Portrait d'un authentique savant
François Menant aimait profondément enseigner et transmettre
L’École normale supérieure s’associe à la peine de la famille, des amis, des anciens et anciennes collègues et élèves de François Menant, qui nous a quittés le 12 octobre dernier.
Trois anciennes et anciens de l’École, qui furent ses élèves et étaient aussi ses collègues médiévistes, Diane Chamboduc de Saint-Pulgent, Marie Dejoux et Laurent Feller, ont écrit un texte pour lui rendre hommage au sein de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public (SHMESP).
Le président de la SHMESP, M. Dominique Valérian, ainsi que les auteurs du texte, nous ont autorisés à le reprendre à notre tour avant que l’École organise un hommage scientifique à notre ancien collègue, au sein du département d’histoire, au printemps 2023.
François Menant est né le 19 septembre 1948 et s’il n’a jamais caché sa passion pour le rugby, il est, en revanche, toujours resté discret sur son brillant parcours, lui qui, après une khâgne à Louis-le-Grand, avait intégré l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1968, où il obtint l’agrégation d’histoire.
Ancien membre de l’École française de Rome, il soutint en 1988, sous la direction de Pierre Toubert, une thèse d’État qui devint en 1992 un livre de référence, ses fameuses Campagnes lombardes du Moyen Âge, tome n°281 de la prestigieuse BEFAR. Chargé, puis directeur de recherche au CNRS au sein du CIHAM, qui fut son laboratoire jusqu’en 2010, il revint comme professeur à l’ENS Ulm pendant 20 ans, de 1997 à 2017, où il occupa également plusieurs années la charge de directeur du département d’histoire. Il accéda à l’éméritat en 2017.
Professer rue d’Ulm, c’est accepter la lourde charge de préparer chaque année le cours d’agrégation, ce qu’il a accompli avec un dévouement remarquable, mais aussi un plaisir communicatif. Car François Menant aimait profondément enseigner et transmettre. Ses anciens élèves se rappellent sa capacité hors norme à synthétiser et à rendre clair pour eux, dans ses séminaires et ses cours d’agrégation, les grandes évolutions historiographiques sur des thèmes qui, le plus souvent, avaient fort peu de choses à voir avec ses aires de prédilection. Sans pédanterie jamais, mais avec, au contraire, une bonhomie toujours un brin ironique vis-à-vis de lui-même.
Bien des vocations de médiévistes ont été suscitées par cet enseignant chaleureux, attentif et modeste, qui se refusa toujours à diriger des thèses, estimant que faire école n’était pas la fonction d’un professeur à l’ENS. C’est par le biais de son séminaire hebdomadaire, notamment le dernier consacré aux milieux populaires médiévaux, qu’il a préféré rassembler autour de lui de jeunes chercheurs et transmettre ainsi sa passion de l’histoire économique et sociale. Reposant sur une recherche bibliographique exhaustive et une connaissance intime des sources qu’il mobilisait, ses séminaires furent un modèle.
Si François Menant a été un grand professeur, il a aussi été un chercheur remarquable dont la contribution à une histoire sociale, qui ne ferait pas fi de l’histoire économique, est considérable. Outre sa thèse, il a publié deux ouvrages importants, l’un sur la Lombardie féodale, l’autre qui est devenu un classique, même pour les Italiens, sur l’Italie communale. Son apport à l’histoire du Moyen Âge réside aussi dans les recherches collectives qu’il a dirigées ou auxquelles il a participé. On citera, sans avoir l’ambition d’être exhaustif, les programmes menés à l’EFR dans les années 90 sur les podestats et la genèse de l’anthroponymie moderne, plus tard, le programme sur le crédit et l’endettement urbain et rural et celui sur la conjoncture de 1300, qui a totalement renouvelé l’approche française de la crise de la fin du Moyen-Âge et des famines médiévales. Il a aussi été l’un des piliers de la réflexion collective menée au début des années 2000 sur le prélèvement seigneurial et réfléchi, dans le cadre d’un mémorable Flaran, à ce que sont les élites rurales au Moyen-Âge. Au carrefour de la pragmatische Schriftlichkeit et de l’ethnographie, il a contribué à forger, toujours en équipe, un concept qui fut rapidement adopté par l’ensemble des médiévistes, celui de « rationalités pratiques ».
François Menant était un authentique savant, doté d’un sens de l’humour parfois ravageur mais parfois aussi chahuteur. C’était aussi un homme courtois, d’une profonde gentillesse et d’une constante attention à autrui. Nous ne l’oublierons pas.