Le Rojava démocratique et le Droit
7e Journée de droit international de l'ENS et de l'Université Paris Cité
Le Rojava est cette région du nord de la Syrie essentiellement contrôlée par les Kurdes depuis leur victoire sur Daesh en 2014. Il ne revendique pas le titre d’Etat mais celui de confédération démocratique et n’a pas adopté une constitution mais un contrat social. A rebours de ses voisins syrien, irakien et turc, il se veut démocratique (auto-organisation des unités de base, représentation de toutes les minorités ethniques, religieuses et linguistiques), égalitaire (parité homme-femme à tous les niveaux de la prise de décision) et écologique (gestion des ressources).
Cette réalisation politique atypique pose de nombreuses questions des points de vue du Droit international et du Droit constitutionnel : quel statut juridique international lui est attribué ou reconnu ? Quelles règles encadrent ses relations avec les Etats et les organisations internationales ? Quelles sont ses obligations juridiques du point de vue international ? Par ailleurs, le contrat social est-il assimilable à une constitution ? Comment qualifier son régime juridique ? Quel type de Démocratie cherche-t-il à réaliser et met-il effectivement en oeuvre ? Quel est l’avenir de cette région et du modèle qu’elle propose aujourd’hui, au regard des évolutions politiques en Turquie ou en Iran ?
Autant de questions qui seront abordées lors de cette journée avec de nombreux intervenants juristes mais également philosophes, politistes ou ethnologues.
Depuis la fin de l’année 2013, au nord de la Syrie dans la région du Rojava, a lieu une expérience politique extrêmement singulière. Au carrefour d’espaces contrôlés par trois États autoritaires ou dictatoriaux, la Turquie, l’Irak et la Syrie, certaines formations politiques kurdes et d’autres origines essaient de mettre en place une auto-organisation communautaire et volontaire appelée Administration autonome de la Syrie du nord et de l’est (AANES selon le sigle anglais).
Cette expérience, résolument distincte du modèle étatique, est dénommée « Fédération démocratique de la Syrie du Nord et de l’Est », et inspirée par le « confédéralisme démocratique ». Outre la prise en main de leur propre défense par des combattantes et les combattants kurdes (YPG-YPJ), ce que tentent d’accomplir les révolutionnaires du Rojava est inédit : rassembler, par un « contrat social », des populations variées (kurdes,arabes, assyriennes, chaldéennes, arméniennes, turkmènes, tcherkesses et tchétchènes) et de confessions différentes (musulmane, chrétienne et yézidie) qui luttaient et s’organisaient jusqu’alors sur un modèle essentiellement identitaire ; assurer la parité homme-femme à tous les niveaux de la prise de décision politique ; exploiter les ressources naturelles et organiser la vie économique suivant des critères écologiques ; surtout, permettre par le fédéralisme à l’ensemble des habitants, femmes et hommes, des minorités ethniques et religieuses ainsi que des collectivités locales s’auto-identifiant comme telles, de décider de leur avenir sur un pied d’égalité.
L’opinion occidentale a surtout pris connaissance de l’existence du Rojava en 2014, lors de la bataille de Kobané, au cours de laquelle les YPG et les YPJ ont réussi ce que les États de la région n’avaient pas réussi : infliger, avec l’aide des bombardements américains, une défaite militaire et politique à Daech. Aujourd’hui, alors qu’ils ont contribué à la chute de Daech, les peuples du Rojava poursuivent, avec le Parti de l’union démocratique (PYD), leur expérience émancipatrice malgré l’hostilité des États de la région, la menace d’une invasion turque et l’indifférence de l’Occident.
Le juriste de son côté, ne peut manquer d’être frappé par cet objet inclassable.
Du point de vue du Droit international, quelles règles sont concrètement appliquées au Rojava par les États et les organisations internationales ? Comment convient-il de le qualifier sachant qu’il revendique le fait de ne pas être un État, tout en ayant manifestement certains de ses attributs ? Si la qualification coutumière d’État doit lui être refusée,
dans quelle catégorie tombe-t-il en tant qu’organisation politique ? Les peuples du Rojava peuvent-ils par ailleurs se prévaloir utilement du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Quels enseignements tirer de la façon dont le Rojava s’est imposé comme sujet à l’agenda d’organisations internationales comme l’Organisation des Nations unies, le Conseil de l’Europe ou l’Union européenne ? Comme interlocuteur avec ses voisins ? Dans sa coopération avec des États européens, par exemple en ce qui concerne la détention au Rojava de ressortissants européens
membres de Daech ?
Du point de vue du Droit constitutionnel, peut-on qualifier le « contrat social » de constitution ? Quels sont les traits principaux du régime qu’il institue ? Est-il démocratique et à quel idéal démocratique répond-t-il exactement ? Existe-t-il d’autres régimes instaurant une parité aussi systématique ? Quelles déclinaisons institutionnelles sont
trouvées, dans le « contrat social » et en pratique, à l’insistance du régime sur la place des femmes ou des jeunes dans la représentation et
la prise de décision ? Comment catégoriser le type de décentralisation que le régime essaie d’instaurer, et celle qui s’est effectivement imposée ? Plus largement, quels décalages constate-t-on entre un texte forcément performatif, et une réalité de terrain inévitablement plus complexe ? Enfin, la place que ce régime fait aux religions, ethnies et tribus minoritaires dans son organisation politique est-elle susceptible d’inspirer d’autres constitutions de la région ?
Pour les juristes soucieux de comprendre leur époque, il est nécessaire, urgent et inspirant de porter un regard juridique sur le Rojava.
PROGRAMME
9h – Ouverture – Nathalie Clarenc-Bicudo et Florian Couveinhes Matsumoto
9h10 – Présentation générale du Rojava démocratique et de son contexte
- La question kurde de sa naissance à la Fédération démocratique de Syrie du nord (Rojava) – Boris James, École de hautes études en sciences sociales (EHESS)
9h30 – Table ronde n°1 : le Rojava du point de vue international
L’application du droit international au Rojava
- Le Rojava est-il un État du point de vue du Droit international ? – Nicolas Haupais, Université d’Orléans
- Droit des peuples du Rojava à disposer d’eux-mêmes et droits des minorités – Anne Lagerwall, Université Libre de Bruxelles
- L’application du Droit de la paix et de la sécurité au Rojava – Stefano Marinelli, Agency for Peacebuilding
- L’application du Droit humanitaire et du Droit international pénal au Rojava – Muriel Ubéda-Saillard, Université de Lille
11h30/ 11h – Pause
Les relations internationales du Rojava
- Le Rojava et la France – Khaled Issa, représentant de l'Administration autonome du Nord et de l'Est de la Syrie (AANES) en France
- Le Rojava et les organisations internationales (y compris l’Union européenne) – Despina Sinou, Université Sorbonne-Paris Nord
11h45/ 12h15 – Débat
12h15/ 14h – Pause déjeuner
14h – Table ronde n°2 : le Rojava du point de vue du droit constitutionnel
Le « contrat social » du Rojava : une constitution ?
- Le Rojava a-t-il une constitution ? – Jean-François Kerléo, Université d’Aix-Marseille
- L’usage de la notion de contrat social dans le cadre du Rojava – Florent Guénard, Université Paris Est-Créteil
14h30/ 15h – Débat
Le Droit constitutionnel du Rojava
- Les principes et valeurs du contrat social du Rojava – Laurent Fonbaustier, Université Paris-Saclay et Hüseyin Üngür, Université Paris Est-Créteil
- Le système institutionnel du Rojava – Pierre Bance, docteur d’État en droit, ancien directeur des Éditions Droit et Société
- Federalism, Confederalism and Decentralization in Rojava’s social contract – Eva Maria Belser, Université de Fribourg
- Le « système de justice » dans le contrat social du Rojava et le système de cours anti-terroristes – René Provost, Université de McGill
- Les femmes et la jeunesse dans le contrat social du Rojava et sur le terrain – Imad Khillo, Sciences Po Grenoble
- La gestion des ressources au Rojava : la théorie et la pratique – Nathalie Clarenc-Bicudo, Université Paris Cité & Gulistan Sido, Inalco (sous réserve)
16h30/ 17h – Débat
17h – Conclusions – Noé Wagener, Université Paris-Est Créteil
Mis à jour le 25/4/2023