« Un principe d’accueil inconditionnel régit notre engagement et nos actions »
Focus sur MigrENS
L’association MigrENS œuvre depuis sept ans pour permettre aux étudiants et étudiantes ayant été contraints d’interrompre leurs études pour prendre les routes de l’exil de les reprendre en France. Une bénévole et une enseignante nous parlent de cette association.
Il y avait du monde ce jeudi soir 14 avril à la cantine de l’ENS. L’association MigrENS y organisait, comme chaque mois, un repas solidaire. Cette fois-ci, les bénévoles, étudiants et étudiantes avaient préparé ensemble des spécialités ukrainiennes. Les gains collectés grâce à la participation libre des invités ont été intégralement reversés au Collectif RESOME (Réseau Études Supérieures et Orientation des Migrant.e.s et des Exilé.e.s), qui participe activement à l'accueil des victimes de la guerre en Ukraine dans l'enseignement supérieur. « Le Covid-19 avait mis fin, pendant deux ans, à cette tradition de l’association à laquelle nous tenons beaucoup, raconte Lola Corazza, étudiante en 4ᵉ année en littérature et langage et en service civique, jusqu’à juin 2022, au sein de MigrENS. Ce sont des moments très importants dans la vie de l’association, où on perçoit la continuité entre les anciens, anciennes et les nouveaux, nouvelles bénévoles et étudiant.e.s invité.e.s. » Depuis 2015, MigrENS, créée par un groupe de normaliennes et normaliens, propose un programme d’accueil à destination d’étudiants et d’étudiantes en exil pour qu’elles et ils puissent reprendre leurs études supérieures en France, avec toujours « un principe d'accueil inconditionnel qui régit notre engagement et nos actions », complète Lola Corozza. À l’origine de l’association ? Des normaliennes et normaliens qui s’étaient retrouvés, suite à l'évacuation policière du camp de migrants et migrantes de La Chapelle, et à la création du collectif "La Chapelle debout", à l’extérieur de l’ENS, pour donner des cours de français langue étrangère (FLE). Pour faire bénéficier les étudiantes et étudiants étrangers de l’infrastructure de l’École (accès à un repas gratuit, aux salles de cours, aux bibliothèques, etc.), l’association MigrENS a créé le Programme Étudiant.e Invité.e (PEI). À partir de là et chaque année, une centaine de bénévoles accompagne une quarantaine d’élèves, âgés de vingt à quarante-cinq ans et de toutes les nationalités : soudanaise, syrienne, tibétaine, russe, afghane, etc.
Un amour partagé du savoir
« L’objectif, c’est le DELF, explique Hélène Boisson (Lettres, 1996), enseignante de FLE à l’ENS-PSL, qui anime au second semestre un cours « La société française en films » pour les étudiantes et étudiants invités, et bénévole pour MigrENS. Il s’agit du Diplôme d'études en langue française valable à vie. Il est nécessaire pour reprendre des études à un niveau universitaire. Il faut absolument avoir un niveau B2 pour la licence et même C1 (le DALF), pour le Master. » Grâce à l’aide précieuse d’une vingtaine de professeurs bénévoles, les élèves du programme reçoivent chaque jour deux heures obligatoires de cours de FLE, du lundi au vendredi. « Cette régularité est indispensable pour pouvoir progresser. Au-delà de la langue, nous essayons de leur donner un aperçu de la culture », raconte Hélène, qui forme également les professeurs de FLE à ces cours un peu particuliers où les normaliennes et normaliens sont généralement beaucoup plus jeunes que leurs élèves. « Je leur dis tout le temps : n'oubliez pas de leur apporter quelque chose. Expliquez-leur des choses sur votre vie, sur votre langue, partagez des musiques ou des films que vous aimez avec eux, etc. C’est plus qu’un cours, c’est un échange qui doit être le plus riche possible. Il faut par ailleurs veiller, en tant que professeure, à ne pas poser des questions trop intimes. On ne sait pas par quoi sont passés nos élèves. Il y a parfois un moment où un évènement du passé va surgir pendant la classe et c’est souvent l’occasion pour nous de partager toutes et tous ensemble. De toute façon, nous avons toujours quelque chose de commun avec elles et eux : l'amour du savoir, le respect des livres et des études. »
« C’est plus qu’un cours, c’est un échange qui doit être le plus riche possible ! »
Relancer l’appel aux dons
En parallèle, MigrENS propose deux types d’accompagnement individuel pour les étudiantes et étudiants invités : un accompagnement linguistique avec un ou une normalien ou normalienne faisant office de professeur particulier (tandem) et un accompagnement administratif avec un ou une binôme. « C’est un public d’étudiants et d’étudiantes absolument génial, s’enthousiasme Hélène Boisson. Ils sont la motivation à l'état pur. Ils n’ont pas de temps à perdre, ayant traversé des choses tellement horribles. Une fois qu'ils sont assis en salle de cours et qu'ils ont un stylo, un cahier et un prof, ils rentabilisent chaque seconde. » Des moments conviviaux et des activités culturelles viennent renforcer ce lien. Cette année par exemple, l’écrivaine Marie Darrieussecq (Lettre, 1990) a animé des ateliers d’écriture et de chant. L’ensemble de ces projets sont financés par des subventions (du SPF et de PSL notamment) et des donations privées. « Chaque année, nous relançons les recherches de financements. C’est un combat continu, qui nous demande beaucoup d’énergie, que nous pourrions mettre dans d’autres projets si nous avions plus de stabilité financière », raconte Lola Corazza.
La nécessité d’un Diplôme Universitaire
Après ces deux ans, sur la quarantaine d’élèves par promotion, seulement une minorité va s’inscrire à l’université ; celles et ceux souvent qui auparavant étaient le plus proche des hautes études. Pour la plupart des autres étudiants ou étudiantes, le chemin va être beaucoup plus long. « Les problèmes sociaux sont tellement importants : trouver un logement, se nourrir, obtenir un travail, etc. L’administration est absolument kafkaïenne et le droit s’est rigidifié ces dernières années. Je connais des personnes qui attendent depuis cinq ans pour avoir un logement social, indique Lola Corazza. La reprise d’étude a lieu parfois des années plus tard lorsqu’une certaine forme de stabilité a été trouvée. » Hélène Boisson complète : « Le but est de les aider dans leur avenir professionnel, de leur donner des armes pour qu’elles et ils ne soient pas exploités au travail. » Depuis plusieurs années, MigrENS milite également pour que cette formation soit transformée en Diplôme Universitaire (D.U), ce qui donnerait aux élèves le statut d’étudiants et d’étudiantes et leur permettrait d’obtenir des bourses, d’accéder aux CROUS, etc. « Le D.U existe dans d’autres établissements universitaires. C’est une avancée capitale qui renforcerait la place qu’ont déjà, de fait, ces étudiants et étudiantes dans l’enseignement supérieur », conclut Lola Corazza.