« C’est à la société de décider démocratiquement quel futur est désirable et à la science ensuite d'éclairer les chemins réalisables »
Diplômé de l’ENS-PSL en 2023, Adrien Fauste-Gay est aujourd’hui en première année de thèse. Il partage ses recherches entre le Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (CIRED) à Nogent-sur-Marne et l’Institut des Sciences de la Terre (ISTerre) de Grenoble, où il étudie la résilience des systèmes agricoles.
En parallèle de son doctorat, le normalien est conseiller de recherche au sein du Shift Project, un think tank ambitieux dédié à la décarbonation de l’économie française. Très préoccupé par les enjeux climatiques et écologiques actuels, Adrien a à cœur d'exercer un métier qui lui permette de tracer des voies alternatives vers de nouvelles solutions.
En première année de thèse, Adrien Fauste-Gay souhaite se diriger vers une carrière mêlant à la fois les sciences et la politique. Car pour cet ancien normalien au département de physique, l’un ne va pas sans l’autre pour relever les grands défis environnementaux et sociétaux actuels.
Une histoire de transmission
Adrien nait à Fontainebleau, puis grandit en Guadeloupe et à Nice, où il effectue trois ans de classes préparatoires au lycée Masséna : une première année en physique, chimie et sciences de l'ingénieur (PCSI) et deux ans en physique-chimie (PC). Un chemin vers les sciences tracé en partie grâce à ses grands-parents paternels : « tous deux scientifiques, ma grand-mère était chimiste dans les laboratoires du Louvre et mon grand-père astrophysicien », explique-t-il. « Enfant, ils m'ont transmis la curiosité scientifique avec des jeux, des expériences culinaires, l’observation des étoiles et des émissions comme C'est pas sorcier », ajoute Adrien. « Je travaille dans un domaine assez différent des leurs, mais je leur serai toujours reconnaissant. »
L’étudiant intègre le département de physique de l’ENS-PSL en 2019, cette fois-ci encouragé par son professeur de physique, qui lui transmet sa passion. « J’ai eu le choix entre Centrale et l’École normale », indique-t-il. « J’ai hésité tout l'été, mais ma curiosité pour cet établissement pas comme les autres et la volonté de bénéficier d'une formation pointue en physique l'ont finalement emporté », justifie-t-il. « J'ai aussi eu la chance de faire ma dernière année en prépa avec Sara, une amie qui a intégré le même département de l'ENS en même temps que moi. » Bien entouré par ses parents lors de sa préparation au concours, le normalien a fourni beaucoup de travail individuel. « Mais cela demande aussi une certaine soif de connaissances et un regard curieux sur tout ce qui nous entoure et qu’il ne faut surtout pas perdre », tient-il à nuancer.
Plus qu'une école
Entre 2020 et 2021, Adrien prend un an de césure entre sa première et deuxième année de master, pour mûrir ses projets et s’ouvrir à de nouveaux horizons. Il effectue un service civique à la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris. Sur le terrain, tout est nouveau pour l’étudiant. Il y apprend la gestion des situations d’urgence et les gestes qui sauvent.
« Des années particulièrement heureuses et très formatrices, aussi bien sur le plan intellectuel qu’humain. »
À son retour à l’ENS-PSL, il poursuit en Master 2 de biophysique, complété par un stage à l’Institut international pour l'analyse des systèmes appliqués (IIASA), sur la résilience des chaînes d’approvisionnement. « Il s’agissait surtout de répondre à des problématiques comme : “ que se passe-t-il si une route est bloquée par une inondation ?” », se souvient-il. Auparavant il avait effectué un autre stage à l'Assemblée Nationale pour travailler sur la gestion des forêts. Il obtient son diplôme en septembre 2023.
Lorsqu’Adrien se retourne sur son passage à l’ENS-PSL, l’étudiant y voit « des années particulièrement heureuses et très formatrices, aussi bien sur le plan intellectuel qu’humain ». Il cite des rencontres très différentes et ouvertes, qui lui ont permis d’affiner ses goûts, ses opinions et ses relations - « l’avantage d’avoir autant de départements différents dans un même établissement », estime-t-il. Malgré quelques périodes difficiles, comme le confinement, Adrien loue le cadre de vie « très agréable » de l’établissement. Désormais détaché administrativement de l'École, il continue cependant d'y passer régulièrement pour voir des amis et jouer de la musique. « J'ai toujours apprécié que l'ENS soit plus qu'une école mais un lieu de vie avec ses conférences, son cinéma, son bar associatif, ses jardins, ses logements et une vie associative libre et fourmillante.»
Vers une société durable
Aujourd’hui doctorant au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (CIRED) et à l’Institut des Sciences de la Terre (ISTerre), Adrien étudie la résilience des systèmes agricoles via une approche thermodynamique. Plus précisément, son travail s'oriente vers ce que l'on appelle le métabolisme agricole. « Le métabolisme est l'ensemble des flux d'énergie, de matière et d'information qui sont utilisés par un organisme pour fonctionner correctement : manger, respirer...», explique-t-il. « On peut se servir de cette analogie pour voir nos sociétés comme des "méta-organismes" composés d'individus, qui forment des groupes - d'amis, des foyers… - et des associations sociales plus complexes et sur de plus grandes échelles, comme des États », poursuit Adrien. « Pour fonctionner, ce système a aussi besoin de flux de matières : nourriture, acier, plastiques…, d'énergie, telle que le pétrole et l’électricité, et d'informations : communication, monnaie…». Nos sociétés sont donc comme de grands écosystèmes où chaque élément ne peut fonctionner que s’il est connecté aux autres. « Et aujourd'hui, il faut comprendre son fonctionnement pour trouver des voies vers une société durable.»
Si lors de son adolescence Adrien a pris conscience progressivement des enjeux climatiques et plus globalement écologiques, le doctorant est aujourd’hui plus que préoccupé par la situation actuelle : « notre relation avec l'environnement n'est pas viable et sera à l'origine de grands drames », estime-t-il. « Aujourd'hui, il ne semble plus possible de l'éviter, mais je souhaite avec mon travail participer à tracer des voies alternatives pour éviter les plus gros dégâts.»
Un chemin qu’Adrien a commencé à suivre, via son doctorat, mais aussi avec son implication auprès de The Shift Project, un laboratoire d'idées reconnu, qui œuvre en faveur de l'atténuation du changement climatique et de la réduction de la dépendance de l'économie aux énergies fossiles. Chaque semaine, le normalien passe un après-midi à aider l’équipe du Shift Project à traiter l'énorme masse d'information à laquelle ses membres sont confrontés. Fichage d’articles scientifiques, relecture de rapports… les missions sont variées. Parfois même, le think tank est amené à utiliser les travaux de recherche d’Adrien : « j'utilise un modèle agronomique, c'est-à-dire un simulateur de croissance de plantes, qui peut lui permettre d'obtenir des courbes de réponse à l'azote - à partir de quel niveau de fertilisation, un apport supplémentaire d'engrais peut être considéré "inutile" ?- ou pour faire des stress-tests, par exemple sur les dégâts sur les récoltes en cas d’années extrêmement chaudes ou pluvieuses…», détaille-t-il.
Croiser les perspectives
Quant à la suite, Adrien admet volontiers être encore indécis : rejoindre un corps d'État comme le Corps des ponts, des eaux et des forêts, poursuivre dans la recherche, intégrer un ministère ou une administration publique, le secteur privé… Si beaucoup de possibilités l’attirent, le normalien envisage avant tout une voie professionnelle combinant sciences et politique, pour lui indissociables : « le monde réel est si complexe qu'il est illusoire de penser que la science pourrait, comme un ordinateur, "calculer" quel serait le meilleur avenir », justifie-t-il. « Il appartient à la société de décider démocratiquement quel futur est désirable. Une fois cela fait, la science peut éclairer les chemins viables et réalisables et potentiellement en suggérer d'autres , ajoute-t-il, « inspiré » par la lecture de l'ouvrage Utopies réelles d'Erik Olin Wright.»
« Travailler avec des acteurs hors du monde de la recherche permet de se raccrocher à des problématiques concrètes. C'est souvent passionnant ! »
Une approche systémique et hautement interdisciplinaire, qu’Adrien revendique aussi bien dans son regard sur nos sociétés que dans la recherche : « chaque discipline a des outils qui permettent de comprendre le monde d'une certaine manière », estime-t-il. « Cependant, chacun de ces outils a aussi des angles morts. L'interdisciplinarité est une manière d'embrasser une vision plus complète de notre monde compexe. », continue-t-il. Ce qui est important ? Croiser les perspectives : « il n'est pas toujours facile de travailler avec des outils et des chercheurs ayant des formations différentes mais c'est toujours très enrichissant », considère Adrien. « De manière générale, travailler avec des acteurs hors du monde de la recherche permet de se raccrocher à des problématiques concrètes. C'est souvent passionnant ! », conclut-il.
Mis à jour le 27/5/2024