, l’ancien et le nouveau, avec des indicateurs — par exemple, le taux d’annulation des rendez-vous — des données qualitatives comme des questionnaires et des données quantitatives, telles que l’évaluation de l’efficacité du traitement. Si l’effet est positif, ce nouvel environnement sera déployé à une plus grande échelle.
« Cette chaire est l’aboutissement d'un processus de construction d'une véritable communauté avec les équipes des trois établissements. »
Concrètement, comment allez-vous travailler avec les équipes de l’Institut Imagine, l’École des Arts Décoratifs – PSL ?
Charlotte Jacquemot : Cette chaire est l’aboutissement d'un processus de construction d'une véritable communauté avec les équipes des trois établissements, d’interactions fortes et de projets collaboratifs qui se sont mis en place au fil du temps. Ces interactions sont le terreau d'idées novatrices qui sortent des cadres habituels et permettent d’élaborer des projets plus audacieux.
La chaire VULCA formalise une nouvelle étape dans notre travail. Plusieurs projets sont déjà amorcés et vont être soutenus jusqu’à leur finalisation. Ces projets pilotes, très exploratoires, ont permis aux trois communautés de se rencontrer, d’échanger, et de poser les bases de la collaboration qui s’est avérée très fructueuse et qui se concrétise aujourd’hui avec la chaire VULCA. D’autres projets émergent et ont été déposés en réponse à l’appel à projets (AAP) lancé en juin 2024. Chaque projet doit impliquer au moins 2 des 3 établissements partenaires et ils bénéficieront d’un accompagnement à chaque étape, de leur conception à leur mise en œuvre par les équipes des 3 établissements, chacune apportant son expertise.
Hormis les projets qui seront sélectionnés par cet appel, il y a également des projets pilotes, dont un basé sur un dispositif de réalité virtuelle. Pouvez-vous nous en parler ?
Charlotte Jacquemot : Ce projet pilote, déjà initié, est celui du Dr Tamed Cloud. Il s’agit effectivement d’un dispositif de réalité virtuelle, développé par les équipes de l’École des Arts Décoratifs - PSL et de l’Institut Imagine. Il permet d’interagir de manière virtuelle avec un nuage de données, et plus particulièrement d'explorer les données médicales de plusieurs dizaines ou centaines de patientes et patients en même temps : profil génétique, pathologies, risques, etc. Les équipes du département d’études cognitives de l’ENS-PSL ont été sollicitées pour mesurer l’effet de ce dispositif auprès des médecins. Est-ce que le Dr Tamed Cloud facilite l’identification de patients ou de patientes présentant un profil particulier ? Permet-il de générer des hypothèses médicales pertinentes pour améliorer la prise en charge ? Cette étude est en cours et les réponses seront connues dans quelques mois…
« VULCA joue un rôle d’accompagnement scientifique, en veillant à ce que les projets soient menés dans les meilleures conditions et bénéficient pleinement de l’environnement interdisciplinaire qu’elle propose »
Quelles vont être les premières étapes de recherche de cette chaire ?
Charlotte Jacquemot : Une première étape concrète pour cette chaire consiste à sélectionner les projets de recherche qui seront soutenus suite à l’appel à projets lancé. Ces initiatives marquent le véritable lancement de la chaire, bien que des projets pilotes, tels que celui mené sur le Dr Tamed Cloud, soient déjà en cours. Au-delà du financement qu’elle apporte, la chaire joue également un rôle d’accompagnement scientifique, en veillant à ce que les projets soient menés dans les meilleures conditions et bénéficient pleinement de l’environnement interdisciplinaire qu’elle propose. Des programmes de formation et des ateliers thématiques, en résonance avec les projets portés par la chaire, viendront compléter et enrichir ses actions.
À propos de Charlotte Jacquemot
Co-coordinatrice scientifique de la Chaire Vulca, Charlotte Jacquemot (Ph.D, HDR) est chercheuse en sciences cognitives et directrice du département d’études cognitives à l’École normale supérieure - PSL. Sa recherche vise à mieux comprendre et traiter les troubles cognitifs, et allie recherche fondamentale en neurosciences et psycholinguistique et recherche appliquée en neuropsychologie.
Elle a coordonné plusieurs contrats de recherche (Fondation Maladies Rares ; Agence Régionale de Santé ; Université PSL) sur l’amélioration de la prise en charge des troubles cognitifs, notamment dans le cadre de maladies génétiques. Elle est également membre du réseau international « Collaboration of Aphasia Trialists » pour la standardisation des bonnes pratiques sur la prise en charge de l’aphasie.
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