Art du visage et visages artificiels

Les avatars du masque à l’ère numérique

Ce séminaire se propose d’étudier ce qui semble émerger, à l’ère numérique, comme un nouvel art du visage. Des visages modélisés et animés par ordinateur aux deepfakes générés par l’intelligence artificielle, en passant par l’éventail des possibilités offertes par les logiciels de retouche d’images, ces nouvelles pratiques utilisent toutes les ressources de l’informatique pour redessiner les contours de la figure humaine et redéfinir ainsi notre rapport à soi-même et à autrui. Bien qu’ils paraissent annoncer la disparition de la chair sous l’opacité du pixel numérique, ces visages artificiels s’inscrivent dans la longue histoire des pratiques du visage, du masque au maquillage, par lesquelles l’homme fait de sa propre figure un artefact qu’il appareille et mobilise dans la production de son identité.
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Que projette-t-on de soi-même dans un avatar numérique ? Pourquoi retouche-t-on son visage à grand renfort de filtres Snapchat ? Comment le visage s’hybride-t-il avec la matière numérique ? Peut-on exprimer l’essence de la figure humaine à travers des images générées par ordinateur ? Loin de rompre avec les pratiques traditionnelles du visage, les pratiques du numérique ravivent d’anciennes préoccupations éthiques et esthétiques relatives à la mimesis. S’il est vrai que les visages artificiels visent le plus souvent au photoréalisme, ils peuvent également « étaler avec une espèce de candeur » l’artificialité de leur propre médium. Il s’agit alors d’interroger la nature de ce médium et de la matière, précisément immatérielle, qu’il met en jeu, une matière que l’on manipule quotidiennement sans toutefois être en contact direct avec elle. Entre rupture et continuité, nous essaierons de comprendre cette nouvelle fabrique du visage à l’ère numérique au regard des anciens régimes de figuration, selon une approche pluridisciplinaire ancrée dans l’anthropologie visuelle et la sémiologie visuelle.

Programme des séances

 

Art et cyberfaces : des visages générés par ordinateur dans l’art contemporain

Dans l’épilogue d’un remarquable ouvrage consacré au visage, au portrait et au masque, Faces : une histoire du visage (2017), Hans Belting s’interroge sur la nature et la place des cyberfaces, ces visages générés par ordinateur, dans l’histoire des arts : « En tant qu’image, un visage numérique relève du paradoxe parce que tout en relayant le vieux devoir de la figuration, il perd toute référence à un visage réel. Les cyberfaces entrent dans l’histoire du portrait, lourdes de cette contradiction fondamentale. » Cette séance sera l’occasion d’une réflexion générale sur les problèmes que posent les visages numériques pour l’histoire et la théorie des arts. Les cyberfaces sont-elles en rupture ou en continuité avec la tradition du portrait peint et sculpté ? Peut-on envisager un portrait sans modèle ? Le visage, siège de l’identité et de la singularité de l’individu, peut-il être reproduit par une machine ? L’ordinateur est-il capable d’exprimer l’essence cachée du visage ? Les portraits virtuels peuvent-ils susciter une authentique émotion esthétique ?

Le 11 avril 2023, présenté par Miguel Almiron (professeur à l’université Panthéon-Sorbonne – Paris 1).

 

Des prothèses aux CGI : les nouveaux masques du comédien de cinéma

Au cinéma, le visage est souvent apparu comme une matière à transformer et à déformer. Maquilleurs, prothésistes et truqueurs parviennent à faire sortir de la figure humaine toute une galerie de créatures fantastiques, du monstre de Frankenstein (1931) au loup-garou de The Wolfman (2010). Cependant, ces effets spéciaux traditionnels sont, depuis le début des années 2000, de plus en plus concurrencés par les effets spéciaux numériques. Qu’il s’agisse de métamorphoses totales, comme celle de Ray Winstone remplacé par son alter ego virtuel dans Beowulf (2007), ou d’ajustements plus subtils, comme le lifting numérique de Robert De Niro dans The Irishman (2019), les cinéastes composent désormais avec les images de synthèse pour transformer — voire remplacer — le visage de leurs comédiens et donner forme à leurs personnages. Lon Chaney, dont les talents de maquilleur lui ont valu le surnom d’« homme aux mille visages », laisse la place à Andy Serkis, capable d’animer une infinité de personnages virtuels en performance capture. Est-ce à dire que les images de synthèse préfigurent un cinéma dépourvu du visage d’acteurs réels ? Entérinent-elles la « défaite » du visage au cinéma, la « dé-visagéification » de l’homme, dont Jacques Aumont remonte les origines aux films des années 1970 et 1980 ?

Le 13 juin de 18h à 19h30 en salle "Séminaire DEC" au 29 rue d'Ulm., présenté par Réjane Hamus-Vallée (professeure à l’université d’Évry – Paris-Saclay).

 

Pour un usage éthique du deepfake : Bienvenue en Tchétchénie de David France (2020)

La « panique morale » suscitée par la prolifération massive des deepfakes sur Internet en 2016 montre bien que le visage fait encore partie de nos préoccupations morales et politiques les plus saillantes. Le deepfake est une technologie de synthèse multimédia qui repose sur l’intelligence artificielle pour détourner le visage et la voix d’une personne, afin de créer des canulars ou des fake news. Bien que le deepfake soit principalement utilisé à des fins malveillantes, il est également possible d’en imaginer une utilisation vertueuse et militante. C’est du moins le pari de David France, réalisateur de Bienvenue en Tchétchénie (2020), un documentaire sur la persécution des homosexuels tchétchènes à la fin des années 2010. Le film doit répondre à un problème à la fois éthique et esthétique : comment préserver l’anonymat d’un témoin sans attenter à son intégrité ? Au lieu de filmer les témoins dans la pénombre ou de les flouter au montage — lieux communs du reportage —, le cinéaste a fait le choix d’échanger leur image avec celle de militants LGBT américains volontaires pour « prêter » leur visage, grâce à la technologie deepfake. Dans cette séance, nous nous interrogerons sur ces usages alternatifs du deepfake et sur leur portée éthique et esthétique.

Le 9 mai 2023, présenté par Martin Goutte (maître de conférence à l’université Sorbonne-Nouvelle – Paris 3).

 

Les Playmobil ont-ils un visage ? Plastique et plasticité du jouet d’enfant

Le monde du jouet n’échappe pas non plus à l’impact du numérique. Alors que les jouets anciens présentent une expression du visage fixe, on observe aujourd’hui la tendance inverse : le jouet doit être expressif, souriant, avenant. S’il est certain que les techniques numériques ont joué un rôle considérable dans notre capacité à reproduire les émotions de manière standardisée, nous interrogerons ici la raison de ce changement de représentation. Est-ce par souci de réalisme ? Est-on devenu réticent à voir un visage à l’expression neutre au milieu de cette avalanche d’images expressives ? Notre rapport ludique trouve-t-il dans l’émotion une autre voie d’accès ? Si le siècle qui s’achève a inventé l’homme sensible, celui qui est à l’affût de ses affects, de ses sentiments et de ses passions, il n’y a guère plus que Playmobil pour proposer encore un visage fixe, à l’expression figée. Le plaisir du joueur passe dorénavant par l’appréhension d’émotions d’un nouveau style : l’émotion lisse et artificielle. Il s’agira de voir en quoi, sous l’influence du numérique, le rapport sensoriel au jouet s’est commué en un rapport dématérialisé à visée émotionnelle, avec ses propres règles.

Le 16 mai 2023, présenté par Anne Monier (conservatrice au Musée des arts décoratifs de Paris) et par Domitille Pierret (ancienne élève au département Philosophie de l'École normale supérieure).

 

Les filtres numériques : un renouveau du masque comique ? Les « caractères » de Lison Daniel sur Instragram

À l’origine conçus comme un gadget ludique et récréatif, les filtres déformants de Snapchat et d’Instagram sont désormais régulièrement utilisés par certains comédiens de la Toile. À travers de courtes pastilles satiriques qui s’ingénient à railler la trivialité de notre quotidien, ces nouveaux humoristes utilisent les filtres numériques comme on utilisait autrefois des postiches burlesques ou des masques comiques. Déformant leur visage et altérant leur voix pour laisser naître un nouveau personnage, le filtre numérique n’est peut-être au fond pas si différent des figures masquées de la commedia dell’arte ou des caricatures grimées du cabaret. Si la jubilation du spectateur est sûrement semblable à l’hilarité du « scrolleur », qu’en est-il de l’interprète qui s’en empare ? Comment jouer masqué sans la matérialité du masque ? Si le jeu masqué a toujours été associé à une technique très rigoureuse, comment les comédiens de la Toile parviennent-ils à s’emparer de ces nouveaux artifices scéniques dématérialisés ?

Le 22 mai 2023, en présence de Lison Daniel (comédienne, humoriste, scénariste, autrice et créatrice du compte Instagram @les.caracteres). Attention, cette séance se tiendra en salle Beckett

 

Intelligences artificielles dans les arts visuels contemporains, une histoire des émotions

Les modèles de langage et les générateurs d'images affolent la presse et les réseaux sociaux : serait-ce la fin de l'art et de la littérature ? Ces interrogations semblent lourdes de peurs et de fantasmes, révélant la charge émotionnelle drainée par le développement de nouvelles technologies. Nous nous intéressons ici aux émotions générées par le développement de l'intelligence artificielle dans l'art contemporain des 20 dernières années. Tantôt en tant que sujet, tantôt en tant qu'outil, l'IA est l'occasion d'étudier la place de l'expression émotionnelle dans les arts visuels. À travers le prisme de visage, nous observerons les émotions collectives au sujet de l'intelligence artificielle. Puis nous verrons comment celle-ci façonne les relations humaines avant de nous intéresser aux artifices qui miment la sensibilité humaine.

Le 23 mai 2023, présentée par Carla Marand (doctorante en histoire de l'art au Centre d'Histoire de Sciences Po).

 

« Créer son perso » : les interfaces de création d’avatars dans les jeux vidéos et les mondes numériques

Depuis plusieurs années, la création de personnages virtuels est au cœur des expériences interactives du numérique. Du premier monde virtuel de Second Life, créé en 2003, au « métaverse » plus récent de Mark Zuckerberg, de nombreuses plateformes permettent aujourd’hui à l’utilisateur de concevoir un avatar virtuel, reflet de son identité numérique. Autant d’interfaces qui font du visage un objet malléable, une matière que l’on forge et que l’on sculpte pour y laisser son empreinte individuelle. Aujourd’hui, rares sont les jeux vidéos qui ne proposent pas à leurs joueurs des outils de personnalisation pour faire de leur personnage un double d’eux-mêmes. À l’inverse de personnages vidéoludiques à l’identité déjà bien définie, comme Mario ou Lara Croft, certains jeux vidéos offrent au joueur la possibilité de façonner son propre avatar numérique, condition sine qua non de l’expérience d’immersion. Mais que projette-t-on vraiment dans ces avatars ? Sont-ils nos alter ego ou bien des persona fantasmés ? Nous aborderons cette tension à l’œuvre dans la création d’avatars, toujours polarisée entre représentation fidèle et transfiguration ludique de soi-même.

Le 30 mai 2023, présenté par Vincent Berry (maître de conférence à l’université Sorbonne Paris Nord).

 

Le visage et le maquillage de la drag queen à l’épreuve des réseaux sociaux et des médias numériques

Depuis le succès fulgurant de RuPaul’s Drag Race et de ses déclinaisons mondiales, les artistes drag, autrefois cantonné·e·s au monde de la nuit, courent désormais les plateaux TV, foulent les podiums de la Fashion Week, se produisent à guichet fermé dans des tournées mondiales, quand elles ne sont pas les égéries d’importantes campagnes publicitaires. Mais c’est surtout à travers les réseaux sociaux que les drag ont étendu leur influence. Instagram est devenu l’une de leurs nouvelles scènes : se maquillant naguère pour être vu·e·s jusque dans le fond de la salle de spectacle, les drag se griment aujourd’hui pour des selfies et autres shootings en plan rapproché, s’appropriant ainsi les techniques médiatiques des influenceurs et influenceuses. Le visage grimé des drag change de forme avec ce changement de focale. Il s’est commué en un artefact qui se contemple comme tel. Les coutumières techniques de maquillage se voient dès lors enrichies par les nouvelles possibilités qu’offre le numérique (Photoshop, Facetune, FaceApp). Si l’artificialité du fard avouait en creux l’artificialité du genre, que peut bien raconter la virtualité des nouveaux grimages du drag ?

Le 7 juin 2023, présenté par William Ravon (étudiant au département Arts de l’École normale supérieure).

 

Programme de la séance  à venir

Séance  présentée par monsieur Roman Hossein Khonsari (Chirurgien et Professeur des Universités dans le service maxillo-faciale et chirurgie plastique de l'Hôpital Necker) et monsieur Quentin Hennocq (Interne en chirurgie maxillo-faciale à l'Hôpital Pitié Salpêtrière et doctorant à l'Institut Imagine).

Le 20 juin 2023 de 18h à 19h30 en salle "Séminaire DEC",  29 rue d'Ulm.

Mis à jour le 1/6/2023