« J’aime le droit pour ce qu’il nous apprend de la société »
Future chercheuse, Clarisse Gruyters est en 3e année du parcours droit à l’ENS-PSL. Pour la normalienne, spécialisée sur les questions de violences de genre, le rôle de la recherche dans la société est indispensable. Elle espère que ses travaux auront un impact concret et positif. Curieuse de la voix de toutes et tous, Clarisse s’est lancée en parallèle de ses études dans la production d’un podcast, pour « donner la parole à celles et ceux que l’on n’entend pas ».
« Je souhaite faire de la recherche qui part et qui s’ancre dans la réalité sociale, une recherche qui puisse être utile. » Clarisse Gruyters étudie le droit à l’École normale supérieure - PSL. Actuellement en 3e année au département des sciences sociales, cette future chercheuse suit également un Master 2 en théorie et analyse du droit coordonné par l’Université Paris Nanterre. Elle y prépare un mémoire sur la place du féminicide en droit. « J’aime la recherche pour son indépendance et son rythme si particulier, mais aussi lorsqu’elle a un sens », justifie-t-elle. « Étudier et questionner la place des violences de genre en droit est d’abord nécessaire, mais peut également permettre des réalisations concrètes.»
Trouver sa voie
Si Clarisse a aujourd’hui trouvé sa voie, c’est d’abord dans des études d’économie et de gestion, à l’Université Toulouse I Capitole, qu’elle se lance. Originaire de Dreux, dans l’Eure-et-Loir, elle quitte le domicile familial et la région Centre après l’obtention de son bac économique et social (ES) pour la Ville rose. Bien que « riche de nouvelles expériences et d’indépendance », la première année ne s’avère pas, de son propre aveu, « un réel succès académique ». La rentrée suivante, Clarisse se réoriente en droit et en sociologie à l’Université Toulouse II Jean Jaurès. Un nouveau chemin qui s’avère bien plus motivant pour l’étudiante : « j’aime le droit pour ce qu’il nous apprend de la société », explique-t-elle. « Pour moi, le droit est un objet social comme les autres, construit par des êtres sociaux, et ne prend alors sens que lorsqu’il est accompagné d’un éclairage sociologique », précise l’étudiante. « Le droit est un objet qui nous touche toutes et tous, convoqué au quotidien dans l’ensemble de nos vies », continue Clarisse. « Étudier le droit c’est finalement étudier, en partie, notre système d’organisation sociale et étatique. »
« Pour moi, le droit est un objet social comme les autres, construit par des êtres sociaux. »
Par le biais de ses professeurs, c’est en licence que l'étudiante découvre alors l’ENS-PSL : « pendant longtemps, l’École normale ne représentait rien pour moi, car j’ignorais son existence », indique-t-elle. « Le simple fait d’aller en classe préparatoire ne m’a jamais été proposé au lycée, cette option était absente du champ des possibles ». Clarisse explore le site Internet de l’ENS et, en troisième année de licence, décide de rédiger un projet de recherche pour intégrer le parcours droit de l’établissement, au département de sciences sociales. L’étudiante fera sa première rentrée à l’École en septembre 2021.
L’accessibilité à la recherche
« À l’ENS, la proximité avec les autres établissements parisiens est un réel avantage et permet de suivre des enseignements dans de nombreuses institutions différentes les unes des autres », estime Clarisse, lorsqu’on lui demande de faire le bilan de ses premières années. « Non seulement ce champ des possibles est très intéressant d’un point de vue des subjectivités et des méthodes, mais il diversifie aussi l’offre des cours », poursuit-elle.
Ce que lui a apporté l’École ? « L’accessibilité à la recherche », répond-elle sans hésitation.
Car depuis février 2023, Clarisse effectue un stage au sein d’une équipe interdisciplinaire de chercheuses et chercheurs sur les “bracelets anti-rapprochements”, un dispositif de surveillance électronique qui permet de géolocaliser une personne à protéger et un auteur, réel ou présumé, de violences conjugales. « Cette étude, hautement interdisciplinaire, mêle droit, sociologie, géographie et sciences politiques », détaille la normalienne. « Avec ma co-stagiaire, nous avons la chance de mener une recherche libre et indépendante, avec des enquêtes de terrain en Espagne », ajoute-t-elle.
Aboutir à des réalisations concrètes
« J’aime la recherche pour son indépendance et son rythme si particulier, mais aussi lorsqu’elle a un sens. »
Depuis plusieurs années, Clarisse s’intéresse de près aux violences de genre et prépare en parallèle de l’ENS-PSL, un mémoire de master 2 à l’Université Paris Nanterre sous la direction de Stéphanie Hennette-Vauchez, autour de la place du féminicide en droit. Des travaux que l’étudiante souhaite poursuivre après l’obtention de son diplôme : Clarisse se dirige vers une carrière de chercheuse et prépare actuellement un projet de thèse, pour lequel elle espère obtenir un financement. « J’aime la recherche pour son indépendance et son rythme si particulier, mais aussi lorsqu’elle a un sens », justifie Clarisse. « Pour moi, étudier et questionner la place des violences de genre en droit est d’abord nécessaire, mais peut aussi mener à des réalisations concrètes », continue-t-elle. « Et pour cela, la recherche ne peut se faire sans prendre en compte la réalité sociale. »
Être au plus près des autres et de leur réalité. Une volonté qui se traduit dans le choix de carrière de Clarisse, mais aussi en parallèle de ses études. « Grande consommatrice » de podcasts, l’étudiante commence à ressentir l’envie de « raconter quelque chose ». Elle effectue des stages pour se former à la réalisation d’objets sonores et apprend la technique avant d’acquérir son premier micro.
La voix de chacun et de chacune
En 2022, Clarisse est forcée de prendre une année de césure : « j’ai été très malade entre le printemps 2021 et l’été 2023 », explique-t-elle. « J’ai eu un cancer pour lequel j’étais dans le déni et j’ai continué à profiter de l’effervescence de la vie comme si de rien n’était. Cela m’a épuisée », se souvient-elle. « J’ai senti que mon corps n’était pas prêt pour enchaîner une nouvelle année universitaire encore très dense. » Clarisse cherche alors à « [s]e reconstruire » en dehors de la ville. Elle part pour les Cévennes afin d’effectuer un service civique au sein de la Maison Perséphone, un tiers-lieu associatif, féministe, écologique et culturel. Ses missions sont variées. Outre la communication et l’entretien du jardin en permaculture, elle participe à l’organisation de “séjours de répit” pour des personnes vulnérables, en particulier des femmes victimes de violences. Elle y fait de nombreuses rencontres : parmi ses collègues bien sûr, mais aussi parmi les séjournants et séjournantes ainsi que les locaux.
C’est dans cet environnement à la croisée des chemins que son projet de podcast Pourquoi t’es là ? prend naturellement forme, au fur et à mesure des discussions et des rencontres. Le titre reprend la première question, faussement naïve, que pose Clarisse au début de chaque épisode. « Pourquoi t’es là ? raconte la vie des habitantes et des habitants du territoire de Cèze-Cévennes. Il donne la parole à celles et ceux que l’on n’entend pas », indique-t-elle. « J’ai voulu donner à voir des vies, des histoires, mais aussi l’attachement à l’habitat, au chez-soi dans ce territoire rural », justifie la normalienne. « J’ai essayé de prendre le moins de place possible dans les entretiens afin d’être une oreille plus qu’une interrogatrice. Je ne cherchais rien au début, les émotions et les confessions sont venues d’elles-mêmes. » On y rencontre ainsi Philippe, ancien danseur en quête de ruralité, Amélie, qui a choisi un quotidien sur les routes, Christelle, une coiffeuse à l’écoute et toujours de bonne humeur… Au total 9 portraits de vie - dont un hors-série avec la réalisatrice Lisa Diaz - qui se racontent et se délient au fil que les minutes s’égrènent.
Un œil sociologique
Pourquoi ce choix de l’audio et non de la vidéo ou de l’écrit ? Pour Clarisse, la réponse est simple : « le podcast est écoutable n’importe où, et accessible pour l’ensemble des populations que je ciblais pour mon projet, aussi bien mon entourage plutôt urbain et jeune, que les habitantes et habitants du territoire. ». Sur des considérations plus personnelles, l’étudiante aime également « l’idée de donner à entendre des voix sur lesquelles il n’y a pas de visages, cela évite les préjugés », justifie-t-elle. « Nous sommes ainsi davantage transportés dans un ailleurs réel, mais aussi un peu imaginaire. »
Si ce podcast est a priori sans lien direct avec la carrière de Clarisse, il existe cependant un fil ténu entre les deux : « Pourquoi t’es là ? est teinté d’un œil sociologique », précise-t-elle. « Cette discipline a clairement influencé ma manière de construire le récit du projet, ainsi que les discussions avec les habitants et les habitantes, qui s’apparentent parfois à des entretiens. » Clarisse songe d’ailleurs à réutiliser le podcast comme outil de vulgarisation de ses recherches.
La première saison, terminée en décembre 2023, a rencontré un beau succès : des milliers d’écoutes, quelques articles dans la presse, que Clarisse n’avait pourtant pas sollicitée directement : « j’avais surtout mobilisé mon réseau d’interconnaissances et les associations de l’ENS pour faire connaître le projet. »
De la sincérité
S’il est question d’une deuxième saison, Clarisse préfère pour le moment se consacrer à ses études. L’étudiante, qui a depuis repris le chemin de l’ENS et de son Master en droit à l’Université Paris Nanterre, dresse un bilan positif de cette expérience cévenole : « j’ai appris à être seule ailleurs, loin de mes amis et de ma famille », confie-t-elle. « Mais ce que je retiens davantage, ce sont les rencontres et les liens sincères que j’ai créés avec les habitants et habitantes de la région. »
« Un travail fait avec sincérité est plus intéressant que la réponse attendue à une question. »
Une sincérité qui guide Clarisse dans son rapport aux autres, mais aussi dans sa carrière. Elle n’hésite d’ailleurs pas à conseiller celles et ceux qui voudraient rejoindre l’ENS d’en faire de même : « au vu de mon parcours et de mes convictions, je ne suis pas une fervente défenseuse du travail acharné imposé en classes préparatoires », admet-elle. « Je m’adresserai en particulier aux étudiants et étudiantes universitaires, pour leur dire d’être sincères », explique-t-elle. « Je pense qu’un travail fait avec sincérité est plus intéressant que la réponse attendue à une question, et qu’oser la subjectivité témoigne déjà d’une grande réflexion de recherche », conclut-elle.
Mis à jour le 24/9/2024